Contes populaires d’Afrique (Basset)/98

E. Guilmoto, Éditeur (Les Littératures populaires, tome XLVIIp. 233-252).

SEPTIÈME PARTIE

LANGUES DU GROUPE BANTOU

LI. — SOUAHILI[1]

98

L’INTELLIGENCE DES FEMMES[2]


Il était un sultan qui avait un fils et de même un pauvre qui avait un fils. Les enfants furent élevés jusqu’à ce qu’ils furent grands. Alors le sultan appela le pauvre et lui dit :

— Je veux te faire mon vizir et ton fils deviendra l’ami du mien.

Le pauvre fut content ; il devint vizir et son fils contracta de l’amitié avec celui du sultan, jusqu’à ce qu’ils prirent femme.

Le fils du sultan épousa une femme, et aussi le fils du vizir se maria avec une femme. Celui-là rechercha l’épouse de son ami ; il prenait de belles choses et les lui envoyait. Cette femme aimait son amant, le fils du sultan, mais elle ne trouvait pas l’occasion de se réunir avec celui qu’elle regardait comme son mari.

Le fils du sultan inventa cette ruse de voyager et d’aller dans l’intérieur. Il prit beaucoup d’argent et partit dans l’intérieur. Quand il revint, il apporta des cadeaux de toute espèce qu’il donna à la femme de son ami, le fils du vizir.

Un jour elle dit à son mari :

— Pourquoi, mon ami, ne veux-tu pas voyager, toi aussi ? Si tu vas dans l’intérieur comme le fils du sultan, tu rapporteras des présents que tu donneras à mon amie, la femme du fils du sultan, car il m’en donne et ton devoir est de faire aussi des cadeaux à sa femme.

Le mari répondit :

— Il n’est pas nécessaire d’aller dans l’intérieur, je puis avoir aussi ici des présents et les envoyer à sa femme.

Elle lui répliqua :

— Quelque chose qui vient de l’intérieur est toujours une rareté.

Alors son mari dit :

— Si tu y consens, je voyagerai.

Cette femme inventa cette ruse à dessein ; son mari n’en savait rien. Il résolut donc de partir dans l’intérieur. Lorsqu’il se mit en route, sa femme lui dit :

— Va, achète-moi un petit morceau d’intelligence ; si tu ne reviens pas avec un petit morceau d’intelligence, je ne veux plus de toi.

— Bon, répondit son mari.

Et il partit. Il monta sur un vaisseau, chargea beaucoup de richesses, se mit en route et arriva dans un autre pays et une grande ville.

Quand il fut parvenu dans cette ville, il vint dans la maison d’une vieille femme et y resta. Dans cette ville habitait un sultan qui avait sept filles ; elles n’étaient pas encore mariées. Tous les gens qui les demandaient, elles les frappaient et refusaient de se marier. Ce jeune homme, le fils du vizir, était un bel homme. Quand un jour se fut écoulé, il prit ses meilleurs habits et se fit très beau. Il alla devant la maison du sultan et lorsque ces sept jeunes filles l’aperçurent, elles s’éprirent de lui dans leurs cœurs.

Il passa devant encore une fois et vint dans la maison du vizir. Il y avait là une jeune fille, fille du vizir. Quand elle l’aperçut, elle se réjouit et l’appela. Il entendit, entra et demanda :

— Que désires-tu ?

Elle répondit :

— Je t’ai appelé pour te parler.

Alors il répliqua :

— Je voudrais t’épouser. Veux-tu de moi ?

La jeune fille répondit :

— Je veux bien, si mon père y consent.

Il alla trouver son père, le vizir, lui demanda la main de sa fille. Le vizir lui dit :

— Tu dois m’apporter deux sacs d’argent ; alors tu auras ma fille.

Il s’en alla à sa maison, et le lendemain, il apporta deux sacs d’argent et épousa la jeune fille.

Dans cette ville, toutes les femmes avaient beaucoup d’intelligence. Quand il eut épousé la sienne, elle lui dit :

— Si tu m’aimes, tu dois aussi te lier avec les filles du sultan.

— Je ne connais pas ces jeunes filles, répondit-il.

Elle reprit : — Je te ferai l’éloge de leurs qualités ; elles ont beaucoup d’intelligence ; je te donnerai aussi des instructions, mais raconte-moi ce que tu verras.

Il répondit :

— Bon, c’est bien.

Elle lui dit :

— Prends tes vêtements et fais-toi très beau.

Elle continua :

— Va maintenant devant la maison du sultan et rapporte-moi ce que tu verras.

Il alla par derrière jusque dans la maison du sultan. Aussitôt que ces jeunes filles l’aperçurent elles versèrent de l’eau sur ses vêtements. Il passa devant et passa outre. Quand il arriva près de sa femme, elle lui demanda :

— Qu’as-tu vu ?

Il répondit :

— J’ai passé outre car elles m’ont versé de l’eau sur mes vêtements.

La femme répliqua :

— Cela signifie qu’elles t’appellent ; va et attends-les au puits aujourd’hui soir à la cinquième heure, elles viendront.

L’homme se leva et alla le soir au puits pour les attendre ; mais il ne les trouva pas. Il revint aussitôt et suivit le rivage. Tandis qu’il était en chemin, les jeunes filles vinrent d’un autre côté. Comme elles ne le trouvèrent pas à leur arrivée, elles dirent :

— L’homme n’a pas d’intelligence.

Et elles s’en retournèrent à la maison. Quand il revint du rivage, il ne trouva personne au puits, mais il sentit l’odeur des parfums et reconnut à cela que les femmes étaient venues.

Il s’en retourna à la maison auprès de sa femme. Celle-ci lui demanda :

— Qu’as-tu vu, mon mari ?

Il lui dit :

— Je suis allé auprès du puits ; je n’ai vu personne ; je m’en suis retourné aussitôt et je suis allé au bord de la mer. Quand je suis revenu de là, j’ai remarqué auprès du puits l’odeur de leurs parfums et j’ai su que les jeunes filles étaient venues mais qu’elles m’avaient manqué.

La femme lui dit :

— Dors jusqu’à demain, fais-toi beau comme hier et va devant leur maison.

Il dormit et le lendemain matin mit ses plus beaux habits. Puis il alla vers elles, devant la maison. Quand elles le virent d’en haut, elles prirent des fleurs de jasmins et les lui jetèrent, elles en couvrirent ses vêtements. Il s’en retourna et vint trouver sa femme. Celle-ci lui demanda :

— Quel signe as-tu vu aujourd’hui lorsque tu es passé près de ces femmes, les filles du sultan ?

Il lui dit :

— Elles m’ont jeté des fleurs de jasmin sur mes vêtements.

Elle reprit :

— Leur dessein était de t’appeler : Va et attends-les dans le jardin.

Il se leva le soir, s’en alla et les attendit dans le jardin.

À la cinquième heure, les sept jeunes filles arrivèrent. Aussitôt qu’elles furent là, elles lui dirent :

— Nous sommes sept : laquelle de nous te plaît ?

Il répondit :

— Je vous aime toutes.

Elles reprirent :

— Nous ne voulons pas être aimées toutes par un homme, mais demande celle de nous sept que tu veux. Il leur dit :

— Choisissez vous-mêmes celle que je dois prendre, car je vous aime toutes.

Quand les jeunes filles entendirent cela, elles se réjouirent ; elles prirent leur plus jeune sœur et dirent au jeune homme :

— Nous te donnons celle-ci.

Il la prit avec lui. Cette jeune fille l’aima. Les autres partirent et suivirent leur chemin.

Le fils du vizir revint vers sa femme. Elle demanda à son mari :

— Les as-tu trouvées ?

Il répondit :

— Je les ai vues ; elles sont venues et j’ai pris avec moi la plus jeune d’entre elles. Sa femme lui dit :

— Bien, mon mari.

La fille du sultan demeura un jour chez son mari ; puis elle lui dit :

— Je désire que tu viennes et que tu demeures aussi chez moi, à la maison. Il fut content et alla dire à sa femme :

— Cette jeune fille m’invite à venir habiter aussi chez elle.

Elle lui répondit :

— Vas-y.

Le soir, il partit et alla dans sa maison. Elle prépara le repas pour manger avec son mari ; ils mangèrent ensemble, elle et son mari. Tout à coup apparut une vieille femme. Elle connaissait très bien la ruse des femmes. Quand elle arriva, l’homme se leva et se cacha à l’intérieur, La fille du sultan enleva les affaires là où son mari avait mangé et mit tout en ordre. Ensuite, elle fit approcher cette vieille, la fit entrer et lui dit :

— Viens et mange,

La vieille vint et mangea.

Quand elle prit place, elle vit du riz qui était tombé à terre. Elle remarqua qu’il y avait là deux personnes en train de manger, mais que l’une s’était enfuie et s’était cachée par crainte d’elle : elle reconnut cela au riz qui était par terre.

La vieille mangea ; puis elle se leva, alla trouver quelques jeunes gens dans la ville et leur communiqua la chose. Justement, ces jeunes gens avaient voulu épouser la jeune fille, mais elle n’avait voulu d’aucun d’eux.

Là-dessus ces jeunes gens s’en allèrent et attendirent le soir. Alors ils montèrent au premier étage et saisirent l’homme avec la jeune femme, la fille du sultan. Ils les prirent, les mirent ensemble, elle et son mari, dans un sac qu’ils fermèrent, portèrent à la prison et remirent au gardien. Ils lui dirent :

— Prends ce que nous te donnons ici et garde-le jusqu’à demain. Alors nous reviendrons nous-mêmes.

Le gardien ne savait pas que des personnes étaient enfermées dans le sac.

Lorsque la femme vit que son mari ne venait pas à la maison et s’attardait beaucoup, elle envoya vers cette fille du sultan et lui fit demander après lui. Ses sœurs répondirent que tous deux avaient été enlevés pendant la nuit. Alors la femme alla à la maison, prit de l’argent avec elle, le donna à ce gardien et lui dit :

— Prends cet argent et montre-moi ce qu’on a laissé sous ta garde.

Il prit l’argent et lui montra le sac. La femme l’ouvrit et en tira la femme du sultan. Elle-même entra dans le sac avec son mari et dit à l’autre femme :

— Rattache le sac.

Quand elle y fut avec son mari, le sac fut fermé de nouveau et la fille du sultan s’en retourna vers ses sœurs.

Lorsque la nuit fut passée, ces jeunes gens vinrent trouver le sultan et lui dirent :

— Quand nous voulions épouser tes filles, tu nous les a refusées et maintenant, elles se livrent à d’autres hommes.

Le sultan demanda :

— Les avez-vous vues commettre des impuretés ?

Ils répondirent :

— Nous l’avons vue et nous l’avons saisie : elle est en prison, elle et son amant.

Le sultan donna cet ordre :

— Allez les chercher en prison.

On les amena de la prison et on les apporta.

Quand le sac fut ouvert, on y regarda : il y avait là la fille du vizir avec son mari ; la fille du sultan n’y était pas. Les jeunes gens furent très étonnés ; et on demanda à la fille du vizir :

— Comment as-tu été enfermée ?

Elle répondit :

— Ces gens sont venus me rechercher ; je m’y suis refusée ; alors ils m’ont liée, moi et mon mari.

Son père le vizir fut très irrité que sa fille eût été liée sans raison.

Bref, le sultan chassa ces jeunes gens de la ville et les bannit avec ces paroles :

— Quittez ma ville ; c’est contre toute convenance de solliciter la femme d’un autre, et, quand elle se refuse, de l’enchaîner. Ce n’est pas la coutume ici : hors de ma ville !

Ces gens s’éloignèrent et le vizir se réjouit en remarquant qu’il était encore monté plus haut dans la faveur du sultan.

Le jeune homme qui avait épousé la fille du vizir, apprit par là que, dans ce pays, les femmes avaient de l’intelligence. Il continua son voyage et vint dans un autre pays. Dans la nouvelle ville où il entra, les femmes possédaient une grande sagesse. Il dit en arrivant :

— Je voudrais qu’on me montrât la sagesse des femmes.

Une vieille femme lui donna la réponse et lui dit :

— Il y en a une ici à qui je dirai de t’apprendre à connaître la sagesse des femmes ; c’est une femme qui a un mari qui est très jaloux. Il ne lui permet pas de sortir, et même aucun jeune homme n’a accès dans sa maison à cause de sa jalousie.

Elle alla trouver cette femme, lui raconta tout cela et lui dit :

— Il est arrivé un bel homme qui vient ici d’un pays étranger pour apprendre à connaître la sagesse des femmes ; je te demande de la lui montrer.

— Bon, dit la femme, j’ai entendu.

Là dessus, elle commença ainsi :

— Va trouver mon mari et dis-lui : j’ai reçu un dépôt d’un Arabe, un homme très puissant : il m’a donné sa femme pour que je demeure près d’elle ; lui-même est parti ; maintenant, je l’ai chez moi, cette femme. Je suis encore alerte et je voudrais bien sortir pour aller chercher de la nourriture et du bois, mais je crains de m’en aller et de la laisser seule ; des hommes pourraient venir et lui tendre des pièges. Alors son maître serait furieux quand il reviendra et quand il apprendra cela. C’est pourquoi je voudrais l’amener à ta femme dans ta maison. La vieille femme fit comme elle le lui avait recommandé et l’homme lui dit :

— Bon, c’est entendu ; va la chercher, amène-la, fais-la venir chez ma femme, dans la maison.

La vieille s’en alla, mit au jeune homme des vêtements de femme avec des pantalons, un voile et des anneaux aux jambes et vint avec lui. Cet homme crut bien que c’était réellement une femme ; or c’était un homme et non une femme, mais la ruse féminine avait réalisé cela. Il dit à la vieille :

— Conduis-la à ma femme dans la maison.

Quand ils arrivèrent, l’homme dit :

— Elle demeurera dans la petite chambre.

Il y alla et demeura dans la petite chambre. L’autre femme vint causer avec lui, et son mari tenait cet homme qui s’était introduit dans la maison pour une femme ; mais ce n’en était pas une.

Lorsqu’arrivèrent la nuit et le moment de dormir, la femme vint dans la chambre de son mari pour se coucher. Mais il lui dit :

— Il n’est pas convenable, quand il vient dans la maison une étrangère qui est de bonne famille et la femme d’un homme puissant, de la laisser seule et de dormir ici ; ce n’est pas convenable ; va et cause avec elle : j’y consens.

La femme y alla, ferma la porte et s’entretint avec lui. Elle dit à cet homme :

— Remarques-tu maintenant la sagesse des femmes ?

— Je la vois, répondit-il.

Elle ajouta :

— Je t’en donnerai encore d’autres preuves.

Elle attendit le soir ; puis elle appela la vieille et lui dit :

— Viens demain, et emmène ce jeune homme ; si mon mari va à toi, dis-lui que l’autre réclame sa femme et qu’il est revenu de l’intérieur.

La vieille comprit qu’elle voulait tuer son mari, car elle connaissait très exactement la sagesse des femmes.

— Bon, répondit-elle.

Lorsque le soir fut arrivé et que son mari fut endormi, elle dit à son amant :

— Prends un poignard et plante-le dans le corps de mon mari.

Il prit un poignard, entra et le lui enfonça dans le corps ; l’autre mourut. Il lui coupa la tête, jeta le reste du corps dans la fosse aux immondices et lava le sang. Il trempa la tête dans une drogue pour qu’elle ne pût se corrompre. Après l’avoir ainsi préparée, il la mit dans une cassette.

Le lendemain, la vieille arriva ; le jeune homme était déjà sorti pour aller la trouver. Tandis qu’il était sorti, la vieille vint dire :

— Où est ton mari ? Je viens réclamer la femme étrangère que je vous avais donnée à garder.

— Toi, vieille, dit la femme, tu es une grande coquine ; tu m’as amené dans ma maison une femme pour séduire mon mari et maintenant elle s’est enfuie avec lui je ne sais où ; voilà cinq ou six heures que je ne l’ai plus vue.

La vieille ne s’était pas attendue à cela. Elle alla trouver le jeune homme pour lui donner un conseil et dit :

— Viens et accuse-moi devant le juge. Tu m’as donné ta femme et je l’ai perdue.

Il alla se plaindre au juge : la vieille fut appelée et sommée de rendre la femme de l’étranger. Elle répondit :

— Assurément, il m’a confié sa femme, mais je l’ai mise sous la protection d’un Arabe.

Le juge dit :

— Faites venir cet Arabe.

Elle lui répondit :

— Il n’est pas là ; il s’est enfui avec la femme.

Le juge demanda :

— Sa femme est-elle là ?

— Oui, répondit-elle.

Il continua :

— Appelez la femme de cet Arabe et faites-la venir.

On alla la chercher.

Lorsqu’elle arriva, elle fut interrogée.

— Où est ton mari ?

— Il n’est pas là, dit-elle ; il s’est enfui avec cette femme qui est venue chez nous.

Le juge dit :

— Toi, Arabe, attends sept jours ; si ta femme revient avec cet Arabe, c’est bien ; sinon prends celle-ci et va-t’en avec elle.

Il attendit sept jours, mais l’autre ne reparut pas, car il avait été tué auparavant par sa femme, Alors il prit celle-là et partit avec elle.

Elle lui dit :

— As-tu maintenant reconnu la sagesse des femmes que je t’ai prouvée pour la seconde fois ?

Il répliqua :

— Je l’ai reconnue.

Il prit sa femme et partit de là. Elle emporta avec elle la tête de son mari qu’elle avait tué.

L’homme résolut de se mettre en route pour revenir dans sa patrie, mais il n’alla pas voir sa femme, la fille du vizir. À la fin, quand il fut arrivé à trois heures de sa ville, il mit son vaisseau à l’ancre. Dès que la nuit fut venue, il continua deux heures plus loin. Cette femme qui l’accompagnait lui demanda :

— Combien y a-t-il encore d’heures d’ici jusqu’à la ville ?

— Une heure, répondit-il.

— Fais descendre un bateau dans l’eau.

Il le fit. Ils allèrent alors à la ville et la femme avait emporté un moyen magique qui ouvrait les portes fermées. Quand ils arrivèrent de nuit dans le port, ils débarquèrent ; tout dormait dans la ville.

Aussitôt qu’ils y furent entrés, ils allèrent dans sa maison vers sa première femme. La seconde lui dit :

— Cherche une échelle et apporte-la.

Il dressa l’échelle, monta à la fenêtre, la frotta avec le moyen magique : elle s’ouvrit et il entra dans sa maison. Lorsqu’il y pénétra, il aperçut le fils du sultan qui commettait un adultère avec sa femme. Il les frotta tous deux avec le moyen magique ; ils perdirent tout sentiment, en sorte qu’ils n’avaient plus conscience de rien. Alors il tua le fils du sultan qu’il avait surpris près de sa femme. Puis il prit tout le sang, le versa dans l’eau, lui coupa la tête et la prépara avec le moyen magique de façon à ce qu’elle ne se gâtât pas. Il jeta le reste dans la fosse. Alors il souffla à sa femme un remède dans le nez et la connaissance lui revint totalement.

Cet homme s’en alla avec l’autre femme ; il prit avec lui la tête du fils du sultan et monta dans son bateau pour revenir à son vaisseau. Quand sa première femme s’éveilla, elle vit que son amant, le fils du sultan, n’était plus là, et elle s’en étonna beaucoup.

Dès que le matin fut arrivé, le vaisseau partit pour la ville. On chercha partout le fils du sultan. Quand le navire arriva dans la ville, le fils du vizir débarqua, se rendit dans sa maison et vint trouver sa femme. Celle-ci se chagrinait parce qu’on ne savait où était son amant, le fils du sultan, qui, pourtant, avait dormi dans sa maison. Quand elle vit son mari, elle lui dit :

— Où est le petit morceau d’intelligence que je t’ai chargé de m’acheter ?

Son mari lui dit :

— Prépare-moi de la nourriture et laisse-moi manger ; ensuite je te répondrai.

La femme reprit :

— Montre-moi le petit morceau d’intelligence que je t’ai recommandé de m’acheter ; si tu ne peux pas me le montrer, donne-moi ma liberté ; alors je ne veux plus de toi.

L’homme répliqua :

— Bon, mais prépare-moi d’abord à manger.

La femme lui prépara de la nourriture, et lorsqu’il fit nuit, elle lui dit :

— Montre-moi maintenant le petit morceau d’intelligence.

Il lui donna une clef et lui dit :

— Ouvre le coffre.

Elle ouvrit le coffre. Alors elle trouva une cassette, l’ouvrit et y vit un compartiment. Il lui dit :

— Ouvre le compartiment.

Elle l’ouvrit et y trouva deux têtes d’hommes.

— Prends, lui dit son mari, et examine une tête pour toi.

Elle le fit et regarda celle du mari de cette femme qui était venue avec lui. Il lui dit :

— Prends aussi l’autre.

Elle aperçut la tête du fils du sultan qui avait commis un adultère avec elle et qui avait été avec elle dans la maison. Alors elle eut peur, pleura beaucoup et son cœur frémit.

Elle reprit là-dessus :

— Je me repens, mon mari ; une autre fois, quand je te dirai de nouveau de pareilles choses, tue-moi.

L’homme lui dit :

— Je ne te crois pas ; jure que tu ne diras pas un mot de ce que tu as vu du fils du sultan qui est mort.

La femme s’y prêta et prononça le serment. Son mari ne voulait plus d’elle ; mais au commencement, il craignait qu’elle ne le dénonçât comme le meurtrier du fils du sultan. Lorsqu’elle eut juré, il dormit tranquille jusqu’au matin. Il savait que cette femme, après qu’elle avait prêté serment, ne pouvait plus lui nuire. Il la renvoya en disant :

— Je ne veux plus de toi ; retourne vers les tiens.

La femme avait perdu son amant, le fils du sultan qui était mort. Elle-même avait prêté serment et perdit son mari qui l’avait chassée. Elle fut triplement frustrée. D’abord son mari la chassa ; ensuite, son amant, le fils du sultan, fut tué ; troisièmement, elle ne pouvait pas dire :

— Mon amant, le fils du sultan, a été tué par un tel ; elle ne pouvait pas le dire à cause du serment qu’elle avait juré.

Voilà l’histoire de la femme qui trompa son mari. Ainsi en est-il de l’intelligence des femmes.



  1. Le souahili est parlé sur la côte orientale d’Afrique dans la région de Zanzibar.
  2. Velten, Mærchen und Erzæhlungen der Suahali, Stuttgart et Berlin, W. Speemann, 1898, in-8, p. 110-119 ; id. trad. allem. Stuttgart et Berlin, W. Speemann, 1898, in-8, p. 178-191.