Contes populaires d’Afrique (Basset)/79

E. Guilmoto, Éditeur (Les Littératures populaires, tome XLVIIp. 192-195).

79

L’IGUANE ET LE CHIEN[1]


Il y avait une fois un iguane et un chien. L’iguane était dans un buisson près de la ville. Le chien était dans la ville. L’iguane entendait toujours la voix du chien dans la ville ; il l’entendait toujours appeler par son nom. Quand il le vit, il lui dit :

— Ami, tu es heureux dans la ville ?

— Oui, dit le chien, allons-y.

Ils y allèrent. Le chien reprit :

— Je vais te porter sur mon dos, car tu ne saurais pas comment te retourner dans la ville.

Il le porta sur son dos et le transporta à une cuisine ; ils trouvèrent les gens qui mettaient de la viande dans une écuelle. Le chien prit la viande dans l’écuelle. L’enfant cria :

— Ma chère mère, le chien a pris la viande !

La femme prit un bâton allumé et frappa l’iguane sur le dos du chien. Celui-ci courut ; ils s’en allèrent et s’assirent dehors. On mit un peu de riz cuit dans une écuelle et on alla le donner au chien. Mais comme il n’y en avait pas beaucoup, il ne suffisait pas pour tous deux. Quand on eut mangé la viande, on retira les os et on les jeta au chien. Celui-ci dit à l’iguane :

— Frère, mangeons la viande.

L’iguane répondit :

— Ce n’est pas de la viande pour moi ; je n’ai pas de dents pour manger des os.

Quand le chien eut mangé les os, il lui dit :

— Allons là-bas.

Ils s’en allèrent dans une autre cour ; ils trouvèrent les gens en train de manger. Le chien alla laper la soupe : on prit un fouet et on battit l’iguane ; comme il était sur le dos du chien, le fouet ne pouvait atteindre ce dernier. Le chien s’en alla et ils s’assirent dehors.

— Je vais m’en retourner, dit l’iguane.

— Ne t’en vas pas, mon ami, dit le chien ; je suis heureux : tu recevras un présent aujourd’hui.

On avait des os ; on alla les leur jeter. Le chien lui dit :

— Viens, ami, nous allons manger de la viande.

L’iguane répondit :

— Mange seul ; pour moi je n’ai pas de dents.

Quand le chien eut mangé les os, il lui dit :

— Allons là-bas à l’autre cour.

Ils y allèrent et trouvèrent qu’on y servait du riz bouilli. Le chien renversa la soupe ; on prit un fouet et on le battit, mais l’iguane seul recevait les coups. On poursuivit le chien ; il courut. Alors l’iguane lui dit :

— Je vais m’en retourner.

— Ne t’en vas pas, dit le chien ; notre cadeau est devant ; allons.

Ils partirent pour une autre cour ; ils trouvèrent les gens en train de manger. L’iguane était sur le dos du chien. Celui-ci alla renverser la soupe ; on le saisit fortement, on le battit et on le tira dehors en le frappant. Le chien courut et alla dans la brousse d’où ils étaient venus, lui et l’iguane.

— Allons, dit-il.

L’iguane répondit :

— Je ne retourne pas ; c’est dur à la ville.

Il courut se cacher.

— Je m’en vais, dit le chien.

— Va, dit l’iguane ; c’est dur à la ville, je n’y retourne pas.

— Viens, allons, dit le chien, puisque tu disais que j’étais heureux à la ville !

— Je n’y retourne pas.

C’est pour cela que l’iguane n’ose plus s’approcher de personne, qu’il ne vient pas dans la ville ; il demeure seulement dans la brousse. Quant au chien, aussitôt qu’il voit l’iguane, il le saisit, le porte à la ville ; alors on vient et on le mange complètement. On demanda au chien :

— Pourquoi tourmentes-tu l’iguane ?

Il répondit :

— Je lui ai montré ce que c’est que le bonheur car il disait que j’étais heureux.

C’est pourquoi l’iguane ne s’aventure plus à s’approcher de personne. Il ne s’aventure plus à s’approcher du chien ; il ne s’aventure plus à la ville.



  1. Schlenker, A Collection of temne traditions, p. 41-45.