Contes populaires d’Afrique (Basset)/72

E. Guilmoto, Éditeur (Les Littératures populaires, tome XLVIIp. 178-182).

72

L’ARAIGNÉE[1]


Il était une araignée et une grande famine vint dans le pays, de sorte qu’il n’y avait ni riz, ni cassave, ni bananes, ni chou-palmiste, ni viande, ni nourriture. Une grande famine était venue dans le pays. Pendant longtemps, l’araignée et sa femme avaient eu des enfants, des centaines d’enfants. Il n’y avait pas dans le pays de nourriture à leur donner. L’araignée tomba malade ; elle fit semblent d’être malade et dit à sa femme :

— Je vais mourir.

— Ne meurs pas, dit la femme, nous travaillerons.

— Non, dit l’araignée, je vais mourir.

Et elle ajouta :

— Lorsque je serai morte, ne me mets pas ici, mais dépose-moi dans un trou, place sur moi des planches sur lesquelles tu entasseras de la terre.

La femme y consentit. L’araignée mourut. La femme dit à ses enfants :

— Creusez un trou.

lis creusèrent un trou et y mirent l’araignée ; ils ne la laissèrent pas là, mais ils la mirent dans le trou et ils le couvrirent avec des planches. Quand le soir arriva, l’araignée sortit du trou et alla loin dans le pays. Elle était encore vivante, elle n’était pas morte. Elle marcha et trouva une femme considérable ; une femme-chef. La femme possédait beaucoup de riz ; il y avait beaucoup de riz dans sa ferme ; il y en avait beaucoup dans son magasin et il y avait beaucoup de cassave dans la ferme. La femme était stérile ; elle n’avait pas d’enfants. L’araignée demanda :

— Ma mère, où sont tes enfants ?

— Je n’en ai pas, répondit-elle.

— J’ai une médecine, dit l’araignée, je te la donnerai, tu la boiras, de sorte que tu pourras devenir enceinte et enfanter.

— Donne-moi la médecine, dit la femme : si j’enfante et si j’ai un fils, je te donnerai un hangar plein de riz, deux plantations de cassave et une grande quantité de bananes.

L’araignée accepta en raison de la famine. Elle s’en alla chercher la médecine et s’en revint à la ville. La femme avait tué un bouc et cuit du riz pour l’araignée ; elle lui dit :

— Araignée, voici du riz pour toi.

L’araignée mangea le riz et fut complètement satisfaite. Alors elle mit la médecine dans un pot, y versa de l’eau et y mêla la médecine. Elle dit à la femme :

— Apporte une bande d’étoffe.

Elle attacha avec cela les yeux de la femme et dit :

— Attention ! bois la médecine. Quand tu l’auras bue, tu ne me verras plus ; je m’en irai loin. Dans six mois, tu donneras naissance à un enfant mâle et je viendrai de façon que tu puisses me donner du riz et tous mes vivres.

La femme consentit ; elle prit le pot et but la médecine. L’araignée sauta dans le pot et la femme l’avala. L’araignée était dans son corps. La femme donna naissance à un enfant : c’était l’araignée. La femme lui donna de l’eau à boire, elle fit cuire d’excellent riz et le donna à manger à l’araignée. Celle-ci avait été en elle, c’était elle l’enfant. La femme ne le savait pas.

Il y a dans la forêt un animal qu’on appelle le daim ; il est rusé. Il dit :

— Je vais aller voir l’enfant de la femme ; pendant six mois, il a mangé le riz de la femme.

Le daim arriva et dit :

— Mère, je suis venu pour voir ton enfant.

La femme le lui passa. Il le regarda et vit que c’était l’araignée. Il la remit à la femme : celle-ci la prit et lui mit des vêtements. Le daim s’en alla à la ville, prit une baguette, s’en revint, enleva les vêtements de l’enfant et le fouetta fort. L’enfant se sauva et s’en alla. Le daim dit à la femme :

— C’était l’araignée ; ce n’était pas un enfant : l’araignée était un imposteur.

L’araignée alla trouver sa femme ; tout le riz de sa femme avait mûri ; elle avait beaucoup de poules. Elle pila du riz et ses enfants tuèrent le bétail. La femme fit cuire le riz ; elle fit cuire la viande ; elle mit le riz dans un plat et la viande dans le riz. L’araignée vint un soir et trouva sa femme qui mangeait du riz. Il lui poussa la main, passa et s’arrêta. La femme mit sa main dans le riz. L’araignée recommença à lui retirer le bras et lui dit :

— Je suis morte depuis longtemps : je suis revenue.

La femme ne répondit pas. Son fils lui dit :

— Ma mère, c’est mon père.

— Non, répondit-elle, ton père est mort depuis longtemps.

L’araignée vint et dit à la femme :

— Je suis l’araignée.

— L’araignée est morte depuis longtemps.

L’araignée est un imposteur.

C"est fini.




  1. Kœlle, Outlines of a Grammar of the Vei language, p. 69-72