Contes populaires d’Afrique (Basset)/37

E. Guilmoto, Éditeur (Les Littératures populaires, tome XLVIIp. 102-106).

37

LA VACHE DES ORPHELINS[1].


Il était une fois un homme qui avait une femme ; elle mit au monde deux enfants et mourut. L’homme se remaria ; il eut de cette seconde femme un garçon et une fille. La femme donnait à sa fille et à son fils de très bonne nourriture et quant aux deux autres enfants qui n’étaient pas ses enfants à elle, elle leur donnait du pain des chiens. Les enfants prenaient la vache, la menaient paître, donnaient le pain à la vache et lui disaient :

— Ô vache, sois bonne pour nous comme notre mère était bonne pour nous.

Et la vache leur donnait de bonne nourriture ; ils mangeaient et se rassasiaient et tous les jours cela marchait de même. La femme regardait ses enfants et les trouvait tout chétifs et elle trouvait que les autres enfants étaient bien portants. Alors elle se mit à donner du pain des chiens à ses enfants à elle, pensant qu’ils allaient devenir comme les autres, mais cela ne réussit pas du tout. Alors elle dit à son fils :

— Enfant, va-t’en avec ton frère et ta sœur et vois ce qu’ils mangent dans les champs.

Il dit :

— C’est bien.

Il alla aux champs avec son frère et sa sœur. Les enfants s’assirent affamés, mais ils avaient peur de leur frère, craignant qu’il ne les dénonçât. Ils lui dirent :

— Petit frère, si nous nous procurons quelque chose, ne nous dénonce pas.

Il dit :

— Bien, mes frères.

Alors ils donnèrent leur pain à la vache et lui dirent :

— Ô vache, sois bonne pour nous comme notre mère était bonne pour nous.

La vache leur donna un gâteau plein de lait. Ils mangèrent et, rassasiés, s’en retournèrent au logis. La femme vint à la rencontre de son fils et lui dit :

— Qu’est-ce que vous avez mangé dans la campagne ?

— Nous n’avons rien mangé du tout, dit-il, si ce n’est ce pain qu’on donne aux chiens.

Le jour suivant, elle dit au garçon :

— Reste, toi, n’y va pas ; laisse aller ta sœur.

Leur sœur s’en alla en effet avec eux. Ils s’assirent ; ils avaient bien faim. Ils lui dirent :

— Sœur, si nous nous procurons quelque chose à manger, ne nous dénonce pas.

Elle leur dit :

— Bien, mes frères.

Ils donnèrent le pain à la vache en lui disant :

— Ô vache, sois bonne pour nous comme notre mère était bonne pour nous.

La vache leur donna du gâteau. Ils se mirent à manger et la fille faisait tomber de la nourriture sur ses vêtements. Elle s’en retourna à la maison. Sa mère lui dit :

— Qu’est-ce que vous avez mangé dans les champs ?

— Interroge mon vêtement, dit la fille, avant de m’interroger ; interroge mon burnous ! vois, nous avons mangé du gâteau : c’est la vache qui nous l’a procuré.

La femme avait un amant ; elle lui dit :

— Je ferai semblant d’être malade, moi ; et toi, viens et dis : Je suis le médecin qui soigne les malades : je suis celui qui les guérit. Il n’y a de remède pour cette femme, il n’y a que le foie d’une vache toute noire.

Il lui dit :

— Je ferai cela pour toi. Quand je viendrai, dis : Fais-le entrer.

Elle fit la malade : on introduisit le prétendu médecin. Le mari demanda son avis. Il dit :

— Le remède qu’il lui faut n’est pas près d’ici.

— Dis seulement ce que c’est, dit le mari, et j’irai le chercher.

— Le remède qu’il lui faut, reprit l’autre, c’est le foie d’une vache toute noire, sans aucune tache d’autre couleur.

— La vache qu’il faut est chez nous, dit le mari.

On amena la vache, on l’égorgea. Les enfants pleuraient et disaient :

— Ô combien nous voilà orphelins, maintenant que nous n’avons plus notre vache qui nous tenait lieu de mère !

La femme mangea le foie et fit semblant d’être guérie ; son mari et son amant se jetèrent sur la viande et la dévorèrent tandis que les enfants rassemblaient les os ; puis ils les calcinèrent et les placèrent dans un grand vase en terre : un aloès y poussa et les enfants se tenaient sous l’arbre et ils mangeaient et ils buvaient ce que leur procurait l’aloès. Ainsi l’arbre leur tenait lieu de la mère qui les avait élevés et de la vache qui les avait nourris et ils demeurèrent à vivre contents à la grâce de Dieu.




  1. Dulac, Contes arabes en dialecte égyptien, Journal asiatique, janvier 1885, p. 11-16.