Contes populaires d’Afrique (Basset)/24

E. Guilmoto, Éditeur (Les Littératures populaires, tome XLVIIp. 65-70).
VII. — SAHO[1]

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LE LOUP GAROU ET LA JEUNE FILLE[2]


Il y avait une fois une jeune fille dont la mère était morte, mais dont le père vivait encore. Elle avait coutume de lui préparer à manger.

Un jour, un loup-garou vint trouver cette jeune fille et lui dit :

— Donne-moi de l’eau à boire.

Elle lui répondit :

— Pourquoi viens-tu dans la maison de mon père, toi qui es pire que le chien de mon père ? et lui refusa à boire.

Son père s’en alla un jour pour faire la moisson : le loup garou vint alors et lui dit :

— Que me donneras-tu si je coupe ton grain en un instant ?

L’homme répondit :

— Je te donnerai un beau cheval.

Le loup garou répliqua :

— Je ne veux pas de cheval ; ce que je désire, c’est ta fille, car je l’aime ; si tu me la donnes, je couperai ton grain en un instant ; il sera moissonné dans le temps qu’il faut pour tousser et cracher.

— Bien, dit l’homme ; et il lui donna sa fille.

— Mon père, lui dit-elle, comment peux-tu me donner à un homme qui est pire que ton chien ou ton âne ?

— Ma fille, répondit-il, il n’y a pas d’hommes vils ou nobles. Quand nous avons été neuf mois dans le sein de notre mère, nous naissons et ensuite. Dieu fait les uns riches et les autres pauvres ; les uns sont des magiciens ; les autres, des gens ordinaires ; comme nous sommes tous également des hommes, je te donne à quelqu’un qui te rendra heureuse.

De la sorte, le loup garou l’épousa et l’emmena chez lui.

Le lendemain matin, il sortit pour aller chercher du bois. Pendant ce temps, une femme vint trouver la nouvelle mariée et lui dit :

— Donne-moi ta parole, et je te raconterai quelque chose.

La jeune femme lui répondit :

— Je te la donne.

L’autre reprit :

— Si tu me donnes ton bracelet, je te le dirai.

Elle le lui donna, et la femme lui révéla ceci :

— Ton mari est allé chercher du bois pour te brûler ; sauve-toi.

La jeune femme s’enfuit. Elle rencontra un homme de bonne apparence qui creusait la terre avec une houe et lui dit :

— Grand père, je vais creuser pour toi.

Elle prit la houe et l’en frappa au crâne si bien qu’il mourut. Alors elle mit son turban, prit ses culottes et continua à creuser la terre.

Là-dessus arriva son mari, le loup garou, qui demanda à la femme, la prenant pour un prêtre :

— Hé, prêtre ? est-ce qu’une jolie jeune femme n’est pas passée ici ?

Sa femme lui répondit :

— Je n’en ai pas vu.

Comme il la prenait pour un prêtre, il s’en retourna. Elle continua sa route et arriva dans un village étranger.

Quand elle y fut entrée, on lui offrit à manger, mais elle refusa. Elle alla dans une forêt qui appartenait à un riche propriétaire du village. Un crétin avait l’habitude d’y passer la journée. La femme mit ses beaux pendants d’oreilles, ses beaux vêtements, ses beaux anneaux de bras et de jambes qu’elle avait apportés avec elle de la maison de son mari ; le crétin la regardait, mais il n’était pas en état de parler. Le soir, la jeune femme remit tout dans le sac et reprit ses vêtements laids.

Comme le crétin ne pouvait raconter la chose à son maître, il fit des signes avec le doigt et lui désigna le dehors.

— Qu’est-ce que le crétin peut avoir vu dans le bois ? pensa l’homme riche et distingué.

Un jour, cependant, la jeune femme monta sur un arbre qui était à côté d’une source. Deux serviteurs de cet homme vinrent pour faire boire les chevaux. Ceux-ci virent dans l’eau l’image de la femme, furent effrayés et n’osèrent pas boire.

Les serviteurs regardèrent et aperçurent la jeune femme. Ils la laissèrent, s’en retournèrent dans le village et racontèrent à leur maître ce qu’ils avaient vu. Il avait une belle femme. Il lui dit :

— Je vais t’amener une autre femme qui est encore plus belle que toi.

— Tu n’en trouveras pas de plus belle que moi, répliqua-t-elle.

— Si je t’en amène une telle, que feras-tu ?

— Si tu m’en amènes une pareille, je t’abandonne mon bien et je m’enfuirai, non par la porte, mais par la cheminée.

— Bon, dit-il ; puis il s’en alla, trouva la jeune fille sur l’arbre, la fit descendre, la mit sur son mulet et l’emmena chez lui. Quand la femme l’eut aperçue, elle s’enfuit, en évitant la porte, par la cheminée.

L’homme établit chez lui la jeune femme ; il l’épousa ; ils demeurèrent ensemble et il en eut deux fils.

Le loup garou qui avait été autrefois son mari, vint vers son deuxième époux et lui dit :

— Je suis le père de ta femme.

À ce moment, elle se trouvait dans un village étranger et ne le vit pas. Son second mari logea le loup garou, dans une autre maison, tua pour lui une brebis et lui prépara à souper.

— Laisse dormir mes petits fils près de moi, dit alors le loup garou.

Le père les amena tous deux et ils se couchèrent près de lui. Au milieu de la nuit, il les dévora et les avala. Le lendemain, il se leva. Le père demanda :

— Où sont mes enfants ?

L’autre répondit :

— Ils m’ont quitté la nuit pour aller te retrouver.

On chercha partout les deux garçons sans les rencontrer. Alors on tua le loup garou. Son sang coula sur l’herbe ; une vache en mangea et mit bas un veau. Ce veau dit à la maîtresse de la maison :

— Si tu ne me donnes pas du lait et du pain, je t’avale.

La femme eut peur et donna le tout au veau, mais ensuite elle raconta la chose à son mari qui égorgea le veau et mit de la cendre dans son ventre.

La cendre qui se trouvait là dit à la femme :

— Donne-moi du pain ou du beurre, sinon je te tue.

La femme eut peur et donna ce qui lui était demandé ; puis elle raconta la chose à son mari. Celui-ci fit une entaille au ventre et répandit la cendre dans la forêt. Alors la cendre cria :

— Ceux qui veulent être riches doivent s’enduire de moi.

Quatre hommes s’en oignirent et tous devinrent fous ; ils se précipitèrent dans un ruisseau et le ruisseau fut empoisonné.



  1. Les Saho habitent au sud-est des Bilin, dans l’Érythrée italienne, entre le Hamasèn et la mer.
  2. Reinisch, Die Sahosprache, t. I, Vienne, 1889, A. Hœlder, in-8, p. 127-135.