Contes populaires d’Afrique (Basset)/128

E. Guilmoto, Éditeur (Les Littératures populaires, tome XLVIIp. 335-338).

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HISTOIRE DE L’OISEAU MERVEILLEUX DU CANNIBALE[1]


Une fois, plusieurs jeunes filles s’en allèrent de bon matin de chez elles, dans le but de recueillir de l’imbola (argile rouge colorante). Parmi elles était l’enfant d’un chef : une très jolie fille. Après qu’elles eurent recueilli de l’imbola, elles songeaient à revenir chez elles, quand l’une d’elles leur proposa de se baigner dans un vaste étang qui était là. Cela leur plut à toutes : elles entrèrent dans l’eau et y jouèrent longtemps. À la fin, elles se rhabillèrent et partirent à la maison.

Mais comme elles avaient déjà parcouru une certaine distance, la fille du chef remarqua qu’elle avait oublié un de ses ornements qu’elle avait ôté, quand elle était allée se baigner. Alors elle demanda à sa cousine de retourner avec elle le chercher. Celle-ci refusa. Elle s’adressa alors à une autre jeune fille, puis à une autre ; mais toutes refusèrent de revenir sur leurs pas. Elle fut obligée de s’en retourner seule à l’étang, tandis que les autres allaient à la maison.

Quand elle arriva à l’étang, un gigantesque et effroyable cannibale qui n’avait qu’un seul pied, vint à elle, la saisit et la mit dans son sac. Elle fut si effrayée qu’elle se tint tranquille. Alors le cannibale lui fit faire le tour de différents villages et la fit chanter pour lui. Il l’appela son oiseau. Quand il arrivait à un village, il demandait de la nourriture et, quand on la lui avait donnée, il disait :

— Chante, mon oiseau.

Mais il ne voulait jamais ouvrir le sac pour qu’on pût voir quelle espèce d’oiseau il avait.

Quand les jeunes filles furent arrivées à la maison, elles dirent au chef que sa fille avait atteint l’âge de puberté ; et alors elles choisissaient l’une d’elles pour l’emmener dans une hutte. Le chef crut à cette histoire : il tua un grand bœuf et dit au peuple qu’il fallait le manger. Ce jour-là, les gens mangèrent du bœuf gras et furent très joyeux. Les garçons prirent de la viande et sortirent du village pour la manger.

Le cannibale, qui ne savait pas que le père de la jeune fille était chef en cet endroit, y vint juste à ce moment. Il dit aux garçons que s’ils voulaient lui donner à manger, il ferait chanter son oiseau pour eux. Ils lui donnèrent sa nourriture et il dit :

— Chante, mon oiseau.

Le frère de la jeune fille était parmi ces garçons et pensa que l’oiseau chantait comme sa sœur, mais il eut peur de demander au cannibale de le lui montrer. Il l’avertit d’aller dans le village où étaient les gens et lui dit qu’il y avait ce jour-là abondance de viande.

Alors le cannibale alla au village et fit chanter son oiseau. Le chef désira beaucoup le voir, mais le cannibale refusa d’ouvrir son sac. Le chef lui offrit un bœuf pour l’oiseau, mais le cannibale repoussa cette offre. Alors le chef fit un plan. Il demanda au cannibale d’aller lui chercher un peu d’eau et lui dit qu’il lui donnerait beaucoup de bœufs quand il reviendrait. Le cannibale dit qu’il irait si on lui promettait de ne pas ouvrir le sac quand il serait parti. Tous lui promirent de ne pas y toucher. On lui donna un pot qui fuyait pour y rapporter de l’eau, de façon qu’il fût longtemps absent. Dès qu’il fut hors de vue, le chef ouvrit le sac et en fit sortir sa fille. D’abord, il ne put croire que c’était elle, car il croyait qu’elle observait l’intonjane (réclusion imposée aux filles qui atteignent l’âge de puberté). Mais quand il sut que les autres filles l’avaient trompé, il déclara qu’elles devaient toutes mourir et elles furent tuées. Alors on mit des serpents et des crapauds dans le sac et on le referma.

Quand le cannibale revint, il se plaignit du pot troué : on lui donna beaucoup de viande pour le satisfaire. Il reprit son sac et s’en alla. Il ne savait pas ce qui était arrivé tandis qu’il était absent. Quand il s’approcha de sa propre maison, il cria à sa femme :

— Dépêche-toi de faire cuire ceci.

Il envoya chercher les autres cannibales pour venir au festin et ils arrivèrent espérant trouver quelque chose d’agréable. Il les fit attendre un peu pour qu’ils eussent bien faim. Alors il ouvrit le sac, pensant en tirer la jeune fille, mais il n’y trouva que des serpents et des crapauds. Les autres cannibales furent si furieux envoyant cela qu’ils le tuèrent et se régalèrent de lui.



  1. Mac Call Theal, Kaffir Folk-lore. Londres, Swan Sonnenchein, 1897, in-8o, p. 125-128.