Contes populaires d’Afrique (Basset)/101

E. Guilmoto, Éditeur (Les Littératures populaires, tome XLVIIp. 256-262).
LIII. — ROUGANDA[1]

101

LE LAPIN ET L’ÉLÉPHANT[2]


Le lapin et l’éléphant allèrent à une fête en l’honneur de la naissance de jumeaux. Le lapin dansa, l’éléphant aussi, mais mal.

— Qu’est-ce qui t’empêche de bien danser ? demanda le lapin. Tu es énorme ; permets que je te coupe une partie de cette chair pour que tu puisses danser convenablement comme moi.

Il lui en coupa et ils s’en retournèrent. Le lapin s’en alla chez lui avec la chair de l’éléphant qu’il avait coupée ; l’éléphant s’en retourna aussi chez lui. En arrivant, il se sentit en proie à une vive douleur. Il dit au buffle :

— Va dire au lapin qu’il me rende la chair qu’il a coupée sur mon corps.

Le buffle partit, arriva chez le lapin et lui dit :

— Lapin, donne-moi la chair de ton ami.

— Est-ce qu’un envoyé ne mange pas d’abord ? dit le lapin.

— Si fait, il mange.

Le lapin prépara des bananes en y ajoutant la chair de l’éléphant. Quand tout fut cuit, on se mit à manger. Le buffle demanda :

— Où as-tu tué l’animal qui a une chair si délicieuse ?

Le lapin répondit :

— Je l’ai tué là-bas sur la colline de Nserigisa-ebikongoliro.

— Allons chasser ensemble, dit le buffle.

Ils partirent et tendirent des filets. Le lapin lui dit :

— Si tu entends quelque chose arriver avec un bruit sourd, tu détourneras la tête ; mais si tu entends quelque chose arriver avec un bruit strident, tu présenteras la tête.

Le buffle, entendant quelque chose arriver avec un bruit strident, présenta la tête. Le lapin le frappa et le tua ; il l’écorcha et l’emporta chez lui.

Alors l’éléphant envoya l’antilope :

— Va dire au lapin : Ton ami va mourir ; rends-lui sa chair.

L’antilope partit et alla chez le lapin :

— Ton ami va mourir, dit-elle ; donne-moi sa chair, que je l’emporte.

— Est-ce qu’un envoyé ne mange pas d’abord ? dit le lapin.

— Si fait, répondit l’antilope.

Le lapin prépara des bananes et y ajouta la chair du buffle. Quand le repas fut cuit, on se remit à manger. L’antilope demanda :

— Où as-tu tué l’animal quia une chair si délicieuse ?

— Je l’ai tué là-bas, sur ma colline de Nserigisa-ebikongoliro.

— Allons tous deux à la chasse, dit l’antilope.

Ils s’en allèrent et tendirent des filets. Le lapin lui dit :

— Si tu entends quelque chose venir avec un bruit sourd, tu détourneras la tête, mais si tu entends quelque chose venir avec un bruit strident, tu présenteras la tête.

L’antilope entendit venir quelque chose avec un bruit sourd, et elle détourna la tête ; puis elle entendit quelque chose venir avec un bruit strident et elle présenta la tête. Le lapin la frappa et elle mourut. Il l’emporta chez lui et l’écorcha.

L’éléphant envoya encore un grand nombre d’animaux chercher sa chair. Le lapin les tua tous sans en laisser échapper un seul.

À la fin, l’éléphant envoya le léopard en lui disant :

— Va, toi, tu es fort ; rapporte-moi vite ma chair, je t’en supplie ; ne tarde pas, si tu tardes, tu me trouveras mort.

Le léopard courut, arriva chez le lapin et l’appela du dehors.

— Kabaka, répondit le lapin.

— Donne-moi la chair de ton ami, que je l’emporte à l’instant.

— Est-ce qu’un envoyé ne mange pas d’abord, répondit le lapin ?

— Si fait, répondit le léopard ; et il ajouta : Tous les messagers qu’il a envoyés ne sont-ils pas arrivés ?

— Je ne les ai pas vus.

Le lapin prépara le repas, mêlant aux mets la chair des envoyés. Quand le repas fut cuit, on se mit à manger. Le léopard dit :

— Où as-tu tué l’animal qui a une chair si délicieuse ?

Je l’ai tué là-bas sur ma colline de Nserigisa-ebikongoliro.

— Allons chasser tous les deux, dit le léopard. Ils partirent et tendirent les filets. Le lapin dit :

— Tiens-toi là, près des filets ; pour moi, je vais faire lever le gibier. Si tu entends quelque chose venir avec un bruit sourd, tu détourneras la tête. Mais si tu entends quelque chose venir avec un bruit strident, tu présenteras la tête.

Le léopard, entendant quelque chose venir avec un bruit sourd, détourna la tête. Ensuite, entendant venir quelque chose avec un bruit strident, il détourna encore la tête et tomba comme s’il était mort. Le lapin lui dit :

— Tu fais le mort et tu as laissé passer près de toi un musu.

Le léopard ne répondit pas. Le lapin coupa des branches de palmier épineux, en enveloppa le léopard, le mit sur sa tête et l’emporta vers sa maison. En route, le léopard sortit une griffe et le piqua à la tête. Le lapin le déposa par terre et dit :

— J’ai attaché là-dedans une épine.

Il refit le paquet, le remit sur sa tête, le porta à l’endroit où il devait écorcher le cadavre, alla chercher un couteau et délia le paquet. Le léopard s’échappa et le lapin se sauva.

Le léopard le poursuivit : le lapin entra dans un trou de termitière. L’autre arriva et ne put pas entrer dans le trou. Il dit au corbeau :

— Fais la garde ici ; je vais aller chercher du feu.

Le corbeau fit la garde. Le lapin se tenant dans le trou lui dit :

— Corbeau, veux-tu que je te donne des termites ?

— Oui, dit-il, donne-m’en.

— Ouvre les yeux que je t’en donne.

Le corbeau les ouvrit ; le lapin prit de la terre et la lui jeta dans les yeux, puis il sortit du trou et se sauva. Le corbeau se dit :

— Le léopard va me frapper ; que vais-je faire ? Bien ; je m’en vais chercher des utengos (fruits qui éclatent au feu). Il apporta des utengos et les jeta dans le trou. Le léopard revint et lui demanda :

— Le lapin est-il encore dans le trou ?

— Oui.

Alors le léopard y mit le feu : un utengo éclata et le corbeau dit :

— Un œil vient d’éclater.

Un second utengo éclata de même et le corbeau continua :

— L’autre œil vient d’éclater.

Un autre utengo éclata encore.

— Le ventre vient d’éclater, dit le corbeau ; il est mort : allons-nous-en.

Ils s’en allèrent : le léopard arriva chez l’éléphant et dit :

— Je suis allé chez le lapin ; il est entré dans un trou trop petit pour que je puisse y pénétrer ; j’y ai mis le feu et je l’ai tué.

L’éléphant le félicita de l’avoir tué.

C’est ainsi que le lapin fut sauvé.



  1. Le rouganda ou Iouganda est la langue parlée dans l’Ouganda au N. et au N.-E. du grand lac Victoria Nyanza, dans l’Afrique orientale anglaise.
  2. Les PP. LL. et C. D. des Pères blancs : Manuel de langue Iuganda, 2e éd. Einsiedeln, Benzinger, 1894, in-12, p. 279-286.