Contes populaires/La Fortune et Sylvain

G. E. Desbarats (p. 219-220).

XIV

LA FORTUNE ET SYLVAIN


Oyez, oyez chose estrange mais très commune ce jour d’huy.
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Louison, ma toute belle
Donne, donne moi ta foi ;
Promets de m’être fidèle
Oncque n’aimerai que toi.
Ainsi parlait à sa blonde,
Tout en lui serrant la main,
Le jeune et bouillant Sylvain,
Dont le cœur était plus plein
Que la bourse n’était ronde.
La Fortune l’entendit
Et rit.
Petit sot, va ! se dit-elle,
Tu trahiras tes serments !


Rien qu’à voir ton escarcelle
Je m’aperçois que tu mens.



Aussitôt la tracassière
Prend l’allure et le maintien
D’une vieille douairière
Riche en laideur comme en bien :
Beau Sylvain ! dit-elle ensuite
À l’amant de Louison,
La beauté s’efface vite
Elle n’a qu’une saison ;
Mais la richesse console
De la perte des appas,
Et si la fraîcheur s’envole
Les écus ne volent pas.
Je t’aime. Es-tu libre encore
De disposer de ton cœur ?
Eh quoi ?…. ton front se colore
D’une pudique rougeur ;
Crois-tu qu’une châtelaine
Ne peut aimer un vilain ?….
Bref, au bout de la semaine
Sylvain était châtelain.

Ce dénoûment semble étrange,
Il ne l’est guère pourtant :
En ce monde rien ne change
Plus tôt le cœur que l’argent.