Contes littéraires du bibliophile Jacob à ses petits-enfants/Madame de Sévigné et ses enfants à la cour de Versailles

MME DE SÉVIGNÉ ET SES ENFANTS À LA COUR DE VERSAILLES modifier

(1662)


Marie de Rabutin Chantal, marquise de Sévigné, était restée veuve, en 1651, à l’âge de vingt-cinq ans, après sept années de mariage. Le marquis de Sévigné, qui estimait sa femme et ne l’aimait pas, disait-il lui-même, s’était fait tuer dans un duel, dont la cause n’avait rien de bien honorable pour sa mémoire. Madame de Sévigné, qui aimait son mari et ne l’estimait guère, le regretta sincèrement et ne se consola de l’avoir perdu qu’en se consacrant à l’éducation de ses deux enfants, un fils, né en 1647, une fille, née en 1648.


La marquise de Sévigné était une des femmes les plus remarquables du temps de Louis XIV. Elle appartenait, par sa naissance, aux plus hautes classes de la noblesse française, et elle avait été élevée, avec la plus soigneuse sollicitude, sous les yeux de son oncle, l’abbé de Coulanges, qui prit à tâche de cultiver en même temps la raison et l’intelligence de cette intéressante orpheline. C’est aux conseils paternels de son digne tuteur que Marie de Rabutin Chantal fut redevable du bon emploi qu’elle fit, pendant toute sa vie, de ses grandes qualités morales. Elle avait reçu, de bonne heure, une instruction aussi solide qu’étendue. Le savant Ménage, son précepteur, lui apprit le latin, l’italien et l’espagnol, en lui enseignant tous les raffinements, toutes les délicatesses de la langue française ; Chapelain, qui passait pour le critique le plus judicieux, avait bien voulu joindre ses leçons à celles de Ménage.


La gracieuse élève de ces deux littérateurs éminents brilla donc, à la cour d’Anne d’Autriche, par son esprit autant que par sa beauté ; elle fut aussi une des Précieuses les plus admirées de l’hôtel de Rambouillet, si célèbre par les réunions de femmes distinguées qui composaient le cercle fameux de la marquise de Montausier ; car, à cette époque, le nom de précieuse n’était pas encore pris en mauvaise part et ne s’appliquait qu’à des personnes d’un esprit supérieur. Après son veuvage, la marquise de Sévigné, qui était alors dans tout l’éclat de la jeunesse, renonça au monde et se donna tout entière à ses enfants, qu’elle éleva comme elle avait été élevée elle-même. Elle vivait retirée, à Paris, dans le quartier du Marais, sans vouloir reparaître à la cour et sans tenir compte des occasions qui s’offraient à elle de se remarier avec avantage. Elle bornait ses relations au commerce de quelques amis, que lui recommandaient l’honorabilité de leur caractère et les agréments de leur société. Elle avait même fermé sa porte à son cousin le comte de Bussy-Rabutin, malgré l’attachement qu’elle lui conservait depuis leur enfance, quand ce gentilhomme, qui était maréchal de camp dans les armées du roi, et qui pouvait aspirer à une position importante dans les grandes charges de l’État, s’il eût été plus sage et plus prudent, se laissa entraîner au courant d’une vie folle et désordonnée.


Cependant, les deux enfants de madame de Sévigné étaient en âge de faire leur entrée dans le monde, et la mère n’avait plus de motifs pour continuer à se séquestrer avec eux dans une retraite presque claustrale. C’était à la fin de 1662. Charles de Sévigné avait atteint sa seizième année, sa sœur Françoise allait avoir quinze ans : l’un devait bientôt se préparer à entrer dans la carrière militaire ; l’autre était déjà digne de paraître à Versailles, auprès de sa mère, la belle et charmante marquise de Sévigné, qu’une absence de douze années n’avait pas fait oublier de ses contemporains de l’ancienne cour.


Cette jeune fille se trouvait douée de tous les avantages que la nature avait départis à sa mère, mais elle n’en savait pas encore le prix, car elle était d’une modestie sans pareille et d’une excessive timidité, qui ne diminuait pas la conscience qu’elle pouvait avoir de la distinction de sa figure et de son esprit. Son frère, au contraire, qui n’était, ni moins beau, ni moins bien fait, ni moins spirituel, s’exagérait peut-être ses qualités et son mérite, en se croyant appelé à marcher l’égal des plus nobles et des plus brillants seigneurs de la cour de Louis XIV.


Au mois de novembre 1662, la marquise de Sévigné reçut une lettre de François de Beauvillier, comte de Saint-Aignan, premier gentilhomme de la chambre, qui lui annonçait que le roi avait parlé d’elle avec éloges et que Sa Majesté désirait la voir figurer, ainsi que sa fille, dans le Ballet des Arts, qu’on montait alors à Versailles pour y être représenté vers le milieu de janvier de l’année suivante. À la réception imprévue de cette lettre, madame de Sévigné tint conseil avec ses enfants : son fils ne se sentait pas de joie, à l’idée d’être présenté à la cour ; mais sa fille eût préféré se voir dispensée d’accepter un honneur qui lui causait d’avance tant de trouble et d’embarras. Une invitation du roi était un ordre, auquel il fallait se soumettre, sous peine d’être à jamais en disgrâce. Cependant madame de Sévigné cherchait un prétexte pour se faire une excuse et un motif de refus. Elle écrivit à son cousin, le comte de Bussy-Rabutin, qui était l’ami du comte de Saint-Aignan, et elle le pria de trouver l’excuse qu’elle pût faire valoir.


Bussy-Rabutin s’empressa de lui répondre qu’il n’y avait pas d’excuse admissible ; que le roi avait daigné, en effet, remarquer son absence à la cour, et que ce serait perdre l’avenir de son fils, compromettre celui de sa fille, et se rendre pour toujours indigne des bonnes grâces de Sa Majesté, que d’hésiter à se montrer à Versailles, avec ses deux enfants, quand le roi daignait l’y inviter.


Madame de Sévigné ne balança plus et répondit au comte de Saint-Aignan, qu’elle était vivement touchée des bontés du roi à son égard, et qu’elle se conformerait humblement aux intentions de Sa Majesté.



La marquise de Sévigné reçut une lettre du comte de Saint-Aignan.


De ce moment, tout est changé dans l’intérieur de la marquise de Sévigné. On ne songe plus qu’aux préparatifs d’un premier voyage à Versailles. Il y a bien un vieux carrosse sous la remise et un assez bon cheval dans l’écurie : le second cheval est acheté ; le carrosse est repeint et remis à neuf ; le cocher et le petit laquais auront des livrées neuves. Madame de Sévigné n’avait qu’à se souvenir, pour aviser aux nécessités de toilette qu’exigeait une présentation à la cour. Les joailliers, les lingères, les couturières, les cordonniers, tous les marchands qui concourent à l’œuvre compliquée du costume féminin et masculin, sont mandés à la fois pour exécuter en toute hâte les habits de cour, pour la mère et ses deux enfants. Depuis près de douze ans que madame de Sévigné était veuve, elle avait affecté la plus grande simplicité dans sa manière de se vêtir, mais elle n’avait pas perdu le sentiment et le goût de l’élégance. Ce fut donc elle qui prit plaisir à diriger et à inspirer les ouvriers et les ouvrières, qui travaillèrent aux riches habillements que son fils et sa fille devaient porter à Versailles.


C’était le commencement des splendeurs du règne de Louis XIV. Aussitôt après son mariage en 1660, le roi avait eu la pensée de faire de Versailles la ville royale et le siège de la royauté. Le petit château, construit par Louis XIII, n’avait pas été fait pour y établir une cour, et la cour la plus magnifique de l’Europe. Le roi s’était refusé, toutefois, à faire disparaître cet ancien château ; il l’avait conservé, au contraire, en souvenir de son père, et il ordonna seulement, en 1661, à son architecte, Louis Levau, de faire un nouveau plan, dans lequel il encadrerait de nouveaux bâtiments magnifiques le petit château primitif. On commença sur-le-champ les constructions, qui furent poussées avec tant de vigueur et de promptitude, que, dans l’espace de dix-huit mois, on avait élevé une partie de ces bâtiments, qui devaient composer le château neuf.


Louis XIV se plaisait à suivre les travaux, et il était si impatient de prendre possession de sa résidence de Versailles, qu’il venait de temps à autre occuper l’ancien château avec ce qu’on appelait la jeune cour. Mais les grandes réceptions avaient toujours lieu dans les châteaux de Saint-Germain, de Vincennes et de Fontainebleau, où la cour n’était pas gênée par l’exiguïté du local. Ce fut dans ces différents châteaux que se donnaient les représentations de ballets et de comédies, qui ne furent définitivement transportés au château de Versailles qu’au printemps de l’année 1664.


Louis XIV voulait cependant inaugurer, en quelque sorte, ce château, par une fête théâtrale, dès les premiers jours de 1663, et il avait commandé à Benserade le programme d’un ballet, qu’il devait danser, en personne devant les deux reines, la reine-mère Anne d’Autriche et la reine Marie-Thérèse sa femme, avec sa belle-sœur Madame Henriette d’Angleterre. Ce ballet, intitulé : Ballet des Arts, se composait de sept entrées ou intermèdes sur des sujets divers, savoir : l’Agriculture, la Navigation, l’Orfèvrerie, la Peinture, la Chasse, la Chirurgie et la Guerre. Le roi avait choisi lui-même les dames et demoiselles qui seraient chargées des rôles de danse, dans chacune de ces entrées. C’est ainsi qu’il se rappela la belle figure que la marquise de Sévigné faisait dans les ballets de cour, avant son veuvage, et ayant été prévenu que la fille de cette dame n’était pas inférieure à sa mère en beauté et en grâce, il avait manifesté le désir de les avoir toutes deux parmi les danseuses de son ballet. Les répétitions de la danse et du chant se faisaient alors une fois par semaine dans la salle provisoire du théâtre, et le roi ne dédaignait pas d’y assister avec les princes et princesses de sa famille.


Madame de Sévigné fut donc invitée à venir passer deux jours au château de Versailles, avec sa fille et son fils, qui auraient chacun à remplir un rôle dans le ballet. Le jeune marquis de Sévigné devait être un des guerriers de la suite de Mars, à l’entrée de la Guerre ; mademoiselle de Sévigné, une des nymphes de Diane, à l’entrée de la Chasse. Quant à madame de Sévigné, qui avait un caractère de beauté noble et majestueuse, le comte de Saint-Aignan lui avait réservé le rôle de Cybèle, dans l’entrée de l’Agriculture, où la duchesse d’Orléans avait demandé le rôle de Flore. L’heure de la répétition exigeait que tous les personnages du ballet fussent à leur poste, vers la tombée du jour, car le roi arrivait ordinairement à la répétition, vers sept heures du soir, avec les deux reines, et se retirait, une heure après, pour aller souper. La marquise avait décidé qu’elle partirait de Paris à midi, pour avoir le temps de se reposer un peu avant la répétition.


Au moment où elle montait en voiture avec ses enfants, un courrier, venu de Versailles à franc étrier, lui remit un billet sans adresse, fermé d’un cachet aux armes de Bussy-Rabutin. Elle l’ouvrit d’une main tremblante et reconnut l’écriture de son cousin. Le billet ne contenait que ces mots :


« Je suis victime d’une infâme calomnie et gravement compromis : il est question de m’envoyer à la Bastille et de me faire juger au criminel. Je me trouve fort en peine, chère cousine, si vous ne me venez pas en aide.


« On m’assure que vous avez un crédit, que vous emploierez mieux que personne à me sauver. Dépêchez-vous de venir à Versailles. Je vous prie, à votre arrivée, de suivre le gentilhomme, qui vous dira le mot du guet, c’est-à-dire : Trop est trop. »


Madame de Sévigné ne fit aucune réponse à cette lettre et se garda bien d’en rien dire à ses enfants, mais elle fut très préoccupée, pendant le voyage, qui ne s’accomplit pas en moins de trois heures et demie. Ses enfants respectèrent sa préoccupation et restèrent silencieux, à leur place, en regardant distraitement ce qui se passait sur la route.


Cette route, assez mal entretenue et semée d’ornières profondes, était constamment obstruée par des chariots de toutes sortes qui se dirigeaient lentement sur Versailles, où ils voituraient des pierres, du plâtre et des bois, pour la construction du château ; des rocailles, des tuyaux de plomb et des statues, pour les jardins. Le cocher de madame de Sévigné avait besoin de toute sa prudence pour éviter des chocs et des accidents, que les charretiers ne songeaient pas à lui épargner, et ses plaintes, ses colères, ne servaient qu’à rendre sa position plus mauvaise et plus difficile vis-à-vis de ces gens brutaux et méchants, qui n’écoutaient ni menaces, ni prières. Le jeune marquis essaya de leur adresser la parole, mais il ne recueillit, de leur part, que des railleries, des injures et des éclats de rire. Charles de Sévigné, qui était tout fier de se voir habillé en gentilhomme, les menaçait de se plaindre à Sa Majesté.



Le marquis de Sévigné se querelle avec les charretiers, sur la route de Versailles


— Monseigneur, lui répondit d’un air moqueur le voiturier auquel il s’adressait, Sa Majesté sera bien aise d’apprendre que nous ne cessons, ni jour ni nuit, d’apporter des matériaux sur les chantiers de Versailles, pour achever les travaux de la bâtisse. Il y a, tous les jours, deux mille charrois qui passent et repassent, pour le service du roi, sur cette route, où les carrosses ont grandement tort de s’aventurer.


En ce moment, passait, sur la route, à travers un lac de boue liquide, une bien étrange voiture, qui n’était autre qu’un petit haquet, traîné par un petit cheval, qui galopait à fond de train, en faisant jaillir autour de lui un déluge de boue. Ce haquet était chargé d’une espèce de bahut, enveloppé de vieilles couvertures et de toiles de matelas, lequel oscillait à chaque cahot de la charrette, en rendant des sons métalliques et des murmures plaintifs, auxquels se mêlait une voix humaine. Ce singulier véhicule avait pour conducteurs une vieille femme, qui pouvait être prise pour une bohémienne, à cause d’un costume de théâtre aux couleurs éclatantes, qu’elle cachait sous un vieux manteau à capuchon rapiécé, et un jeune garçon, à la mine fine et malicieuse, qui portait aussi un vieux costume de toile à carreaux bleus et rouges, sur un véritable déguisement théâtral en velours, rehaussé de passementeries d’or. Il avait sur la tête une calotte en cuir noir, qu’il couvrait d’un immense chapeau de feutre à larges bords, surmonté d’une plume de coq.


La voiture de madame de Sévigné avait été si abondamment éclaboussée par le passage de ce haquet, qui était déjà loin, qu’elle ne présentait plus, d’un côté, qu’une couche de boue jaunâtre. Le marquis de Sévigné, indigné du vilain procédé des conducteurs du haquet, mit la tête à la portière et les somma de s’arrêter, sous peine d’avoir affaire au lieutenant civil du Châtelet de Paris. Les gens du haquet ne répondirent à ces menaces que par des éclats de rire, et fouettèrent de plus belle leur petit cheval, qui les eut bientôt mis hors de la portée de la voix et de la vue.


— Ce sont des coquins de bohémiens, dit Charles de Sévigné avec emportement. Ces fripons-là n’obéissent qu’au bâton. Si je les puis rencontrer plus tard, je les forcerai bien à essuyer, avec leur langue, la boue qu’ils nous ont envoyée.


— Fi donc ! reprit la marquise de Sévigné. Iriez-vous, mon fils, vous commettre avec de pareilles gens !


— Si c’étaient des gens de ma sorte, ajouta le jeune homme irrité, ce n’est pas un bâton, mais une bonne épée, que je leur mettrais sous le nez, pour les contraindre à nous demander pardon, madame ma mère !


Ils arrivèrent à Versailles, une heure après, et la colère de Charles de Sévigné se réveilla plus terrible, quand il vit que la livrée du cocher et du laquais était mouchetée de boue et semée de taches, comme une peau de panthère.


Les alentours du château ressemblaient à un vaste chantier de construction ; partout, des ouvriers taillant les pierres, équarrissant le bois, martelant le fer ; partout, des charrois et des charretiers, en mouvement. Ce ne fut pas sans peine que le carrosse parvint à se frayer un chemin, entre mille obstacles, jusqu’à l’entrée du château. Là, stationnait un gentilhomme, de grand air, coiffé d’un chapeau à panache noir, drapé dans un manteau de couleur sombre, la main gantée sur la poignée de son épée, les jambes serrées dans de grosses bottes de cuir vernis avec éperons d’argent. Il attendait le carrosse et il l’avait reconnu de loin aux armes peintes sur les portières : il s’en approcha et le fit arrêter, en saluant respectueusement la marquise de Sévigné.


— Madame, Trop est trop ! lui dit-il, avec un coup d’œil d’intelligence. J’aurai l’honneur, s’il vous plaît, de vous mener là où vous êtes attendue et souhaitée, comme l’était, après le Déluge, la colombe, revenant à l’arche de Noé, avec une branche d’arbre verte dans le bec.


— Monsieur, répondit madame de Sévigné, qui, dans toute autre circonstance, aurait ri de cette comparaison assez ridicule, veuillez me dire où il faut aller, et je donnerai ordre de m’y conduire sur l’heure, car je ne suis pas seule, et mes enfants doivent attendre mon retour, sans quitter la voiture.


— Vous ne serez pas longtemps absente, Madame, reprit l’inconnu en saluant de nouveau, mais votre carrosse ne saurait suivre le chemin que nous allons prendre. L’affaire presse, et vous seriez la première chagrine des conséquences d’un retard. Il vaut mieux que votre carrosse s’en aille attendre votre retour, dans la cour basse des Communs, où il vous faudrait descendre pour gagner le logement qui vous est réservé au château.


— Monsieur, se prit à dire Charles de Sévigné, pendant que sa mère sortait de la voiture, ne tenez pas en mauvaise part le fâcheux état où vous voyez notre carrosse et la livrée de nos gens. C’est un malotru qui les a ainsi éclaboussés, sur la route, et je suis encore confus et dépité de n’avoir pas châtié son insolence. Si je connaissais son maître, ce maître-là paierait au double pour son valet.


— Ne vous échauffez pas pour si peu, Monsieur le marquis, repartit le gentilhomme : il suffira d’un coup de brosse, ou d’un coup d’éponge, pour remettre les choses en leur état présentable, et si nous retrouvons le malotru, je vous aiderai à le rosser d’importance.


Le jeune Sévigné rougit d’orgueil, en s’entendant qualifier de marquis par un homme qui, à en juger par le ton et par l’habit, devait appartenir à la maison militaire du roi ou d’un prince du sang. Il se redressa d’un air de suffisance et envoya un regard satisfait à sa sœur, qui s’était cachée dans ses coiffes.


La marquise de Sévigné, quoique richement et galamment habillée sous son costume de voyage, n’avait pas fait difficulté de descendre de voiture et d’accompagner à pied son guide inconnu, d’autant plus qu’elle était pourvue d’une double chaussure qui lui permettait de braver la marche dans de plus mauvais chemins. Elle donna des ordres à ses domestiques, en leur laissant la garde de ses enfants, et elle s’éloigna, en suivant le gentilhomme qui n’eût pas osé lui offrir le bras.


D’après ses instructions, le cocher conduisit le carrosse, en contournant les nouveaux bâtiments du château, dans une des cours de service, où devaient se rendre les voitures de toutes les personnes qui avaient reçu des invitations de la part du roi. Charles de Sévigné causa d’abord de choses et d’autres avec sa sœur, qui n’était pas rassurée, en se voyant seule avec lui, en l’absence de leur mère, et qui jetait des regards furtifs par la portière. Elle aperçut avec inquiétude un homme qui semblait faire le guet derrière la voiture et qui ne la perdait pas de vue un moment. Elle examina timidement les allures de cette espèce d’espion, avant de le faire remarquer à son frère.


C’était un petit bout d’homme, gros et court, qui portait fièrement une tête énorme avec la figure la plus hétéroclite, et qui ne paraissait pas embarrassé de montrer une pareille figure : des yeux ronds de chat-huant, un long nez crochu comme un bec de vautour, une énorme bouche aux dents saillantes, le tout au milieu d’un masque grimaçant sous une peau jaunâtre et ridée. Ce monstre avait, d’ailleurs, une physionomie joviale et comique, qui n’était pas faite pour inspirer de la défiance ou de l’effroi, malgré la difformité des traits de son visage. Il était assez bien pris dans sa taille et ne manquait pas, dans son port, d’une certaine distinction, qui provenait surtout de l’assurance que lui donnait sa position personnelle, sinon son rang, à la cour.


Le costume de ce singulier personnage n’annonçait pas cependant un courtisan. Il était vêtu à l’espagnole : casaque longue à manches bouffantes et chausses également bouffantes autour des reins, tout en satin noir, avec des crevés de satin rouge ; il portait une collerette tuyautée à quatre rangs et une large ceinture de cuir de Cordoue doré. Il tenait à la main une espèce de sceptre, à l’extrémité duquel s’agitaient quatre grelots d’argent. Ce sceptre de bois d’ébène, qui n’était pas une canne, devait être un bâton de commandement, et servir d’attribut aux fonctions qu’il avait à remplir dans le château.


— C’est probablement un des concierges du château, dit Charles de Sévigné. On croirait volontiers qu’il a été choisi exprès pour faire peur aux gens.


— Si nous étions en carnaval, reprit mademoiselle de Sévigné, je penserais que c’est un vrai carême-prenant.


Tout à coup Charles de Sévigné reconnut, dans un coin de la cour des Communs, le haquet qui avait si bien éclaboussé le carrosse de sa mère. Le bahut, enveloppé de couvertures et de toiles à matelas, qu’il se souvenait d’avoir vu sur ce haquet, ne s’y trouvait plus, mais le cheval était encore attelé, et le petit marquis aperçut, à l’entrée d’un passage voûté, le conducteur du haquet, lequel ne portait plus son costume déguenillé, en toile à carreaux de couleurs, mais qui se montrait dans un costume de théâtre en velours noir parsemé d’or, avec une toque à plumes noires, comme s’il allait monter sur la scène.


— Par la mordieu ! s’écria Charles de Sévigné, voici le coquin qui nous a inondés de boue et qui n’en a fait que rire. Je veux lui dire son fait et le traiter comme il mérite de l’être.


— Quelle folie ! reprit mademoiselle de Sévigné, qui cherchait à le raisonner. Tu n’iras pas sans doute te commettre avec ce comédien !


Mais Sévigné avait déjà sauté à bas du carrosse et courait demander une explication à ce grand garçon, qui avait aussi reconnu le carrosse couvert de boue et qui n’était plus disposé à soutenir une querelle, en plein château de Versailles, contre un jeune seigneur de la cour. Il voulait se dérober à cette rencontre délicate, mais Charles de Sévigné ne lui en donna pas le temps et le saisit rudement par le bras.


— Mordieu ! monsieur le comédien, lui dit-il, je vous retrouve à propos pour vous faire essuyer avec votre langue les jolies éclaboussures que vous avez faites sur mes armoiries et sur la livrée de mes gens.


— Mon prince ! répliqua le conducteur du haquet, interdit de cette brusque allocution et ne sachant à qui il avait affaire : je vous jure que l’accident dont vous vous plaignez est arrivé à mon insu, et je m’en lave les mains…


— Vous laverez d’abord mon carrosse, interrompit Sévigné, qui avait le caractère le plus querelleur et le plus obstiné. Prenez une brosse, s’il vous plaît, et venez nettoyer la livrée que vous avez si joliment accommodée ! Autrement, j’appelle mes gens et je leur ordonne de vous bâtonner de la belle manière !


— Bâtonner quelqu’un, dans le palais du roi ! cria une voix glapissante, qui força Sévigné à changer d’objet et d’adversaire. Bâtonner M. Raisin ! ajouta le petit homme, vêtu de satin noir, qui venait d’accourir, en secouant son sceptre à grelots. C’est là une audace extraordinaire.


— Si Monsieur était gentilhomme, répliqua Sévigné en désignant le comédien qui ne songeait qu’à s’esquiver, je lui aurais proposé de mesurer son épée avec la mienne et de me rendre raison de son insulte.



Vous laverez d’abord mon carrosse ! dit au comédien le marquis de Sévigné.

— Juste ciel ! ce jeune seigneur a perdu le sens ! repartit le petit homme qui brandissait sa marotte en la faisant tourner à tour de bras. Provoquer les gens en duel, dans le palais du roi ! Vouloir forcer M. Raisin à tirer l’épée ! Avoir l’idée infernale de tuer M. Raisin, chez le roi ! C’est là un crime de lèse-majesté.


— Monsieur, je vous fais sincèrement mes excuses ! dit, en s’adressant au marquis de Sévigné, le comédien qui s’effrayait des conséquences de cette querelle bruyante, et je m’en remets à mon ami Langeli pour vous donner satisfaction.


En disant cela, le comédien salua profondément et disparut dans un corridor sombre où il s’était jeté pour échapper à un plus long entretien. Charles Sévigné resta interdit et furieux ; il s’apprêtait à porter sa colère contre l’étrange personnage qui l’avait empêché d’avoir raison d’une injure, lorsque celui-ci lui toucha l’épaule avec le sceptre à grelots qu’il n’avait pas cessé d’agiter, comme l’emblème de son autorité.


— Monsieur le marquis ! dit-il avec un accent impérieux et sévère, que démentait l’expression burlesque de sa figure grimaçante, nous avons le regret de vous placer sous notre surveillance immédiate, pour éviter un scandale dans la maison du roi, et pour nous opposer à un duel entre deux hommes d’honneur. Vous plaît-il de me suivre, Monsieur le marquis ?


Sévigné crut avoir affaire à un officier du palais ayant à exécuter un pouvoir quelconque, que cet officier tenait de ses fonctions ; il ne fit aucune résistance et suivit silencieusement ce nain grotesque, qui marchait en avant, son sceptre levé, comme pour affirmer le droit d’arrestation qu’il avait invoqué. Ils entrèrent sous la voûte principale des Communs du château et s’enfoncèrent dans des corridors tortueux et sombres que connaissait le guide de Charles de Sévigné. Ce dernier n’avait pas peur, mais il éprouvait une sorte d’inquiétude, en s’imaginant qu’il allait comparaître devant un tribunal, car il n’ignorait pas que les duels étaient interdits sous les peines les plus rigoureuses et que le Tribunal des Maréchaux de France ou de la Connétablie réglait sans appel toutes les querelles de point d’honneur.


Mademoiselle de Sévigné avait compris que son frère, dont elle redoutait les emportements et les violences, s’était engagé imprudemment dans une querelle dont elle ne pouvait apprécier à distance l’objet et la portée, mais elle avait vu se former autour du centre de la dispute un groupe de spectateurs, qui l’empêchaient de distinguer ce qui se passait. Elle entendait seulement le bruit confus d’une altercation, dans laquelle dominait la voix de Charles de Sévigné.


Elle attendit avec anxiété la fin de l’aventure et elle avertit le petit laquais, qui était debout à la portière du carrosse, de prêter secours à son maître, dès qu’il en serait temps. Le petit laquais, qui n’était pas d’âge à intervenir utilement dans un conflit où son jeune maître aurait besoin d’aide, profita de la permission qu’on lui en donnait, pour venir se réunir aux curieux qui étaient bien aises d’assister au débat d’un jeune seigneur avec un comédien.



Ils entrèrent sous la voûte principale des Communs du château


Quand mademoiselle de Sévigné constata que son frère n’était plus là, et que la foule qui l’avait entouré se dispersait, elle eut à cœur de savoir ce qu’il était devenu et de lui porter elle-même aide et secours, s’il en avait besoin. Elle triompha de sa timidité naturelle, sous l’empire de son affection fraternelle, et elle descendit de carrosse, sans attendre le retour du petit laquais qui s’était éloigné. Elle se dirigea résolument vers l’endroit où Charles de Sévigné avait disparu et elle n’hésita pas à s’avancer dans un corridor solitaire, que son frère avait dû suivre en partant du même point qu’elle. Mais, quand elle arriva dans une espèce de carrefour auquel aboutissaient cinq ou six chemins différents, elle en prit un au hasard, lequel n’était pas sans doute celui que Charles de Sévigné avait pris, car elle n’eut bientôt plus l’espoir de le rejoindre : elle marchait hâtivement, sans rencontrer personne, au milieu d’un dédale de passages obscurs, qui l’éloignaient du but qu’elle espérait atteindre, et lorsqu’elle essaya de retourner en arrière, elle reconnut avec anxiété qu’elle s’était tout à fait égarée.


Son effroi s’augmenta de plus en plus, quand elle entendit pousser des cris, qui retentissaient par intervalles à travers les longues galeries voûtées et que les échos souterrains se renvoyaient de l’un à l’autre, en rendant ces cris lointains plus inarticulés et plus confus. Elle écoutait, immobile et terrifiée : à plusieurs reprises, elle avait cru reconnaître la voix de son frère, mais aussitôt cette voix, qui semblait prendre le caractère de la menace et de la colère, avait été couverte par des éclats de rire prolongés. Puis, des portes s’ouvrirent et se fermèrent avec fracas, et tout rentra dans le silence. Mademoiselle de Sévigné fut plus effrayée de ce silence, qu’elle ne l’avait été des bruits vagues et incertains, qui lui annonçaient du moins la présence de quelques êtres vivants. Elle doubla le pas et n’eut plus d’autre idée que de sortir de l’ombre qui semblait à chaque instant s’épaissir autour d’elle, car la nuit approchait, et la pauvre jeune fille pouvait prévoir que, d’un moment à l’autre, elle se trouverait arrêtée, sans savoir où elle serait, au milieu des ténèbres.


C’est alors qu’elle se vit au pied d’un grand escalier, qui paraissait aboutir aux étages supérieurs. Elle ne songea plus à descendre, pour arriver à un passage qui la ramènerait à la grande cour des Communs ; elle se préoccupa plutôt de monter dans les Communs, où elle aurait chance de rencontrer un des gens du château, qui l’aiderait à regagner son carrosse. Malheureusement, c’était l’heure du souper, et elle ne trouva pas sur son chemin un seul domestique. Enfin, après bien des tours et des détours, elle parvint, quand le jour lui faisait défaut, à gagner un corridor éclairé par une lampe. Elle se crut sauvée, d’autant plus qu’elle distinguait, à l’extrémité de ce corridor, une assez vive clarté qui venait d’une porte entr’ouverte.


Elle se dirigea rapidement vers cette porte et entra dans une grande chambre, où elle entendait une voix étouffée et inintelligible, accompagnée de petits coups répétés, qu’on frappait contre les parois d’une caisse sonore. La personne qui occupait cette chambre ne devait pas être loin, car elle avait laissé sur une console deux grosses bougies allumées. Au milieu de la pièce, il y avait une espèce de coffre immense, dont la forme était assez inusitée, pour que mademoiselle de Sévigné se rappelât avoir vu, le jour même, ce coffre bizarre, porté sur un haquet, que traînait un cheval et que conduisait un homme en costume de comédien, celui-là même avec qui le jeune marquis de Sévigné s’était pris de querelle sur la route de Versailles. Ce souvenir imprévu n’annonçait rien de bon à mademoiselle de Sévigné, qui n’avait rien de plus pressé que de sortir de cette chambre, mais elle en fut empêchée par l’approche de deux personnes qui allaient y rentrer, en parlant à demi-voix. En même temps, les petits coups, qu’elle avait entendus résonner comme dans un meuble, retentirent de nouveau, et la voix qui les accompagnait sourdement devint plus distincte et plus grondeuse.


— Voulez-vous donc que je meure là-dedans ! criait la voix. J’aimerais mieux être enfermé dans un cachot, que dans cette boîte ! Père, délivre-moi, pour l’amour de Dieu ! J’ai grand besoin de respirer un peu, avant de commencer mes exercices. Je me passerai de nourriture, bien que je n’aie ni bu ni mangé depuis notre départ ! Holà ! vous m’avez donc abandonné, que vous ne répondez pas à mes plaintes ? Par pitié ! grand’mère, obtiens pour moi un quart d’heure de liberté, afin que je puisse reprendre haleine ! Père, au nom du Ciel ! Grand’mère, bonne grand’mère, sauve la vie à ton petit Jean-Baptiste !


Mademoiselle de Sévigné n’avait pu saisir qu’une partie de ces paroles, prononcées avec l’accent de la prière dans l’intérieur du grand coffre, où devait être renfermé un personnage invisible, qui ne se lassait pas de cogner contre les parois de sa prison. Elle n’osa pas attendre de pied ferme les deux individus, qui se querellaient, au moment où ils allaient reparaître dans la chambre, et elle se cacha, toute tremblante, derrière une tapisserie qui la dérobait à la vue de ce comédien et de cette vieille bohémienne, qu’elle n’avait pas oubliés, depuis la querelle de son frère avec eux.


— Auras-tu bientôt fini de faire le sabbat, méchant garçon ? s’écria le comédien, d’une voix de stentor. As-tu juré de ruiner ta famille ? Je ne sais qui me tient que je ne te roue de coups, mauvais drôle ! Je t’emprisonnerai dans ta boîte, dix jours durant !


— Jacques, sois donc plus humain pour l’enfant ! reprit la vieille femme, d’un ton suppliant. Le pauvre petit est encore à jeun depuis ce matin…


— Il a eu le temps de dormir, répliqua durement le comédien. Le fripon sait bien que tu ne voudrais pas qu’il se couchât sans souper ! N’est-il pas juste que nous commencions par souper nous-mêmes, nous qui avons le plus de peine et de travail ?


— L’enfant a faim, dit la vieille. Dépêche-toi de lui donner de l’air, mon cher Jacques, et permets-lui de manger et de boire tranquillement ce que je lui destine. Mais d’abord, crainte de surprise, fermons les portes, avant d’ouvrir la boîte.


La bohémienne s’assura que les portes de la chambre étaient fermées au verrou, pendant que le comédien enlevait d’abord le dessus du coffre et mettait à découvert un orgue portatif, sur les touches duquel il promena ses doigts, pour vérifier si l’instrument avait conservé son accord. Puis, oubliant qu’un malheureux prisonnier attendait impatiemment sa délivrance, il se mit à exécuter un grand morceau de musique sacrée, en faisant vibrer les cordes de l’instrument qui rendait un son aussi puissant que celui de l’orgue dans une église. Le son allait se prolongeant et se répercutant hors de la chambre, à faire croire aux personnes qui pouvaient l’entendre, qu’on célébrait quelque part une cérémonie religieuse. Ce n’était pourtant ni l’heure ni le lieu, pour cela.


— Jacques, nous ne sommes pas mandés à Versailles pour exécuter un stabat dans la chapelle du roi, dit la vieille, en posant sa main décharnée sur l’épaule de l’organiste, qui s’exaltait sous l’inspiration musicale. Il ne s’agit, pour ce soir, que de musique profane et divertissante.


Le musicien ne répondit pas, et changeant de thème, il se mit à jouer un air d’opéra, avec tant d’éclat et de belle humeur, que ses auditeurs, s’il en avait eu, ne se fussent pas lassés de l’écouter et de l’applaudir. Mais il fut interrompu, par de nouveaux coups frappés doucement contre le clavier de l’orgue et par une voix lamentable, qui s’en échappait, en répétant : « Père, j’ai faim, j’ai faim ! Grand’mère, j’ai bien faim ! »


— Ce petit masque ne fera jamais un musicien ! s’écria l’exécutant, qui cessa de jouer et qui alla, en grommelant, ouvrir par derrière le coffre, où le mécanisme de son orgue était renfermé. Ne suis-je pas bien malheureux d’avoir un fils si peu sensible aux charmes de la musique !


La petite porte qui venait de s’ouvrir, à l’aide d’un ressort caché, au bas de l’instrument, était déguisée avec tant d’art, qu’il n’eût pas été possible de soupçonner son existence. Il sortit de là un enfant de six ou sept ans, à moitié nu, qui se traîna sur le carreau, marchant à quatre pattes, comme un animal, et qui ne pouvait plus se relever, tant ses pauvres membres étaient devenus raides et inertes, par suite de la position gênante et comprimée qu’il avait dû garder, depuis plusieurs heures, dans l’étroit espace où il se trouvait blotti. La bohémienne le prit entre ses bras et l’enveloppa dans le pan de sa robe, comme pour le réchauffer et lui rendre, avec la chaleur vitale, la souplesse de ses mouvements.



L’enfant ne pouvait plus se relever, tant ses pauvres membres étaient raides et inertes.


— Cher petit, tu vas faire un bon repas, lui disait-elle avec tendresse : j’ai là pour toi du bon vieux vin, de la table du roi, une belle langue fumée, un pigeon rôti, un râble de lièvre, des pâtisseries, des confitures…


— N’avez-vous pas honte, la mère, de gâter ce maudit paresseux ? murmurait le comédien, qui s’était emparé du flacon de vin destiné à l’enfant et qui l’eut vidé en trois traits. Il n’a pas encore travaillé aujourd’hui, et après avoir dormi comme un loir, il crie la faim et se plaint d’avoir le ventre vide, quand le nôtre est à peine rempli ! Vous allez maintenant le gorger et l’étouffer de nourriture, de telle sorte que son jeu s’en ressentira et qu’il est capable de s’endormir ensuite sur son épinette !


— Mange, petit, disait la vieille, et ne te soucie pas de ces gronderies. Il n’est pas méchant, ton père, ajoutait-elle, en présentant à l’enfant les aliments qu’il dévorait en silence, les yeux pleins de larmes ; non, il n’est pas méchant, et il a besoin de toi, puisque tu es l’âme de sa machine, mais c’est sa musique qui l’occupe et l’intéresse plus que tout… Mange à ta faim, cher petit, ne te presse pas. Nous avons le temps, et tu peux manger à ton aise… Le pauvre enfant mourait de faim ! dit-elle ; en s’adressant au musicien. Vois, comme il mange de bel appétit ! Je regrette vraiment, reprit-elle à voix basse, qu’il n’ait pas un coup de vin à boire, pour se donner des forces…


— Il s’agit bien de boire ! murmura le père, qui tirait de son orgue quelques accords isolés pour s’assurer que les touches du clavier faisaient vibrer exactement toutes les cordes de l’instrument. Il s’agit de mon honneur, il s’agit de notre fortune. Nous allons jouer notre va-tout devant le roi et devant la cour. Ce soir, nous serons riches et heureux ; sinon, il me faudra renoncer à la musique et remonter sur le théâtre, pour gagner notre vie péniblement, misérablement, car il y a trop de comédiens en France, et le métier devient plus mauvais tous les jours.


— Nous réussirons, j’en suis sûre, Jacques ! répliqua la vieille, qui n’avait des yeux que pour l’enfant, dont elle dirigeait et encourageait l’appétit. Quand notre Jean-Baptiste aura mangé à sa faim, il fera des merveilles…


— Aura-t-il bientôt fini de tordre et avaler ? grommela le musicien, qui avait terminé l’examen de la tonalité des accords de son instrument. Il est grand temps qu’il rentre dans sa boîte…


— Rien ne presse, Jacques, dit la bohémienne avec un air suppliant. L’enfant était si affamé, après avoir jeûné tout le jour… D’ailleurs, mon pauvre petit, tu emporteras là-dedans les pâtisseries et les sucreries…


— Oh ! qu’il se garde bien de faire le moindre bruit ! s’écria le musicien avec colère, car nous devons paraître devant le roi, à neuf heures précises, et le moment est proche. Entends-tu, Jean-Baptiste, si tu manques ton jeu, si tu fais une fausse note, je te fouetterai jusqu’au sang, et même, si je ne réussis pas, par ta faute, oui, par ta faute, je t’étranglerai de ma main !


Tout à coup, un cri étouffé fut suivi de la chute d’un corps, derrière la tapisserie, qui formait dans la chambre une espèce d’alcôve ou de cabinet. C’était mademoiselle de Sévigné, qui venait de s’évanouir, sous l’empire de l’émotion ou de la crainte. Mais, comme tout rentra dans le silence, à la suite de ce bruit imprévu et inexpliqué, le comédien et sa mère, qui en avaient été surpris plutôt qu’effrayés, ne se rendirent pas compte de son origine et ne cherchèrent pas à la découvrir.


— Il y a du monde, dans une chambre voisine, où l’on a fait tomber quelque chose ? dit la bohémienne, en baissant la voix. À Dieu ne plaise qu’on n’ait pas entendu la menace horrible que tu as faite à ce pauvre petit ! On nous prendrait pour des bourreaux. C’est mal, Jacques, c’est le fait d’un mauvais père, que de martyriser ainsi un enfant !


L’enfant était rentré, en pleurant, dans l’intérieur du coffre, où une cachette lui avait été ménagée, et le père, sans lui adresser une parole de tendresse ou d’encouragement, s’était hâté de refermer soigneusement l’étroite issue, par laquelle le petit prisonnier avait regagné son gîte. Le musicien ne répondit pas au reproche de sa mère et se jeta, l’air hargneux et renfrogné, dans un fauteuil où il feignit de s’endormir.


La vieille femme s’était accroupie contre le coffre où l’enfant était caché, et elle pleurait, la tête appuyée sur la cloison de bois, derrière laquelle ce malheureux enfant pleurait sans doute aussi. Après quelques instants de douleur muette, elle voulut de nouveau admonester son fils et l’intéresser en faveur de l’innocente victime, qu’il traitait avec tant de rudesse et d’inhumanité.


— Je ne sais pas, en vérité, dit-elle en parlant à la sourdine, s’il faut savoir gré au sieur Langeli de t’avoir fait obtenir la grâce de jouer de ton instrument devant le roi. Je maudis aussi ton invention, qui a fait le malheur de notre petit Jean-Baptiste. C’est l’ambition qui te possède, Jacques ; tu veux être riche, tu veux devenir un personnage, comme monseigneur Langeli ? Mais, pour faire figure à la cour, tu devrais d’abord te déshabituer de boire, de boire sans cesse, d’être toujours entre deux vins… Tu ne me réponds pas ? Tu fais semblant de dormir, Jacques ? Écoute ta vieille mère, qui n’a pas longtemps à vivre et qui se désole à l’idée de te laisser l’enfant, ce pauvre enfant, que tu maltraites à plaisir, et que tu tuerais, si je n’étais pas là pour le défendre. Écoute-moi, Jacques : je prendrai l’enfant avec moi et nous irons ensemble, lui et moi, dans quelque troupe de bohémiens, où du moins il ne sera pas injurié, menacé, battu par son père. Quant à toi, tu n’es pas en peine de gagner ta vie, si tu cesses de boire : tu redeviendras comédien, dans quelque troupe ambulante, car c’est en vain que ton ami Langeli se flatte de l’espoir de t’enrôler dans la troupe royale de l’Hôtel de Bourgogne. Tu as encore la ressource de retourner à Troyes et d’y être, comme naguère, organiste de la cathédrale… Mais répondras-tu, méchant garçon ? Je te jure ma foi, que si tu n’as point pitié de mon enfant, que si tu le frappes, que si tu le prives d’air et de nourriture, que si tu le tiens impitoyablement enfermé dans ta machine, j’irai, moi, ta vieille mère, me jeter aux pieds du roi et lui demander justice contre toi, pour le salut de mon enfant !


Le musicien n’avait rien écouté de cette longue et lamentable allocution, mais mademoiselle de Sévigné, qui avait repris connaissance, entendait les plaintes de la grand’mère et se promettait tout bas de prendre la défense de cet enfant qu’il fallait arracher à la cruauté d’un père sans entrailles. La bohémienne, n’obtenant pas de réponse, s’était mise à prier Dieu et lui recommandait la destinée de son petit-fils.


Cependant, depuis plus de trois heures que la marquise de Sévigné avait quitté ses deux enfants en les laissant dans son carrosse sous la garde du cocher et du laquais, elle n’avait pas perdu son temps, et son bon cœur avait eu une sérieuse occasion de montrer ce qu’il était capable de faire.


La marquise, à la descente de voiture, suivit le gentilhomme, qui s’était fait reconnaître en prononçant le mot du guet, que le comte de Bussy-Rabutin avait indiqué d’avance à sa cousine. Ce gentilhomme, dont le costume et la tournure militaire annonçaient qu’il appartenait ou avait appartenu à un régiment de cavalerie légère, que Bussy avait commandé sans doute huit ou dix ans auparavant, en qualité de mestre de camp, ce gentilhomme marchait d’un pas modéré, en se retournant de temps à autre pour s’assurer que madame de Sévigné venait derrière lui. Celle-ci, dont la confiance n’avait pas failli, dans la conviction que son cousin Bussy l’attendait et qu’il avait grand besoin d’elle, n’hésitait pas à suivre jusqu’au bout cette espèce d’officier de chevau-légers, qui devait la conduire à un but qu’elle ignorait. Elle s’enveloppait seulement dans ses coiffes, pour n’être pas remarquée ni reconnue.


Elle traversa ainsi plusieurs cours, plusieurs galeries, plusieurs passages, qui semblaient s’éloigner du palais central, de ce petit château que Louis XIII avait fait bâtir et que Louis XIV avait pieusement conservé, en l’entourant de superbes bâtiments et en l’encadrant avec beaucoup de goût dans les nouvelles constructions. Tant qu’elle avait rencontré, sur la route qu’on lui faisait tenir, des gens du château, des domestiques en livrée, des officiers de la maison du roi, des gentilshommes et des seigneurs de la cour, qui se rendaient à leurs affaires ou à leurs devoirs, elle n’avait pas eu la moindre inquiétude, ni le moindre soupçon ; mais, quand elle se vit engagée dans une sorte d’allée sombre, entre deux murailles nues qui n’offraient aucune voie de retraite, elle éprouva un sentiment de défiance, qui ne faisait qu’augmenter à mesure qu’elle avançait dans cette allée solitaire. Tout à coup elle s’arrêta et fit mine de retourner sur ses pas. Le gentilhomme, qui la précédait parut comprendre le trouble et l’hésitation qui s’emparaient d’elle ; il revint de son côté et la rejoignit, avant qu’elle eût commencé à faire retraite.


— Monsieur ! lui dit-elle avec un air froid et sévère, vous plairait-il de me faire savoir quel est l’endroit où vous devez me conduire ?


— Volontiers, Madame, répondit-il en la saluant avec respect, maintenant que je puis vous parler ici sans témoins. Le comte de Bussy-Rabutin, sous les ordres de qui je servais à la bataille des Dunes en 1654, m’a donné la commission de vous mener auprès de lui, dans l’intérêt d’une affaire qui ne souffre pas de retard…


— Mais, ce me semble, Monsieur, interrompit-elle en souriant, ce n’est pas là un chemin qui puisse honorablement nous mener chez M. le comte de Bussy-Rabutin, lieutenant-général des armées du roi ?


— Ce n’est pas chez M. le comte, que j’ai l’honneur de vous mener, Madame, répliqua-t-il en s’inclinant ; j’ai le regret de vous conduire, par un assez vilain chemin, je l’avoue, aux prisons du château, dans lesquelles M. le comte a été amené hier par ordre du roi.


— M. de Bussy dans les prisons du château de Versailles ! s’écria madame de Sévigné, aussi étonnée qu’attristée de cette nouvelle.


— Il est probable qu’il n’y restera guère, repartit le gentilhomme, puisque vous avez pris la peine, Madame la marquise, de venir lui prêter votre appui. Tous les amis de M. le comte de Bussy l’espèrent du moins. Si vous ne fussiez pas venue, Madame, M. le comte de Bussy serait transféré, cette nuit même, à la Bastille, d’où l’on ne sort pas aisément, une fois qu’on y est entré.


— Je ne sais pas trop, dit-elle, ce que je puis faire pour être utile à M. de Bussy, dans une affaire que j’ignore absolument.


— J’ignore de même quelle est cette affaire, répliqua le gentilhomme, mais on peut affirmer d’avance qu’elle ne touche pas à l’honneur de M. le comte, qui est l’honneur même en personne. Voilà pourquoi M. le comte de SaintAignan a donné des ordres, pour que vous soyez admise d’urgence auprès de M. le comte de Bussy, et certainement avec l’approbation de Sa Majesté.


Madame de Sévigné fit un geste qui marquait son impatience de voir M. de Bussy, et elle suivit d’un pas plus pressé le gentilhomme qui devait être son introducteur dans la prison. Dès que son nom fut prononcé, les portes s’ouvrirent devant elle, et elle se trouva en présence de son cousin, qui vint à sa rencontre avec un joyeux empressement et qui s’autorisa de la politesse de cour pour lui baiser la main avec une amicale familiarité.



La marquise de Sévigné visite le comte de Bussy-Rabutin dans sa prison.


— Je vous demande pardon, chère cousine, lui dit-il galamment, de ne pas vous recevoir en un lieu plus digne de vous.


— En vérité, mon pauvre Roger, je ne m’attendais pas à venir visiter à Versailles un prisonnier d’État ! répondit-elle, avec une vive expression de sympathie et d’intérêt. Ô mon Dieu ! ajouta-t-elle, émue du bruit des verroux qu’on fermait derrière elle : est-ce à dire que je suis désormais emprisonnée avec vous, comme votre complice ? Que je sache du moins quel est le crime dont vous êtes accusé ?


— Je suis d’abord tout au plaisir de vous revoir, après une assez longue absence, bonne cousine, et de vous revoir plus belle que jamais…


— Êtes-vous toujours aussi léger et aussi fou, Roger ? interrompit en souriant madame de Sévigné. Songez, pour devenir un peu plus sérieux, que vous êtes en prison, accusé de quelque méchante action, et que vous me faites partager votre captivité, toute innocente que je sois de vos méfaits. Allons, plaisanterie à part, apprenez-moi vite la cause de cet incroyable emprisonnement.


— Je vous retiendrai ici le moins longtemps possible, je vous jure, mais veuillez d’abord vous asseoir, cousine, pour m’entendre, pour me plaindre, et pour me conseiller, car je vous ai surnommée, s’il vous en souvient, la Dame des bons conseils.


Bussy-Rabutin avait, à cette époque, près de quarante-cinq ans, mais il était encore aussi peu sage, aussi peu prudent, aussi ardent et emporté, que dans sa jeunesse. Quoique lieutenant-général des armées du roi, il passait son temps dans la société des plus jeunes seigneurs de la cour ; quoique marié et père de famille, il ne s’imposait aucun frein dans son existence de folie et de désordre : le jeu, la table, les plaisirs les plus bruyants et les plus fougueux faisaient l’occupation ordinaire de ses journées et de ses nuits. Il vivait pourtant à la cour, bien qu’il y fût presque constamment en disgrâce, et le roi lui-même le craignait, comme le craignaient les courtisans : on lui attribuait tous les bons mots, toutes les épigrammes, toutes les satires, qui couraient de bouche en bouche, parce qu’il était capable de faire les plus spirituelles et les plus mordantes. Suivant une boutade de Madame Henriette d’Angleterre, femme du duc d’Orléans, Bussy était « la plus dangereuse langue et la plus venimeuse qu’il y eût parmi les scorpions de Versailles et les vipères de Fontainebleau ».


— Je gagerais que vous avez encore mordu quelqu’un ou quelqu’une ? lui dit madame de Sévigné, qui ne lui pardonnait pas son défaut ordinaire de railler et de médire. Vous vous faites toujours de terribles affaires, mon cousin, et il en résultera, un jour ou l’autre, que les femmes vous crèveront les yeux et que les hommes vous couperont la langue.


— Je n’en suis pas encore là, Dieu merci, et certes il m’en coûterait trop d’être pour vous un objet d’horreur. Mais voici mon histoire, où je porte la peine de mes vieux péchés. Je vous atteste, ma cousine, que depuis dix jours je n’ai pas fait trois épigrammes. Au surplus, c’est une chanson qui a fait tout le mal, et je n’en suis pas l’auteur, par cette excellente raison, que cette chanson est sotte et plate. Je ne devrais donc pas avoir à m’en défendre. Mais la chanson s’adresse d’une manière très impertinente à Madame la duchesse d’Orléans, qui s’en est montrée fort blessée, et avec raison. Vous plairait-il, belle cousine, que je vous chantasse cette chanson, qui a le mot pour rire ?


— Chut ! Voulez-vous vous faire prendre en flagrant délit ? Soyez donc plus circonspect, sinon plus sage !


— En trois mots, voici ce qui s’est passé. Madame la duchesse d’Orléans a trouvé la chanson écrite sur la semelle de ses souliers, un de ces soirs où elle allait chez la reine. Le roi y était. Madame s’est indignée contre les chansonniers de la cour, qui ne respectaient rien, pas même ses souliers. Là-dessus, elle fit voir la chanson qu’elle portait à la semelle de sa chaussure, et, comme on faisait mine d’en rire, elle s’emporta, en disant que le comte de Guiche lui avait appris que j’étais l’auteur de cette vilaine chanson. Sa Majesté mit sa colère au diapason de celle de Madame et déclara qu’on ferait bien de m’envoyer chansonner à la Bastille. On vint m’avertir, le lendemain même, de ce tripotage. Je guettai le comte de Guiche, et l’ayant trouvé qui allait chez Monsieur, frère du roi, je l’arrêtai pour lui dire au passage : « Monsieur, quand nous vous aurons coupé les oreilles, nous irons les clouer à la porte de Madame la duchesse d’Orléans. » Je ne pouvais faire moins, ma cousine, que d’imposer silence à M. de Guiche. Mais cette méchante langue, à qui je laissais encore ses oreilles, s’en servit assez mal pour entendre que ma menace s’adressait, non à lui, mais à Monsieur lui-même ; ce qui était un effronté mensonge. Je me lave donc les mains de ce qui est advenu de cette calomnie. Monsieur alla conter la chose à Madame, qui courut la conter au roi, et qui versa des torrents de larmes, en jurant ses grands dieux que j’avais dessein de lui tuer son mari, si le premier prince du sang de France se refusait à se battre en duel avec moi. Voyez, cousine, ce que sont les caquets de la cour de notre grand roi. Sa Majesté, pour essuyer les pleurs de Madame et pour rassurer Monsieur, a ordonné de m’arrêter et d’instruire mon procès, à la Bastille, procès criminel à propos d’une ridicule chanson, qui n’est pas mon fait et qui ne vaut pas une chiquenaude… Vous convient-il que je vous la chante ?


— La chose est plus grave que vous ne pensez, Roger, repartit madame de Sévigné, et vous avez tort d’en rire. Je n’ai que faire de connaître la chanson, et je serai plus à mon aise, ne la connaissant pas, pour prendre votre défense.


— M. le comte de Saint-Aignan, qui sait mieux que personne ma parfaite innocence, a eu l’excellente idée d’user de votre venue à Versailles, pour faire de vous une belle solliciteuse, la plus éloquente et la plus persuasive qu’on puisse souhaiter. Il s’est offert à vous présenter lui-même à Monsieur, devant qui vous plaiderez et gagnerez ma cause…


— Non, interrompit la marquise, je n’ai que faire d’aller chez Monsieur, qui ne reçoit pas les dames ; j’irai plutôt chez Madame, avec mes deux enfants, Charles et Françoise.


— Pardieu ! j’eusse été charmé de les voir et de les embrasser, s’ils sont venus avec vous, ma cousine, et je vous garde rancune de ne pas me les avoir amenés. Je parie que votre fille Françoise est en passe de devenir aussi belle que vous l’êtes, mais, à coup sûr, si spirituelle qu’elle puisse être, elle ne le sera jamais autant que vous.


— Adieu, flatteur ! lui dit Madame de Sévigné. Vous me faites oublier que mes enfants sont restés dans mon carrosse, où ils m’attendent depuis tantôt une heure, en s’inquiétant de l’approche de la nuit. Adieu, Roger ! Je m’en vais me rendre chez M. le comte de Saint-Aignan, où nous aurons bel à faire pour vous tirer de ce mauvais pas. Faites en sorte, mon ami, que je vous retrouve moins extravagant, lorsque je reviendrai vous apporter vos lettres de grâce.


— Cousine, cousine, la plus précieuse lettre de grâce sera celle que vous m’écrirez de votre plus fine plume et de votre meilleure encre, vous qui savez écrire de plus belles lettres que Balzac et Chapelain !


La marquise de Sévigné fut ramenée à son carrosse, par le gentilhomme qui l’avait attendue et qui lui fit escorte respectueusement jusque-là. Mais quelle fut l’émotion, quelle fut l’inquiétude de cette tendre mère, lorsqu’elle apprit, de la bouche du cocher et du laquais, que son fils avait sauté à bas de la voiture pour chercher querelle à une espèce de comédien et qu’il avait été emmené par un officier du palais ! Quant à mademoiselle de Sévigné, qui n’avait pas reparu, depuis qu’elle était descendue aussi de voiture, on supposait qu’elle avait eu l’intention d’aller rejoindre sa mère.


Ces renseignements vagues et insuffisants ne firent qu’accroître les angoisses de la marquise, qui, sachant, par expérience, à quels excès de violence pouvait se porter son fils, s’imagina que ce jeune présomptueux était capable d’avoir provoqué ou accepté un duel avec un adversaire indigne de lui. Elle ne se rappelait que trop le fatal duel qui lui avait enlevé son mari ! Elle était moins inquiète au sujet de sa fille, parce qu’elle croyait avoir à compter sur la raison, l’intelligence et la sagesse prématurées de cette jeune personne.


L’idée lui vint que mademoiselle de Sévigné, voyant son frère en altercation avec un inconnu, avait jugé nécessaire de lui assurer immédiatement une protection puissante et s’était fait conduire chez le premier gentilhomme de la chambre du roi, M. le comte de Saint-Aignan. La pauvre mère pensa qu’elle devait infailliblement retrouver son fils et sa fille, en allant les réclamer chez le comte de Saint-Aignan. Le gentilhomme qui l’avait conduite à la prison de son cousin ne s’étant pas encore retiré, elle le pria de la conduire, sur l’heure, à l’appartement du premier gentilhomme de la chambre, mais elle ne songeait plus, en ce moment, à la démarche qu’elle avait promis de faire auprès de ce seigneur, dans l’intérêt du comte de Bussy-Rabulin. Elle n’avait plus d’autre souci, plus d’autre pensée que de savoir ce que ses enfants étaient devenus.


Elle ne les trouva, ni chez le comte, ni chez la comtesse de Saint-Aignan, qui n’avaient pas entendu parler d’eux et qui n’étaient pas même avertis de leur arrivée à Versailles. Le comte et la comtesse prirent une vive part à l’inquiétude croissante de la marquise et s’efforcèrent de la tranquilliser, en donnant des ordres partout pour qu’on se mît en quête du jeune marquis de Sévigné et de sa sœur.


On les avait vus, en effet, dans la cour des Communs, mais ils n’avaient fait que paraître et disparaître, sans qu’on pût savoir de quel côté ils étaient allés, car personne ne les connaissait, et ils n’avaient parlé à personne. On avait bien idée d’un entretien que le jeune homme aurait eu avec Langeli, le bouffon du roi, mais, comme ce Langeli était craint et détesté de tout le monde, on se garda bien de le mettre en cause dans une circonstance où l’on ne pouvait le faire intervenir sans s’exposer à sa vengeance et à sa haine.


L’heure s’écoulait avec une éternelle lenteur pour la mère, qui espérait à chaque instant voir reparaître son fils et sa fille. La comtesse de Saint-Aignan eut beaucoup de peine à l’empêcher de se porter elle-même à leur recherche, en lui disant que si elle s’éloignait d’un côté, ses enfants viendraient d’un autre, et que ce serait pour elle un nouveau retard dans la joie de les revoir.


— Aussi bien, objecta la comtesse, il n’y avait pas lieu d’avoir la moindre crainte, les deux enfants étant arrivés avec elle à Versailles et ne pouvant être qu’au château. Peut-être, ajouta-t-elle en s’arrêtant à une idée qui lui vint, peut-être seraient-ils allés dans les jardins voir les beaux travaux qu’on y fait ? Je vais donner ordre qu’on s’enquière s’ils y sont. Un peu de patience encore, chère marquise, et nous allons vous les rendre, heureux de mettre fin au souci qu’ils vous ont donné, à leur insu et bien à contre-cœur.


— Il est possible, dit le comte de Saint-Aignan, qui n’avait aucune nouvelle des enfants de madame de Sévigné, il est possible qu’en vous attendant, Madame, ils se soient fait conduire au théâtre, où l’on répète quelques entrées du Ballet des Arts, dans lequel ils ont un rôle l’un et l’autre ; vous ne l’avez pas oublié, Madame la marquise, et vous trouverez bon qu’ils s’en souviennent, quand il s’agit pour eux d’examiner les galants costumes qu’on leur a préparés. La représentation est un peu retardée, mais elle aura lieu dans trois jours, au plus tard…


Madame de Sévigné ne répondait pas ; elle était absorbée dans l’attente de ses enfants qui ne venaient pas, et chaque minute lui semblait un siècle. Elle écoutait tous les bruits du dehors, et elle cherchait à reconnaître ceux qui pourraient lui annoncer le retour de son fils et de sa fille. Son cœur battait si fort, que les battements faisaient écho dans ses oreilles, et des larmes roulaient dans ses yeux inquiets.


— Ah ! si le pauvre Bussy eût été là ! reprit le comte de Saint-Aignan, qui essayait de distraire la préoccupation de cette mère désolée : il vous aurait demandé la faveur de se faire le tuteur et le gardien de vos enfants, quoiqu’il soit et ait toujours été le plus inconséquent des hommes…


— Je ne vous disais pas que j’ai vu mon cousin de Bussy ! interrompit madame de Sévigné, qui eut presque un remords d’avoir oublié la promesse qu’elle avait faite à son parent. Je l’ai vu, ce maître écervelé, je l’ai vu dans une triste situation, surtout s’il est innocent de ce dont on l’accuse. Est-il vrai qu’on doive le conduire à la Bastille ?


— Cette nuit même, répondit le comte de Saint-Aignan, à moins que Sa Majesté ne change d’avis et ne daigne donner contre-ordre. Il ne faudrait qu’une bonne parole bien dite, comme vous sauriez la dire, Madame la marquise, pour obtenir, de Monsieur, son intervention auprès du roi.


— Êtes-vous certain, Monsieur le comte, demanda-t-elle, que Bussy ne soit pas l’auteur de cette vilaine chanson contre Madame ?


— J’en jurerais, par la raison que si Bussy l’avait faite, il s’en vanterait, au lieu de s’en défendre ; son seul crime, c’est de l’avoir chantée, dans une débauche où il n’avait pas la tête trop saine. Madame ne lui en gardait pas grande rancune, mais Monsieur en a été gravement offensé et s’en est plaint au roi.


— Si mes enfants étaient ici, dit en soupirant madame de Sévigné, je ne me refuserais pas à faire une tentative auprès de Monsieur, bien que Monsieur me connaisse à peine de nom, car il n’avait pas plus de onze ans, lorsque j’ai quitté la cour, à la mort de mon mari.


— Monsieur vous connaît bien, Madame la marquise, repartit M. de Saint-Aignan, Monsieur vous admire entre toutes les femmes, et c’est lui qui m’a chargé secrètement de tout faire au monde, pour vous rendre à la cour qui vous avait perdue depuis plus de douze ans. Il lit, il copie de sa main toutes les lettres que vous écrivez à vos amis et qui circulent ici de main en main, dès qu’on les a reçues. Monsieur en est le plus curieux collecteur, et ces jours derniers, il déclarait tout haut, devant le roi, qu’une femme qui écrit de pareilles lettres, est au-dessus de toutes les princesses et de toutes les reines de la terre.


— Pensez-vous que Madame soit de son avis ? répliqua-t-elle malignement, flattée d’un tel éloge, qui lui venait de la part du premier prince du sang de France. Ô mon Dieu ! ajouta-t-elle avec un air d’indifférence, je n’écris qu’à des amis, et ce sont des lettres sans façon, que je n’écris pas pour qu’on les montre. De telles lettres ne sont que des conversations intimes et familières…


En ce moment, on entendit dans les antichambres la voix d’une personne qui était en débat avec les valets et qui affichait bruyamment la prétention d’entrer, malgré eux, sans attendre qu’on l’introduisît auprès du premier gentilhomme de la chambre. Madame de Sévigné, s’imaginant que c’étaient ses enfants qu’on lui ramenait, courut à la porte et l’ouvrit elle-même. Elle se trouva en présence d’un personnage ridiculement habillé, qu’elle reconnut tout d’abord, pour l’avoir vu souvent à la cour, à l’époque où elle en faisait partie, et lorsqu’elle était en grande faveur dans l’entourage de la reine-mère. Elle fit un mouvement de dégoût et de surprise, en se repentant d’avoir montré un empressement si mal justifié, car ce n’étaient pas ses enfants ; c’était seulement Langeli, le bouffon du roi, le dernier qui ait rempli son emploi dans la vieille charge des fous en titre d’office.


— Que nous veut maître Langeli ? demanda sévèrement le comte de Saint-Aignan, qui sut mauvais gré à ce bouffon de s’être présenté chez lui sans sa permission. N’est-ce pas un message de Sa Majesté, que m’apporte votre éminente folie ?


— Monseigneur, dit Langeli en s’inclinant profondément devant la marquise de Sévigné, permettez-moi de saluer cette belle dame, que j’avais l’honneur autrefois de rencontrer, à la cour de ma vénérée souveraine Sa Majesté la reine-mère Anne d’Autriche, quand elle était régente de France. Je n’oublierai jamais, s’il plaît à Dieu, les coups de canne que feu son époux M. le marquis de Sévigné m’a fait administrer par ses laquais…


— Il fallait donc que vous les eussiez mérités, reprit vivement M. de Saint-Aignan, pour en avoir, après douze ou quinze ans, aussi chaud souvenir ? Dépêchez, s’il vous plaît, car nous n’avons pas de temps à perdre à ces bagatelles. Venez-vous pas nous donner des nouvelles du jeune marquis de Sévigné et de mademoiselle de Sévigné, que je fais chercher par tout le château ? Cela seul nous importe à cette heure.


— Je venais, en effet, monseigneur, répondit Langeli, vous annoncer, qu’ils ont été conduits l’un et l’autre chez son Altesse royale Madame la duchesse d’Orléans.


— Dieu soit loué ! s’écria la marquise de Sévigné, en adressant un sourire de reconnaissance à Langeli, qu’elle méprisait et détestait pourtant de longue date. Monseigneur, dit-elle en se tournant vers le comte de Saint-Aignan, ne vous semble-t-il pas opportun que j’aille en personne reprendre mes enfants et faire ma cour à son Altesse royale, pour la remercier d’avoir bien voulu les recueillir, en l’absence de leur mère ?


— Je serais très honoré, Madame, dit Langeli avec une malice perfide, de me faire votre chevalier d’honneur, et de vous conduire moi-même jusqu’aux antichambres de son Altesse Royale.


— Monseigneur, repartit la marquise de Sévigné en se rapprochant du comte de Saint-Aignan avec un mouvement d’effroi, vous m’avez offert de m’accompagner chez son Altesse Royale Madame ; vous me donnerez ainsi l’assurance qui me manque, et si vous le jugez à propos, je serai heureuse d’être présentée, sous vos auspices, à Monseigneur le duc d’Orléans.


— Nous allons donc de ce pas chez son Altesse Royale Madame, dit le comte de Saint-Aignan. Quant à vous, maître Langeli, je vous dispense de porter la queue de la robe de madame la marquise de Sévigné.


— Vous savez, Monseigneur, reprit vivement Langeli, que sa Majesté daignera entendre, ce soir, le clavecin magique du sieur Raisin, ex-organiste de la ville de Troyes ? Nous nous retrouverons donc l’un et l’autre, à cette occasion, en face de sa Majesté. Quant à madame la marquise, je désire qu’elle se souvienne, comme je m’en souviens et m’en souviendrai toujours, de la gracieuse épigramme qu’elle m’a jetée jadis au visage, devant ma bonne maîtresse la reine-régente Anne d’Autriche : « Il y a ici-bas tant de fous, dont les agréables folies sont gratuites, que je ne comprends pas comment on trouve bon de payer les folies maussades de Langeli. » Adieu vous dis, Madame la marquise : vous vous rappellerez que tout se paie ici, même les folies des autres.


Langeli salua encore, d’un air goguenard, et s’enfuit en poussant des éclats de rire. Le comte de Saint-Aignan était indigné et fit mine de donner un ordre pour mettre à la raison le fou du roi.


— Ce malotru semble se réjouir d’une méchanceté qu’il aurait faite, dit-il inquiet et préoccupé. En tout cas, Madame la marquise, il accuse un sentiment de vengeance contre vous et contre votre mari défunt. Il faudra débarrasser la cour de cette vermine.


La marquise de Sévigné, en se présentant chez la duchesse d’Orléans, apprit, avec beaucoup de contrariété, que Madame était allée chez le roi et la reine, avec les deux enfants, que Langeli avait mis sous sa garde. Le comte de Saint-Aignan ne s’expliquait comment ces enfants, qu’il avait fait chercher si longtemps dans tous les coins du palais, avaient été retrouvés par Langeli et conduits directement par lui chez Madame. Il proposa donc à la marquise de Sévigné qui devait être rassurée à leur égard, de l’introduire auprès de Monsieur, frère du roi, dans l’intention de dégager sa promesse vis-à-vis du comte de Bussy, en le tirant d’un mauvais pas.


Philippe de France, duc d’Orléans, la reçut avec autant d’empressement que de curiosité ; il avait depuis longtemps le désir de connaître la femme distinguée, qui écrivait ces incomparables lettres que les beaux esprits de la cour regardaient comme des chefs-d’œuvre. Après les compliments qu’il se plut à lui adresser, il se félicita de la voir revenir à la cour, où elle était toujours présente, depuis douze ans, par les sympathies et les admirations qu’elle y avait laissées, en se retirant à Paris, avec ses enfants.


— Monseigneur, reprit-elle, je m’étais éloignée de la cour, à la suite du plus grand malheur qui pût arriver à une mère de famille, mais aujourd’hui la mère de famille reparaît avec un fils et une fille, qu’elle a élevés dans son veuvage et qu’elle vient mettre sous la protection de Sa Majesté et de l’auguste famille royale.


— Vous devez être assurée de cette protection, répondit Monsieur, et pour ma part, je me tiendrai très heureux de vous prouver, en toute circonstance, combien je vous porte d’intérêt et combien je me réjouis de vous revoir parmi nous.


— Monseigneur, reprit-elle, j’ai besoin de compter sur la bienveillance de Votre Altesse Royale, en venant, dès le premier jour de mon rappel à la cour de Sa Majesté, adresser au roi une requête et recommander respectueusement cette très humble requête à Votre Altesse.


— Quel que soit l’objet de la requête que vous voudrez bien me présenter, dit le prince, vous devez être sûre, Madame la marquise, que j’y ferai droit aussitôt, et m’estimerai très heureux de vous témoigner toute l’estime que vous méritez.


— Il s’agit de mon cousin le comte de Bussy-Rabutin, répliqua-t-elle en se hâtant de profiter des bonnes dispositions du duc d’Orléans. Il faut que je sois bien persuadée que je plaide une cause juste et honorable, ajouta-t-elle chaleureusement, pour oser venir devant vous, Monseigneur, combattre et repousser une accusation, qui ne m’inspirerait que de l’horreur et du mépris, si elle était fondée.


— Vous savez, Madame, dit le duc d’Orléans avec un embarras mélangé de tristesse, que le comte de Bussy a commis une bien mauvaise action, en offensant gravement Son Altesse Royale Madame, et en m’offensant moi-même par le même fait, qui a inspiré au roi la plus juste indignation.


— Monseigneur, reprit vivement la marquise de Sévigné, je n’hésite pas à déclarer que mon parent est innocent de l’abominable action qu’on lui impute, et je me porte caution de son innocence, en priant M. le comte de Saint-Aignan de vouloir bien se faire garant de ma déclaration formelle à cet égard : M. le comte de Bussy-Rabutin, maréchal de camp des armées du roi, est incapable d’une pareille noirceur et d’une si odieuse ingratitude, il proteste de toutes ses forces contre ses accusateurs et il demande à être placé en face d’eux pour les confondre. Je supplie M. le comte de Saint-Aignan de venir en aide à la démarche que je me suis permis de tenter auprès de Votre Altesse Royale, avant d’aller me jeter aux pieds du roi et lui demander justice et grâce pour un de ses plus fidèles serviteurs.


— Je ne fais aucune difficulté d’appuyer la démarche si honorable que madame la marquise de Sévigné a osé faire auprès de Votre Altesse Royale, dit le comte de Saint-Aignan. J’ai étudié l’affaire en question, et je me plais à reconnaître qu’il n’existe pas la moindre charge sérieuse à l’égard du comte de Bussy. La misérable chanson qu’on l’accuse d’avoir composée ne saurait lui être attribuée, à aucun point de vue, car, sans parler de l’infamie de cette pièce lâchement calomnieuse, c’est une œuvre si plate, si grossière et si ridicule, qu’on ne peut supposer qu’elle soit de l’homme le plus raffiné et le plus spirituel de la cour.


— On croirait, il est vrai, dit le duc d’Orléans en se rangeant à l’opinion du comte de Saint-Aignan, on croirait qu’elle a été faite par quelque sot de bas lieu, qui ne soupçonne pas même ce que c’est que la langue, l’orthographe et la poésie. Mais ne vous souvient-il pas d’un autre gentilhomme, que je ne veux pas nommer, puisqu’il a fait amende honorable et qu’il est à jamais en disgrâce ? Il n’était pas sot, celui-là, et pourtant il avait fait fabriquer, par son laquais, une chanson du même style, qu’il colportait et chantait lui-même dans les réunions de débauche…


— Ah ! monseigneur s’écria le comte de Saint-Aignan, il y a entre Bussy et le seigneur dont parle Votre Altesse Royale, il y a la distance du soleil à la planète de Mercure. Bussy est un poète excellent, malicieux sans doute, mais de l’esprit le plus fin, le plus délicat, le plus charmant…


— Holà ! Saint-Aignan, vous vous enflammez trop pour le talent de votre mauvais sujet ! interrompit le prince. Je me range à votre avis, quant au talent, mais il faut avouer, en revanche, que le comte de Bussy est bien aussi le plus léger, le plus imprudent, le plus inconséquent des hommes. Mais, puisque madame la marquise veut bien se porter caution pour son cousin, je ferai réparation d’honneur à ce pauvre Bussy, qui est assez puni par vingt-quatre heures de prison, et nous allons, s’il vous plaît, prier de faire mettre en liberté le prisonnier, qui pourrait, dès ce soir, venir remercier Sa Majesté le roi.


Le duc d’Orléans, accompagné du comte de Saint-Aignan, se rendit aussitôt chez le roi, où Madame était encore avec les deux enfants de la marquise de Sévigné. Celle-ci ne fut pas admise sur-le-champ à les voir, car ils avaient été mêlés à un bien étrange événement, que leur mère ignorait. Au moment où ils entraient dans l’appartement de Madame, sous la conduite du bouffon Langeli, qui se retira en riant, comme il en avait l’habitude, un papier roulé était tombé d’une des poches du marquis de Sévigné qui n’y prit pas garde, et la duchesse d’Orléans, ayant remarqué la chute de ce papier, avait prié tout bas une de ses dames de le ramasser et de le lui remettre. Ce papier n’était autre qu’une copie de la chanson injurieuse, qu’on avait fait circuler contre elle, en l’attribuant à Bussy-Rabutin. L’indignation de Madame fut grande, mais ne pouvait pas subsister longtemps à l’égard du marquis de Sévigné, qui n’avait pas plus connaissance du papier tombé de sa poche, que de la chanson que contenait ce papier. L’agent inconnu de cette lâche machination avait poussé la perfidie jusqu’à signer du nom de Bussy-Rabutin la chanson satyrique, qu’on avait voulu faire passer ainsi sous les yeux de la princesse, qui y était l’objet des plus ignobles injures. Elle demanda pourtant des explications au marquis de Sévigné, qui lui raconta le plus naïvement du monde comment Langeli l’avait enfermé à son insu dans une cave des Communs, et comment ce bouffon du roi l’en avait fait sortir, deux heures après, pour le conduire, avec sa sœur, chez la princesse. Il n’en savait pas davantage, et il se plaignait amèrement de ce que cet impertinent individu s’était permis d’attenter à sa liberté, sous prétexte de l’empêcher de châtier un comédien qui l’avait insulté.


Louis XIV avait donc fait comparaître Langeli, pour l’interroger sur les méfaits dont il paraissait coupable, car ce ne pouvait être que lui qui avait glissé dans la poche du jeune Sévigné la chanson diffamatoire, que ce dernier ne soupçonnait pas même avoir apportée avec lui dans la chambre de la duchesse d’Orléans. Celle-ci, irritée de longue date contre les insolences du bouffon du roi, était bien aise de tirer parti d’une occasion qui s’offrait de débarrasser la cour d’un personnage hostile et désagréable à tout le monde, mais que le roi tolérait et même soutenait, par déférence pour la reine-mère, qui le lui avait spécialement recommandé. Il s’agissait d’obliger Langeli à se reconnaître l’auteur de la malice infernale qu’on ne devait imputer qu’à lui, attendu que le marquis de Sévigné ne savait pas même quel était le papier qu’on avait vu tomber de sa poche ; or, ce jeune homme, depuis son arrivée à Versailles, avait été livré exclusivement aux étranges sévices de cet être malfaisant. Celui-ci niait effrontément ou refusait de répondre. La situation changea quand mademoiselle de Sévigné, qui était restée neutre jusqu’alors dans le débat, déclara que Langeli, en la menant avec son frère chez Madame, tenait à la main un papier roulé.


— Langeli, dit tout à coup le roi avec un visage menaçant et une voix terrible, si tu t’obstines à mentir ou à refuser de parler, je te ferai trancher la tête, comme à un rebelle et à un parjure !


— Ah ! sire, reprit le bouffon effrayé, vous ne ferez pas cela, pour l’honneur de votre très honorée mère, ma bonne maîtresse !


— Je le ferai tout à l’heure, poursuivit le roi, si tu ne déclares pas qui a fait la copie de cette exécrable chanson ; qui l’a signée du nom de Bussy-Rabutin, et qui l’avait glissée dans la poche du marquis de Sévigné, pour qu’elle tombât dans la chambre même de Son Altesse Royale.


— C’est moi, sire, c’est moi ! répondit Langeli, qui avait pris au sérieux la menace du roi ; je n’y entendais pas malice, je voulais seulement divertir Votre Majesté, en mettant les gens dans l’embarras et en chassant de la cour le fils d’un gentilhomme, du défunt marquis de Sévigné, mort en duel il y a douze ans, qui m’avait fait battre par ses laquais, alors que la reine-mère, ma bonne maîtresse, était encore là pour me protéger. Je me suis vengé aussi, en même temps, du comte de Bussy, qui depuis dix ans ne m’avait pas rencontré une seule fois, sans me crier aux oreilles : « Monsieur le fou, quand aurez-vous un collier de chanvre autour du cou, pour vous payer de vos mérites ? »



Louis XIV avait donc fait comparaître Langeli, pour l’interroger sur ses méfaits.


— Langeli, lui dit le roi avec une froide sévérité, tu es trop vieux maintenant, pour qu’on te fasse fouetter par les pages, en châtiment de tes méchancetés, mais je te défends de reparaître jamais devant mes yeux, sous peine d’être mis à la chaîne et enfermé dans une cage de fer, avec les bêtes de ma ménagerie. Va-t’en !


Louis XIV était le seul homme au monde que Langeli n’osait pas regarder en face : il n’essaya pas de protester contre son arrêt et partit, la tête basse, en poussant de gros soupirs et en pleurant à sanglots. Il alla se cacher au fond des jardins, où on l’entendit gémir toute la nuit.


Le lendemain, on le trouva noyé dans un des bassins du parc de Versailles.


Cependant le roi avait daigné écouter la justification du comte de Bussy, que Monsieur se chargea de présenter lui-même, en faisant intervenir sa femme, qui se plut à déclarer qu’elle ne se sentait pas le courage de garder rancune à un parent et ami de la marquise de Sévigné. Ordre fut donné à l’instant de mettre en liberté le prisonnier, qui demandait à venir humblement se jeter aux pieds de Sa Majesté.


— Qu’il ne soit plus parlé de cette sotte affaire, dit le roi, et que M. de Bussy se contente de remercier sa cousine, madame la marquise de Sévigné, qui pourra, si elle le juge bon, nous l’amener, ce soir, à l’audition de l’orgue magique du sieur Raisin.


Cet orgue magique avait fait grand bruit, depuis quelque temps, à Troyes, en Champagne, et dans les autres villes de la province. C’était, disait-on, une invention extraordinaire qui tenait du prodige, et peu s’en fallut que l’organiste Raisin, qui en était l’auteur, ne passât pour sorcier, car l’instrument, qu’il avait inventé, et dont il dirigeait les opérations mécaniques, reproduisait, comme en écho, tous les airs que le musicien exécutait lui-même sur le clavier de son orgue, et cette reproduction de ces mêmes airs, absolument identique, se répétait autant de fois qu’on pouvait le désirer et toujours avec la même perfection.


Langeli, qui connaissait l’inventeur de l’Orgue magique (c’est ainsi que cet orgue merveilleux était nommé), n’avait pas eu de cesse que son ami Raisin ne fût mandé à Versailles, pour se faire entendre, avec son instrument devant le roi. L’audition devait avoir lieu, ce soir-là, et toutes les personnes de la cour qui se trouvaient au château furent averties de venir à cette curieuse séance musicale.


L’assemblée était peu nombreuse, parce que la plupart de ceux qui devaient assister, peu de jours après, à la représentation du Ballet des Arts, n’étaient pas encore arrivés à Versailles. Il n’y avait donc pas plus de cent personnes, réunies dans un nouveau salon du palais, lequel, tout resplendissant de dorures et de peintures, était à peine abandonné par les habiles ouvriers qui en avaient achevé l’ornementation, que faisait ressortir le brillant éclairage de mille bougies.


On avait déposé sur une estrade la lourde caisse en bois noirci qui contenait l’orgue magique, et Raisin, revêtu d’un riche habillement espagnol qu’il avait porté au théâtre dans plusieurs comédies, attendait, debout, à côté de son instrument, l’entrée du roi et de la famille royale. Il était fort préoccupé du succès de l’épreuve décisive qu’il allait tenter devant une pareille assemblée ; il avait cherché des yeux, pour s’encourager, son ami Langeli, et il s’étonnait de ne pas l’apercevoir dans la salle. Quant à sa vieille mère, la pauvre femme avait obtenu à grand’peine l’autorisation de rester cachée derrière une porte, où elle pouvait tout entendre sans rien voir. Toute sa pensée se concentrait sur son petit Jacques, qu’elle savait renfermé dans l’intérieur de l’instrument, où il devait rester, sans air et sans lumière, pendant plusieurs heures.


— Malheureux enfant ! murmurait-elle tout bas : un jour ou l’autre, il mourra étouffé dans cette affreuse boîte, où il est condamné à passer la plus grande partie de sa vie. Dieu fasse qu’il grandisse assez vite pour être délivré de sa prison !


On annonça le roi, et Louis XIV parut, dans tout l’éclat de son grand habit de cour, suivi de la reine Marie-Thérèse, de son frère Monsieur le duc d’Orléans, de sa belle-sœur Madame Henriette d’Angleterre, et de plusieurs princes et princesses de sa famille, qui prirent place à ses côtés. Madame avait fait réserver des sièges auprès d’elle pour la marquise de Sévigné et ses deux enfants, qu’elle comblait d’attentions et de politesses. Dès que tout le monde fut assis, on vit s’avancer le comte de Bussy-Rabutin, en grand costume de cour, qui, conduit par son ami, le comte de Saint-Aignan, venait saluer le roi.


— On est satisfait de vous voir, après une courte absence, lui dit le roi avec moins de froideur qu’à l’ordinaire. Je vous avais fait inviter par votre gracieuse parente, madame la marquise de Sévigné ; vous ferez bien de vous rapprocher d’elle et de vous guider souvent d’après ses avis.


Bussy s’inclina profondément et alla occuper un siège qu’on avait laissé vide à côté du marquis de Sévigné. Le roi donna l’ordre de commencer le concert. Le musicien, dont l’émotion s’augmentait à chaque instant, ouvrit d’une main tremblante le clavier de l’orgue magique, et il n’était plus visible de personne, lorsqu’il se fut assis devant cet orgue, qui le couvrait entièrement.


Mais mademoiselle de Sévigné l’avait vu, l’avait reconnu, et sa mémoire lui rappelait alors tout ce dont elle avait été le témoin involontaire dans une chambre des Communs du palais, où elle était restée assez longtemps évanouie. L’effroi et l’aversion que lui avait inspirés ce musicien ivrogne et brutal, qui maltraitait son fils, en l’accablant d’injures et de menaces, se ravivèrent tout à coup dans l’esprit de cette jeune personne, que tenaient émue et oppressée les souvenirs confus de sa bizarre aventure. Elle ne se rendait pas bien compte de ce qui s’était passé pendant son séjour accidentel au milieu de cette famille de bohémiens, qui n’avaient eu pour elle que des égards respectueux et attentifs ; mais elle se rappelait que le coffre, contenant l’orgue magique renfermait aussi un être vivant, un pauvre enfant malade, une victime qui souffrait peut-être cruellement à cette heure-là même, et qui devait souffrir ainsi en silence jusqu’à ce qu’on lui eût permis de remuer, d’étendre ses membres comprimés et de respirer à l’air libre.


Les sons de l’orgue, que Raisin touchait admirablement, produisaient dans l’assemblée une profonde impression : c’était un hymne religieux, dans lequel l’exécutant imitait le chant grégorien de la chapelle du pape, en l’entrecoupant par des chœurs de voix féminines. Le morceau achevé, le musicien se leva et vint se replacer debout à côté de son orgue. Après quelques instants de silence et d’émotion, l’instrument, qui était devenu muet, reprit tout à coup la parole, et répéta sur un mode plus lent et moins énergique le morceau de musique religieuse, que l’organiste venait de jouer avec une exécution si puissante et si habile. On eût dit qu’un écho, caché dans les profondeurs de cet orgue, avait retenu fidèlement les accords que l’organiste savait tirer des tuyaux de son instrument. Tous les assistants, malgré la présence du roi, ne purent se défendre de manifester leur étonnement et leur admiration.


L’orgue ayant fait silence, le musicien se remit à son clavier et fit entendre un air italien, composé de flûtes et de hautbois dans le genre tendre et langoureux. Puis, son exécution terminée, le musicien descendit de son estrade, pour montrer qu’il était entièrement étranger à l’action mécanique de son orgue, qui exécuta seul, après lui, le même air italien, avec plus de douceur encore et de mélodie. L’organiste renouvela trois fois de suite une expérience analogue, et trois fois l’orgue magique, sans subir aucun contact avec la main de l’homme, rendit en écho un peu affaibli les divers morceaux exécutés par le musicien.


Un dernier essai fut moins heureux. Raisin venait d’achever une cantate, entremêlée de symphonies brillantes, et il attendait, avec anxiété, que l’orgue se mît à exécuter son solo magique ; car il n’était sorti de l’orgue qu’un soupir qui ressemblait à un gémissement.


— Madame ! dit Mademoiselle de Sévigné, en se penchant à l’oreille de la duchesse d’Orléans, Madame ! Il y a là-dedans un enfant qui se meurt !


La princesse avait compris, avait deviné ; elle se pencha, à son tour, à l’oreille du roi, et lui fit remarquer la contenance effarée du musicien, qui, pâle, les yeux hagards, s’était approché de son instrument et avait l’air de s’y attacher avec les mains pour se soutenir et ne pas tomber sans connaissance.


Soudain, une voix stridente se fit jour à travers l’entrebâillement d’une porte fermée, et retentit dans le salon, où l’émotion apparente du musicien avait gagné de proche en proche tous les spectateurs.


— Jacques ! disait cette voix lamentable : le petit se meurt, le petit va mourir étouffé ! Ouvre, ouvre ta machine ! Jacques, pour l’amour de Dieu, sauve notre enfant !


Louis XIV avait donné un ordre, et deux pages de la chambre étaient déjà en conférence avec Raisin, qu’ils sommaient, au nom du roi, de mettre à découvert le secret de l’orgue magique. Le musicien essayait de résister et demandait avec instances qu’on se contentât de transporter dans une autre salle le coffre qui contenait son jeu d’orgue ; il suppliait à mains jointes, il invoquait son privilège, ses droits d’inventeur mécanicien et organiste.


— Ô mon Dieu ! disait Mademoiselle de Sévigné, qui connaissait seule le secret de l’orgue magique : ce mauvais père laissera périr son enfant !

— Que de retards ! que de résistances ! disait le roi à Madame : cet homme est bien osé de désobéir à mes ordres ? Çà, qu’on brise sa machine à coups de marteau ! Je veux voir ce qu’il y a là-dedans.


Raisin ne se le fit pas dire une seconde fois ; il alla ouvrir lui-même le compartiment, dans lequel son fils était renfermé, et il l’en tira évanoui, sans haleine et sans mouvement. Une rumeur immense d’inquiétude et d’indignation s’éleva de toutes parts. Mais le musicien eut recours aux moyens qu’il avait déjà employés souvent, pour combattre un commencement d’asphyxie : il secoua l’enfant, lui souffla dans la bouche, lui frotta les tempes et lui humecta les paupières avec de la salive. L’intérêt palpitant de cette scène inattendue tenait en émotion tous ceux qui en étaient témoins ; les femmes poussaient des exclamations, aussitôt réprimées ; quelques-unes étaient sur le point de perdre le sentiment.


Enfin, l’enfant avait rouvert les yeux, et il portait autour de lui un regard indécis ; il se ranima rapidement et parvint à se mouvoir, en retrouvant la conscience de lui-même, lorsque son père lui ordonna de s’agenouiller et d’implorer le pardon du roi ; mais cet enfant était incapable de prononcer une parole.


— Sire, dit Raisin, qui reprit l’assurance et la hardiesse d’un ancien comédien, j’expose respectueusement aux regards de cette illustre assemblée le secret de l’orgue magique, ce secret qui était l’unique ressource de ma pauvre famille. Cet enfant est mon fils, âgé de six ans à peine et déjà fort bon musicien ; s’il n’était pas si jeune, je demanderais à Votre Majesté de vouloir bien l’attacher à sa chapelle, tandis que, moi, je reviendrais a mon premier métier, qui fut l’état de comédien, et j’aspirerais à entrer dans la troupe royale de l’Hôtel de Bourgogne.


— L’enfant est de bonne mine, disait le duc d’Orléans, qui n’osait prendre une décision sans l’aveu du roi. Je pourrais le faire élever et instruire par le gouverneur de mes pages, et plus tard, il ferait un très bon valet de musique.


La bohémienne, aïeule de cet enfant, s’était échappée des mains de la livrée, qui s’efforçait de la retenir et de faire taire ses lamentations et ses cris ; elle fit irruption dans le salon et alla se précipiter aux pieds du roi.


— Sire ! sire ! disait-elle, en sanglotant ; que Votre Majesté daigne me laisser mon petit Jacques, que son père martyrise et qu’il a failli, sans le vouloir, faire périr aujourd’hui même sous les yeux de Votre Majesté ! Je suis la vieille mère de tous les Raisin, qui se distinguent dans la comédie et dans la musique ; j’ai été moi-même musicienne et comédienne. Si Votre Majesté daignait m’accorder le privilège de la troupe des petits comédiens de Monseigneur le dauphin…


— Êtes-vous folle, la mère ! interrompit Louis XIV. Le dauphin, qui est né au mois de novembre 1661, n’a guère plus d’une année, à cette heure.


— Monseigneur le Dauphin grandira, repartit la vieille avec vivacité, et alors le premier comédien de sa troupe sera mon petit-fils Jacques, présentement âgé de six ans et demi.


Louis XIV, qu’on n’avait jamais vu rire, excepté au théâtre, accueillit en riant la requête de la mère de tous les Raisin, et lui promit de signer, le lendemain même, les lettres patentes établissant la troupe des petits comédiens du dauphin.


Cette troupe, d’une espèce toute nouvelle, devait avoir de grands succès à la cour, grâce au talent de son principal acteur. Quant à Jean-Baptiste Raisin, il obtint des lettres du roi pour entrer dans la troupe royale de l’Hôtel de Bourgogne, et, sans être un des meilleurs comédiens de cette excellente troupe, il se corrigea du défaut de boire comme un musicien.


Peu de temps après la dernière séance où l’on entendit l’orgue magique, le Ballet des Arts fut représenté, à Versailles, avec pompe : le roi y dansa, ainsi que son frère et Madame. Cependant, la marquise de Sévigné refusa absolument d’y figurer, en disant que sa condition de veuve s’opposait à sa réapparition sur la scène des ballets de la cour, où sa fille était en âge de paraître à sa place pour obéir aux volontés du roi.


— Maintenant que Langeli est mort, dit à ce sujet l’incorrigible Bussy-Rabutin sauvé par sa cousine, de la Bastille et d’un procès fâcheux, personne n’osera dire à Sa Majesté, qu’un roi qui danse dans un ballet n’est pas même le roi des baladins.