Contes indiens (Feer)/Récit/3

(p. 45-48).


RÉCIT DE LA 3e FIGURE



Lauguste roi Bhoja prit un jour la détermination de se faire sacrer, et, comme il approchait du trône, la troisième figure lui dit : Hé ! roi Bhoja, écoute-moi bien : celui-là seul peut s’asseoir sur ce trône dont la grandeur est égale à celle du roi Vikramâditya. — Cette grandeur de Vikramâditya, dit le roi, en quoi consiste-t-elle ? — La figure reprit : la persévérance, la sévérité, la fermeté, la force, l’intelligence, l’héroïsme, voilà six qualités qui rendent celui qui les possède redoutable aux dieux mêmes. Ces six (qualités), le roi Vikramâditya les possédait.

Le roi ainsi doué fit un jour la réflexion suivante : La richesse et les nuages, quand ils arrivent, d’où viennent-ils ? Quand ils s’en vont, où vont-ils ? Je n’ai pas de réponse à ces questions. Maintenant j’ai plusieurs avantages, mais ensuite qu’adviendra-t-il ? Je ne saurais le dire.

Après avoir fait toutes ces méditations, le roi se mit, à partir de ce moment, à donner chaque jour le nécessaire aux brahmanes, aux pauvres, aux femmes, aux enfants, à tous ceux qui manquaient de protection, qui étaient faibles ; et il prenait à ses sujets aussi peu que possible[1]. Pour se rendre les divinités propices, il avait institué des Brahmanes savants dans les Vedas, versés dans toutes sortes de pratiques, le sacrifice, la prière, le homa[2], le bali[3], le culte. Or, pour le service des divinités des eaux, il envoya un Brahmane au bord de la mer. Le brahmane s’y étant rendu fit l’anjali[4], et adressa un hymne à la mer. L’hymne achevé, la divinité de la mer apparut et dit : « Hé ! brahmane, je suis favorable à Vikramâditya à cause de ses bonnes dispositions ; quoiqu’il soit loin, il m’est excessivement cher. Donne ces quatre joyaux au roi Vikramâditya et dis-lui les qualités des joyaux. La puissance de l’un est telle que les mets auxquels on pense se présentent à l’instant même ; du deuxième joyau proviennent les richesses qu’on souhaite[5] ; dans le troisième se trouve une armée complète comprenant chars, éléphants, cavaliers, fantassins[6] ; la propriété du quatrième est de fournir autant d’ornements qu’on en désire[7]. »

Le brahmane prit les quatre joyaux, retourna auprès du roi et les lui offrit ; en même temps, il lui expliqua la vertu de ces joyaux. Le roi dit au brahmane d’emporter un de ces joyaux à titre de présent. — J’ai une femme, un fils, une belle-fille, répondit le brahmane, je veux les éprouver ; la pierre qu’ils me diront de choisir est celle que je prendrai. Le brahmane, après avoir ainsi parlé au roi, rentra chez lui et raconta toute l’histoire à sa femme, à son fils et à sa bru. — Le joyau où il y a des éléphants et des chevaux est celui qu’il faut apporter, dit le fils. — La pierrerie où il y a des mets est celle que tu dois prendre, dit la femme. — La pierrerie qui produit des ornements est ce qu’il y a de mieux, dit la bru. — La pierrerie d’où proviennent les richesses est préférable, dit le brahmane. Ainsi ces quatre personnages ne purent s’entendre. Le brahmane revint près du roi et lui raconta la chose. Après avoir entendu son récit, le roi, pour plaire à ces quatre personnes, donna les quatre joyaux au brahmane qui retourna chez lui bien content.

La troisième figure reprit : « Écoute, roi Bhoja, je t’ai dit la grandeur du roi des rois, Vikramâditya. Si tu as une grandeur semblable, tu peux t’asseoir sur le trône. »


  1. L’idéal d’un roi, selon les Orientaux, consiste à donner beaucoup à tout le monde et à ne prendre rien à personne.
  2. Sacrifice aux divinités principales ou grand sacrifice.
  3. Sacrifice aux divinités secondaires ou petit sacrifice.
  4. Sorte de salutation (décrite page 58, l. 6-7).
  5. Voir le 19e récit (Kanthâ).
  6. Voir le 19e récit (Khandika.)
  7. Voir le 19e récit (Kanthâ).