Contes et légendes annamites/Légendes/097 Nguyen cong tru

Contes et légendes annamitesImprimerie coloniale (p. 232-234).


XCVII

NGUYÉN CÔNG TRU.



Nguyèn công trù était un homme du huyên de Nghi xuân, dans le Nghé an. Il avait beaucoup d’intelligence, mais fut cependant refusé plusieurs fois à ses examens. Un jour qu’il était allé voir des danses, il devint amoureux d’une danseuse ; ne possédant pas assez d’argent pour racheter, il s’engagea au service de son frère pour faire la cuisine. Il y resta deux ans sans pouvoir arriver à rien. Une nuit qu’il voulait porter les mains sur cette danseuse, elle le repoussa en disant ù hu ![1] Dépité, il quitta la troupe et alla passer ses examens. Il fut reçu, et aux examens de la cour obtint le titre de bâng nhàn[2].

Il fut nommé phù de Kién xuong, dans la province de Hà nôi. Dans les réjouissances qui furent données à cette occasion, il retrouva sa troupe de danseurs, mais ceux-ci étaient tout étonnés et ne savaient que penser. Il retint la danseuse dont il avait été amoureux et, prenant le maillet à frapper le tambour[3], il lui ordonna de chanter des vers et d’y placer les mots ù hu. À ce signe, la danseuse reconnut qu’il voulait lui rappeler le passé. Elle se leva et chanta aussitôt :

Giang son mot ganh nào nùng,
Tinh trong ù hu, anh kùng nho khong ?[4].

Passionné pour ma beauté, vous m’avez vu repousser votre amour ; ô héros ! vous en souvenez-vous ?


Nguyén công trù loua son art et se fit reconnaître à son frère. Il la prit comme seconde femme et en eut cinq enfants qui tous arrivèrent aux emplois.

Sous le règne de Minh mang il fut envoyé pour réduire des bandes de pirates chinois et annamites. Il fit prisonnier plus de 50,000 Annamites et obtint de la cour la permission de les établir dans la province de Nam dinh, qui était déserte et où il fonda les huyèn de Kiém son et de Ly âp. Ces huyèn sont riches et florissants Ils révèrent Nguyén công trù sous le titre de Thành hoàng.

La première année Tu dùc, Nguyén công trù se rendit à la cour et demanda trois choses : une augmentation de solde pour les troupes, la liberté du commerce entre le Tonquin et la Basse-Cochinchine et le comblement du marais de Trà son[5]. Il fallait y employer 50,000 hommes pendant dix ans. Si cela ne se faisait pas, il se produirait à l’avenir des rébellions dans le pays. Il ne fut pas écouté et feignit d’être sourd pour obtenir la permission de se retirer de la cour. L’événement prouva qu’il avait raison, car de grandes guerres eurent lieu par la suite.



  1. C’est-à-dire en grognant.
  2. C’est le titre donné au second lauréat dans l’examen du doctorat.
  3. Dans les représentations théâtrales un notable tient le maillet et donne des marques d’approbation en frappant sur un tambour ou tam-tam ad hoc. À chaque coup, il est versé une certaine somme au profit des acteurs.
  4. Il y a de ces vers une variante :
    Giang son môt gânh giu a dong
    Quân không ù hu, anh hung nhô không ?

    Seule au milieu des champs avec un bagage qui eut tenu dans deux paniers, — je vous ai repoussé dans une misérable auberge ; héros ! vous en souvenez-vous ?

    L’explication raisonnée de ces deux traductions serait trop longue, et ici hors de sa place. Dans les vers qui font partie du texte, giang son môt ganh. — le fardeau des fleuves et des montagnes, — désigne les seins de la femme.

  5. Nous voyons ici encore une modification de terrain indiquée comme un moyen d’influer sur la prospérité du royaume.