Contes et légendes annamites/Légendes/088 Génies des eaux

Contes et légendes annamitesImprimerie coloniale (p. 214-216).


LXXXVIII

GÉNIES DES EAUX[1].



Au village de Xuàn canh, huyèn de Dông thành, dans la province de Nghè an, vivaient deux époux déjà âgés de plus de soixante-dix ans ; ils étaient pauvres et n’avaient pas d’enfants. Ils gagnaient leur vie en se louant aux gens pour couper de l’herbe.

Un jour qu’ils coupaient de l’herbe au bord du fleuve, la femme trouva deux œufs plus gros que des œufs d’oie. Ils les emportèrent chez eux et le lendemain matin il en sortit deux serpents au corps bariolé. Le mari dit à sa femme : « Ce sont des citoyens du royaume des eaux, il n’est pas licite de les garder dans la maison, rapporte-les sur le bord du fleuve. »

La femme obéit, mais les serpents revinrent à la maison. Les deux époux alors se dirent : « Nous sommes vieux et sans enfants. Le royaume des eaux nous donne deux enfants, élevons-les pour nous acquérir des mérites et nous tenir compagnie. » Ayant pris cette résolution, ils les mirent dans un baquet ; chaque jour ils leur donnaient à manger et ils les aimaient comme leurs propres enfants.

Les deux serpents grandirent peu à peu, ils suivaient les vieillards partout où ils allaient. Au bout de deux ans, ils étaient devenus aussi gros que la jambe. Un jour que l’un d’eux rampait dans l’herbe auprès de la femme, celle-ci, éblouie par le grand soleil, ne le vit pas et lui donna par mégarde un coup de pioche qui lui coupa la queue.

À la vue du sang la vieille se mit à pleurer et à appeler au secours, le mari accourut et, transporté de colère, il la frappa. Il prit ensuite dans ses bras le serpent mutilé et le l’apporta à la maison où il le pansa. En trois ou quatre jours il guérit.

Les deux époux se dirent : « Ces fils des autres maintenant sont grands ; nous, nous sommes vieux et faibles, nos sens ont perdu leur force ; nous ne pouvons plus nourrir les enfants d’autrui, rendons-les à ceux à qui ils appartiennent. » Ils rapportèrent donc les deux serpents a l’endroit où ils avaient trouvé les œufs et là ils crièrent : « Gens de là-bas ! nous avons élevé vos enfants ; maintenant les voilà grands, nous vous les rapportons. » Un bouillonnement se produisit dans le fleuve et les deux serpents disparurent.

Trois jours après, au soir, ils virent venir deux hommes richement vêtus qui les saluèrent et leur dirent : « Vous nous avez élevés. Le roi notre père nous a ordonné de venir vers vous et de vous dire que maintenant vous êtes vieux, vous n’avez pas besoin de travailler davantage. Lorsque à l’avenir vous aurez besoin de quelque chose, riz, vêtements ou quoi que ce soit, vous n’aurez qu’à parler et vous aurez de suite l’argent nécessaire. Quand le terme de vos jours sera arrivé, nous nous occuperons de faire vos funérailles comme les hommes.

Par la suite ces deux serpents devinrent les génies de deux villages ; l’un occupe un mièn du village de Xuàn canh, l’autre un mièn du village voisin. Ces deux mièn sont situés dans la montagne et séparés seulement par un torrent. Lorsque la sécheresse règne dans le pays, les notables du canton se réunissent et construisent un pont de bambous entre les deux mièn. Sur ce pont ils déposent leurs offrandes.

Aussitôt que la supplique a été brûlée ils s’empressent de s’en aller, de peur que la pluie n’enfle subitement le torrent et que le pont de bambou ne soit emporté.



  1. Dans le titre annamite, intraduisible, que le rédacteur a donné à cette histoire, ces deux génies sont désignés par les noms de Ong dài, le long et Ong eut le tronqué.