Contes et légendes annamites/Légendes/063 Dettes posthumes

Contes et légendes annamitesImprimerie coloniale (p. 158-159).


LXIII

DETTES POSTHUMES.



I


Un homme avait trois garçons : l’aîné était joueur, il dépensait tout ce qu’avait son père, sans que celui-ci lui dit jamais rien ; le cadet, au contraire, était économe, épargnait tant qu’il pouvait, ne dépensait rien ; le dernier, enfin, ne faisait autre chose que manger, et quand il avait mangé se couchait.

Les trois garçons moururent le même jour. Le père fut désolé de cette perte et, après l’enterrement, fit faire par un sorcier la cérémonie danh thiêp[1], afin de pouvoir descendre aux enfers chercher ses enfants.

Aux enfers le père rencontra ses trois fils qui se promenaient à cheval. Il fut tout joyeux et les appela, mais les deux aînés passèrent sans même le regarder, le dernier seul arrêta son cheval. Le père courut à lui, l’embrassa et lui dit en pleurant : « Comment avez-vous été assez ingrats envers votre père pour le quitter ainsi ? J’ai fait faire par un sorcier la cérémonie danh thiêp pour venir vous chercher ici. » L’autre lui répondit : « Nous ne sommes pas vos fils. L’aîné était votre créancier, en jouant il dépensait vos biens, et vous ne lui disiez rien ; le cadet au contraire était votre débiteur, c’est pourquoi il économisait afin de vous payer ce qu’il vous devait ; quant à moi, je n’étais pas davantage votre fils, j’étais leur témoin. Quand l’un a eu repris sur vous ce qui lui appartenait, que l’autre vous a eu payé ce qu’il vous devait, et que moi, témoin, j’ai vu que la balance était juste, nous sommes partis. » Le proverbe dit : Les enfants sont nos dettes, les femmes notre punition[2].


II


Il y avait un homme qui avait de quoi vivre et n’avait aucune dette. Il eut un fils qui, jusqu’à l’âge de sept ans, fut constamment malade ; quelque dépense que l’on fît pour le guérir, aucun remède n’avait d’effet. Le père disait toujours que c’était un créancier et n’avait pour lui aucune affection ; la mère seule dans la maison aimait cet enfant.

Un jour le père lui dit : « Enfin ! combien te dois-je encore ? » L’enfant lui répondit tout de suite : « Vingt-trois ligatures », et là-dessus il tomba à la renverse et il se trouva qu’il était mort.

La mère pleura beaucoup ; elle acheta un cercueil et des effets pour l’ensevelir. Quand il fut enterré, le mari fit le compte de ce que l’on avait dépensé pour l’enterrement, et la somme montait juste à vingt-trois ligatures.

Le mari dit à sa femme qu’il était évident que ce n’était pas un fils, mais un créancier, alors pourquoi le pleurer. La femme en tomba d’accord et se consola.

(1) Con là no, vo là oan gia. On ajoute aussi cûa nhà là nghiep bao. Les biens sont la vengeance, c’est-à-dire que la femme punit le mari des actes coupables qu’il a commis dans une autre vie, les biens sont une cause de soucis ; les actions de la vie présente qui deviennent un lien pour les existences à venir jouent un assez grand rôle dans les idées des Annamites. Voir notamment le vers 75 du Kim Van Kiéu truyên.



  1. Dans cette cérémonie le Thây phap s’étend devant la tablette du patron de la secte et, après avoir fait ses conjurations, demeure sans mouvement et sans souffle. Son âme à ce moment descend aux enfers pour en rapporter des nouvelles. Il peut aussi donner cette faculté à autrui comme on le voit dans notre récit.
  2. Con là no, vo là oan gia. On ajoute aussi cûa nhà là nghiep bao. Les biens sont la vengeance, c’est-à-dire que la femme punit le mari des actes coupables qu’il a commis dans une autre vie, les biens sont une cause de soucis ; les actions de la vie présente qui deviennent un lien pour les existences à venir jouent un assez grand rôle dans les idées des Annamites. Voir notamment le vers 75 du Kim Van Kiéu truyên.