Contes et légendes annamites/Légendes/061 Protection des génies

Contes et légendes annamitesImprimerie coloniale (p. 154-155).


LXI

PROTECTION DES GÉNIES.



Il y avait une jeune fille très jolie qui, à l’âge de dix-sept ou dix-huit ans, n’avait pas encore pris de mari. Chaque jour elle allait à la chapelle du génie du lieu lui faire une offrande de bâtonnets odoriférants et lui demander de lui donner un mandarin pour mari.

Un jour un marchand de bâtonnets, nommé Mông, entendit sa prière en passant par là. Le lendemain il se cacha dans la chapelle, et quand la jeune fille vint faire son offrande il lui cria comme s’il était le génie : « Ton destin est d’épouser Mông le marchand de bâtonnets qui, un jour, deviendra roi. » La jeune fille répondit : « Seigneur, ce Mông est misérable et vil ; il ne me convient nullement. » — « C’est ce que j’ai décidé pour toi, lui répondit l’autre. Si tu ne m’obéis pas, je vais dire à mes serviteurs[1] de t’arracher les yeux ; tu pourras ensuite faire la difficile. »

La jeune fille fut effrayée ; elle consentit à prendre Mông pour mari, et quitta la chapelle pour aller le chercher. Quand elle l’eut rencontré, elle lui conta ce qui lui était arrivé. Mông fit d’abord quelque résistance, mais, vaincu par les supplications de la jeune fille, il finit par consentir et l’enferma dans sa manne à bâtonnets pour la porter chez lui.

À mi-chemin il rencontra le fils du roi qui allait à la chasse au tigre. Mông eut peur, il jeta là son fardeau et se sauva dans les broussailles. Le fils du roi ouvrit la manne et y vit cette jolie fille. Quand elle lui eut raconté son histoire, il l’emmena pour en faire sa femme, et fit mettre dans la manne un tigre qu’il avait capturé.

Mông, n’entendant plus personne, sortit de ses broussailles, reprit la manne sur le dos et arriva dans sa maison. Une fois là, il dit à sa mère de faire cuire quelque chose pour faire le sacrifice aux ancêtres et leur annoncer son mariage. Mais, quand il ouvrit la manne, il n’y avait plus de femme, il n’y avait qu’un tigre qui lui sauta dessus et lui rompit le cou.



  1. Ta quan, hwu quan. Dans les petites chapelles aussi bien que dans les dïnh, ou pagodes de village, se trouvent des deux côtés de la tablette du génie celles de ses acolytes de gauche et de droite.