Contes et légendes annamites/Légendes/045 L’homme de la lune

Contes et légendes annamitesImprimerie coloniale (p. 118-120).


XLV

L’HOMME DE LA LUNE.



Deux frères firent un radeau et allèrent couper du bois dans la forêt. L’ainé alla faire le bois, l’autre resta à garder le radeau. Dans un fourré il trouva un petit tigre, il le prit pour un chien, l’emporta et le racla pour le faire cuire. À ce moment, l’aîné revint de la forêt, il reconnut le petit tigre et dit à son frère de le rapporter dans le fourré de peur d’attirer sur eux la fureur de la tigresse.

Le cadet obéit. À peine avait-il remis le petit dans le fourré que la tigresse arriva et vit son petit tout raclé et mort. Elle prit quelques feuilles d’arbre, les mâcha et cracha sur son petit qui ressuscita aussitôt, après quoi ils partirent laissant là le reste des feuilles.

Quand la tigresse fut partie, l’homme qui avait assisté à cette scène du haut d’un arbre, ramassa le reste des feuilles et retourna au radeau, mais il ne raconta rien à son frère de ce qu’il avait vu. Comme ils s’en revenaient chez eux ils rencontrèrent un cadavre de chien qui flottait sur l’eau, déjà tout gonflé. L’homme mâcha des feuilles, cracha sur le chien, et celui-ci fut ressuscité et le suivit.

Ce chien était plein d’intelligence. Un jour il entendit se lamenter un riche vieillard dont la fille venait de mourir et qui, dans son désespoir, promettait de la donner avec tous ses biens à celui qui lui rendrait la vie. Le chien alla chercher son maître et, le tirant par le pan de l’habit, le mena dans la maison du vieillard. La fille fut ressuscitée, et le vieillard la donna avec tous ses biens à son sauveur.

Celui-ci amena sa femme dans sa maison. Il avait planté un da[1] et il ordonna à sa femme de ne jamais manquer de l’arroser lorsqu’il irait au dehors. Un jour qu’il était absent, des individus jaloux des cures merveilleuses qu’il opérait, se dirent : « Tuons sa femme, nous verrons bien s’il la ressuscitera. » Quand le maître de la maison revint il trouva sa femme morte et la ressuscita sans peine. Les envieux furent étonnés de ce prodige, mais, pour mettre sa puissance à une nouvelle épreuve, ils tuèrent de nouveau la femme, lui ouvrirent le corps et lui enlevèrent les viscères qu’ils allèrent jeter au loin. Quand le mari revint il trouva sa femme morte et ne savait comment faire pour remplacer les viscères qu’on lui avait enlevés.

Il appela son chien et lui dit : « Je t’ai nourri comme un père, je t’ai sauvé et ressuscité ; maintenant les viscères de ma femme ont disparu et je ne sais comment les remplacer. Couche-toi, que je t’ouvre le ventre pour prendre les tiens. » Le chien obéit à son maître et celui-ci prît les viscères du chien pour en faire ceux de la femme. Il alla ensuite cueillir des feuilles de son da et les cracha sur la femme qui ressuscita. Il fit pour le chien des viscères d’argile et le ressuscita aussi. C’est pour cela que la femme a les instincts du chien[2] et que le chien sent retentir en lui le moindre bruit qui se fait sur la terre.

Un jour le mari s’absenta en recommandant à sa femme d’arroser son arbre. La femme oublia de le faire, mais voyant son mari arriver, elle s’en souvint tout à coup, et courut s’accroupir au pied de l’arbre pour humecter la terre. L’arbre à ce contact impur s’envola. Le mari courut et essaya de donner un coup de hache à l’arbre (pour en couper quelque branche qu’il aurait pu replanter), mais la hache se fixa dans le tronc et l’homme fut porté dans la lune avec son arbre qui est appelé le da du thàng Cuôi[3].

L’on dit que ce da pousse sur la montagne. Chaque année une de ses feuilles tombe dans la mer et elle est avalée par le dauphin.

L’on dit : « Si l’on fait du bien aux animaux ils vous en récompensent, si l’on fait du bien aux hommes ils vous nuisent[4]. » L’on a vu, en effet, que l’homme avait reçu de grands avantages pour avoir sauve le chien, tandis que pour avoir sauvé la femme il perdit son arbre magique.



  1. C’est le figuier sacré.
  2. Lông mông da chô.
  3. Thâng Cuôi (que l’on appelle aussi thàng Côi). C’est l’homme que l’on voit dans la lune avec son arbre. On lui rapporte l’origine de l’écho. Les bûcherons qui font du bois dans les montagnes et entendent se répercuter le son de leurs coups de hache pensent, dit-on, que c’est le thâng Cuoi qui coupe son da. — Ici il paraît s’être établi une confusion avec Ngù cang. adepte qui, pour quelque faute, fut rélégué dans la lune, où il coupe éternellement le cannellier lunaire haut de cinquante truong et qui aussitôt coupé, se retrouve intact. (Au hoc, Quyên VI, p. 9, section hoa moc.) On dit : Mentir comme le thâng Cuôi. — Les enfants jouant au clair de lune crient : « Cuôi oi ! xuong dây, ta may quân tia, cai ao no, cai ao nây. Cuoi ! descends ici, nous te coudrons un pantalon violet, un habit comme ceci, un habit comme cela. » — L’on explique le nom de thâng Coi par homme du tronc, parce que le tronc (coi) du da l’enlaça de ses racines aériennes et ne le lâcha que lorsqu’il fut dans la lune.
  4. Cuu vât thi rât trà on, cûu nhon thi nhon bâo oan. Nous retrouverons plusieurs contes destinés à établir la vérité de cet adage.