George Sand & le Sport

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« Êtes-vous bien accablée de cette canicule ? Peut-être ne menez-vous pas une vie qui vous y expose souvent. Moi, je n’ai pas l’esprit de m’en préserver. Je pars à pied à trois heures du matin, avec le ferme propos de rentrer à huit ; mais je me perds dans les « traînes », je m’oublie au bord des ruisseaux, je cours après les insectes et je rentre à midi dans un état de torréfaction impossible à décrire.

« L’autre jour, j’étais si accablée, que j’entrai dans la rivière tout habillée. Je n’avais pas prévu ce bain, de sorte que 5 j’avais pas de vêtements ad hoc. J’en sortis mouillée de pied en cap. Un peu plus loin, comme mes vêtements étaient déjà secs et que j’étais encore baignée de sueur, je me replongeai de nouveau dans l’Indre. Toute ma précaution fut d’accrocher ma robe à un buisson et de me baigner en peignoir. Je remis ma robe par-dessus, et les rares passants ne s’aperçurent pas de la singularité de mes « draperies ». Moyennant trois ou quatre bains par promenade, je fais encore trois ou quatre lieues à pied, par trente degrés de chaleur, et quelles lieues ! Je ne passe pas un hanneton que je ne courre après. Quelquefois, toute mouillée et vêtue, je me jette sur l’herbe d’un pré au sortir de la rivière et je fais la sieste. Admirable saison qui permet tout le bien-être de la vie primitive… ».

Voilà ce que George Sand, dont on célèbre actuellement le centenaire, écrivait à la comtesse d’Agoult en 1836. Et remarquez qu’à cette époque elle n’est plus une toute jeune femme, ou du moins qu’elle a passé cet âge heureux où la santé déborde et réclame, pour ainsi dire, les fatigues excessives, les dépenses nerveuses, les folies, les extravagances. Elle a trente-deux ans, celle qui se jette ainsi dans les rivières et s’endort ensuite avec ses vêtements mouillés.

Mais, jusqu’au soir de sa vie, George Sand resta cette femme ardente, vigoureuse, inlassable, à qui l’exercice fut nécessaire et le mouvement indispensable. Ouvrez au hasard la correspondance, l’Histoire de sa vie, les Lettres d’un voyageur, partout même effervescence physique, même besoin de sensations violentes, d’espace et de plein air.

« J’arrivai à Oliero vers les quatre heures, après avoir fait seize milles à pied en dix heures… ».

« Après avoir quitté Alfred (de Musset) que j’ai conduit jusqu’à Vicence, j’ai fait une petite excursion dans les Alpes… J’ai reconnu que ce genre de fatigue m’était fort bon, physiquement et moralement… Je puis aller loin ainsi, en dépensant cinq francs par jour, et en faisant huit ou dix lieues… ».

« J’ai été avec Solange jusqu’au Marborée, l’extrême frontière de France. La neige et le brouillard, la pluie et les torrents ne nous ont laissé voir qu’à demi le but de notre voyage. Nous avons fait ce jour-là quinze lieues à cheval. »

Élevée aux champs, enfant solitaire et indépendante, elle garda toujours le goût des grandes chevauchées et des marches interminables. C’est une campagnarde, solidement bâtie et bien résistante. Ses sympathies vont vers les forts. Elle admire les exploits des hommes et les égale. Elle a des jouissances d’homme, d’homme bien musclé, vaillant, énergique, qui s’exalte à la flamme de sa jeunesse et se grise de sa propre vigueur.

Écoutez-la :

« Être assez aux prises avec la vie physique, avec les loups et les ours, avec les périls de l’isolement et les fureurs de la tempête, pour se sentir, en tant qu’animal soi-même, ingénieux, agile, courageux et fort… voilà l’idéal qui succéda, dans ma jeune tête, à celui de la vie monastique, et qui la remplit pendant de longues années. J’aurais voulu devenir berger, avoir la poitrine large et les fortes jambes de ces espèces de sauvage… »

Est-ce là rêve de femme ? Certes on ne peut accuser l’amie d’Alfred de Musset et de Chopin de n’avoir pas été femme, et dans l’acception la plus charmante et la plus séduisante du mot. Mais combien peu elle le fut au regard de ceux qui ne voient chez la femme qu’un être de nonchalance, de mièvrerie, de repos et d’immortalité !

Nul doute que, de nos jours, on ne l’eût baptisée du titre de sportswoman et que les revues spéciales n’eussent publié son portrait entre ceux des vainqueurs de la Coupe Gordon Bennett et du Grand Prix.

Et de fait, si le sport signifie la culture intelligente de ses forces, la volonté de les amener à leur plus haut point de perfection, et d’en tirer la plus grande somme d’émotions et le plus grand bénéfice moral, George Sand fut vraiment une femme de sport. Elle le comprit, elle le pratiqua, elle l’aima dans ce qu’il a de plus noble et de plus captivant. À cheval, à pied, elle a battu en toutes ses parties le centre de la France. Alpiniste intrépide, elle a fait les plus rudes ascensions.

Partout on retrouve les traces de la voyageuse. Avec Mauprat, avec Mont-Revêche, avec le Péché de M. Antoine, et Pierre-qui-Roule, et Simon, et la Tour de Percemont, avec ses délicieux romans champêtres, la Petite Fadette, François-le-Champi, les Maîtres-Sonneurs, c’est dans la Creuse, le Berry, le Nivernais, l’Auvergne, le Forez, qu’elle nous emmène. Mlle de la Quintinie a pour cadre la Savoie. La Ville-Noire, c’est Thiers. Tamaris et la Confession d’une Jeune Fille se passent aux environs de Toulon, la Filleule, en forêt de Fontainebleau, Mlle Merquem, au bord de la Manche. Et citerai-je ses romans vénitiens, Consuelo, de Lucrecia Floriani, les Maîtres Mosaïstes, et la Daniella, qui est bien le meilleur guide que l’on puisse trouver pour visiter en détail les montagnes qui avoisinent Rome ? Et l’Homme de Neige, en Scandinavie, et le Piccinino, en Sicile, et l’Hiver, à Majorque…

Mais elle eut aussi, et à son plus haut degré, ce qui est peut-être l’essence même du sport ou du moins son aboutissement. sa récompense, je veux dire l’amour de la nature.

Des écrivains, plus grands qu’elle assurément, l’ont célébrée, cette nature, avec des épithètes plus sonores et plus pittoresques, dans un style plus glorieux et plus magnifique. Aucun ne l’a sentie avec une âme plus émue, ne l’a vue avec des yeux plus passionnés, ne l’a chantée avec plus de ferveur, et, à la fois, plus de simplicité. Les descriptions de George Sand sont aisées comme des sources qui coulent sur un sable fin, fraîches comme des feuilles mouillées par la pluie. Elle décrit sans effort. Elle trouve sans chercher. Elle est naturelle comme la nature elle-même.

J’ouvre au hasard :

« Cette émotion à l’approche de la nuit se révélait dans les plus petites choses, Les papillons d’azur, qui dorment au soleil dans les grandes herbes, s’élevèrent en tourbillons pour aller s’enfouir dans ces mystérieuses retraites où on ne les trouve jamais. La grenouille verte des marais et le grillon aux ailes métalliques commencèrent à semer l’air de notes tristes et incomplètes. Les plantes elles-mêmes semblaient frissonner au souffle humide du soir. Elles fermaient leurs feuilles, elles crispaient leurs anthères, elles retiraient leurs pétales au fond de leur calice. D’autres, amoureuses à l’heure de la brise, qui se charge de leurs messages et de leurs étreintes, s’entr’ouvraient, coquettes, palpitantes, chaudes au toucher comme des poitrines humaines. Toutes s’arrangeaient pour dormir ou pour aimer… »

Maurice LEBLANC.