Contes du Sénégal et du Niger/Chapitre 43

Ernest Leroux (p. 239-244).

LA TRACE DU LION


Un roi monta à cheval avec son général pour chasser : dans la brousse ils avaient soif, ils rentrent dans un village. Le roi s’arrête devant une belle maison et dit à ses gens de pénétrer dans la maison pour chercher de l’eau. Une femme très jolie apporte l’eau : le roi boit et regarde la femme : il lui demande : « Es-tu mariée ? » « Oui », dit la femme. « Moi aussi, et je t’aime, dit le roi. Je veux passer la journée auprès de toi, pour causer avec toi ». La femme dit : « Roi, attends-moi là, je vais revenir ». Elle rentre dans la maison, va prendre le Coran de son mari et l’ouvre à l’endroit où il est dit qu’une femme ne peut appartenir à plusieurs hommes. Elle le donne au roi, qui reconnaît qu’il ne peut prendre cette femme. Il rend le livre et s’en va.

Le mari de la femme revient : elle lui raconte ce qui est arrivé. Le mari reste deux mois sans toucher sa femme, qui va dans sa famille et dit : « Depuis la visite du roi, mon mari ne me touche pas. S’il ne m’aime plus, il n’a qu’à me laisser marier avec un autre ».

Le père de la femme va chez le mari, et lui dit : « Si tu as peur à cause du roi, nous allons de suite, lui demander s’il veut épouser ma fille : s’il n’en veut pas, tu n’as qu’à la reprendre ». Ils vont chez le roi, qui était sur la place avec beaucoup de gens : le père dit, car il avait honte de raconter la vraie affaire : « Cet homme, nous lui avons donné notre terre pour la cultiver : avant il la cultivait, mais voilà deux mois qu’il n’y touche pas. S’il ne veut pas cultiver, qu’il nous rende notre terre ». Le roi dit au mari : « Tu as entendu ? ». Il dit : « C’est vrai on m’a donné une bonne terre que j’ai bien cultivée : mais le lion est entré dans le champ après moi et alors j’ai eu peur de lui : je me suis reposé deux mois pour savoir si le lion reviendrait. Si le lion ne vient pas, je reprends volontiers mon champ ».

Le roi comprend l’allusion et dit : « Reprends ton champ, le lion n’y viendra plus ».


Deux Arabes s’amusaient : l’un dit : « Si on te donnait cent gros d’or pour faire l’imbécile, accepterais-tu ? ». « Non, répond l’autre car si je fais une grosse sottise, le roi m’infligera cent gros d’or d’amende : l’argent sera parti et je resterai un imbécile ».


Il y avait un Arabe appelé Muslimin qui disait : « Il ne faut pas se lier avec un imbécile, parce que s’il veut te faire du bien, il pourra te faire du mal. Si tu es malade, en essayant de te guérir, il te tuera : il te fera ce qui te rend malheureux, seulement par bêtise. L’imbécile fait bien de se taire. Plus il est loin de toi pour causer, et mieux cela vaut ».

Il vaut mieux être d’accord avec un imbécile que en querelle avec un malin.


Un Arabe rasait toujours sa barbe : un autre lui dit : « Il ne faut pas raser sa barbe ». Le premier lui répondit : « Serais-tu heureux de voir pousser dans ton derrière beaucoup de poils comme ceux de ma barbe ? ». « Non », dit l’autre. « Eh bien, pourquoi veux-tu que je laisse sur ma figure ce que tu ne veux pas dans ton derrière ?


Un Arabe achetait des dattes et les mangeait avec les noyaux : un autre le voit et lui dit : « Quoi, tu manges les noyaux ? ». « Oui, dit le premier : celui qui m’a vendu les dattes m’a fait payer les noyaux : pourquoi perdre cet argent en les crachant ? »


Un Arabe était à cheval avec sa femme en croupe ; il part à la chasse il voit beaucoup de gazelles. L’Arabe aime bien sa femme : il lui dit : « Laquelle veux-tu, que je tue ?». La femme dit : « Je veux que tu casses les deux cornes à un mâle, et que tu plantes deux flèches dans la tête d’une femelle à la place des cornes ». Il casse deux cornes à un mâle. Il envoie les deux flèches à une femelle à la place des cornes. Il dit à la femme : « Est-ce bien ? ». « Oui, dit elle, mais je veux maintenant que d’une flèche tu casses le sabot d’une biche et tu déchires son oreille ». Le mari prend une pierre, la jette sur l’oreille d’une biche, qui s’arrête et se gratte l’oreille. Alors d’une flèche il lui perce l’oreille et lui casse le sabot. Il dit à la femme : « Est-ce bien ? ». « Oui » répond-t-elle.