Contes du Sénégal et du Niger/Chapitre 44

Ernest Leroux (p. 245-250).

LES RUSES DES FEMMES


Un Arabe voulait écrire un livre sur les femmes : il avait déjà un grand livre écrit quand il va chez le roi, qui l’envoie loger chez une femme qu’il aimait beaucoup. Il tue un taureau pour l’Arabe, et dit à la femme de bien le soigner. L’Arabe est mis en confiance par la femme. Un jour elle causait avec lui et dit : « Quelle affaire t’amène chez le roi ? ». « C’est, dit-il, pour connaître bien les femmes ». « N’est-ce que cela ? » dit-elle. « Oui », répond l’homme.

La femme songe à faire à cet homme un tour qu’il n’ait jamais ni vu ni entendu. Elle lui fait croire qu’elle voulait coucher avec lui, bien que ce fut faux. Un jour elle lui dit : « Je voudrais que tu couches avec moi ». L’Arabe dit : « N’est-ce que cela ? » « Oui », dit-elle. « Eh bien ! nous verrons demain ».

La femme fait cuire du riz avec du poisson. Le lendemain elle dit : « Le repas est prêt, veux-tu coucher avec moi avant ou après manger ? ». « Peu m’importe » dit l’Arabe. « Eh bien ! Mangeons d’abord ». Le repas fini, la femme va se coucher, l’Arabe va la rejoindre, défait la ceinture de son pantalon, et se glisse entre les jambes de la femme : la femme réunit ses jambes sur son dos et lui serre le cou, puis se met à crier et pleurer. Elle appelle les gardes du roi : quand ils sont là, elle repousse l’Arabe et les gardes entrent. Elle leur dit : « Voilà ce que c’est : cet homme m’a été envoyé par le roi avec ordre de bien le soigner : je lui ai fait cuire du riz avec du poisson : mais une arête est resté dans son gosier et il serait mort si je ne lui avais donné un coup de poing sur la nuque ».

Les gardes disent à l’homme : « Maintenant tu peux partir ».

La femme dit à l’Arabe : « Depuis que tu as commencé à écrire les ruses des femmes, as-tu vu celle-là ? ».

L’Arabe dit : « Je ne l’ai jamais vu ». La femme dit : « Sache que les ruses des femmes sont infinies : jamais aucun homme ne les connaîtra toutes ».




Un Arabe très jeune avait pour amie une femme mariée. Il lui dit un jour : « Quand tu sors, où dis-tu à ton mari que tu vas ? ». « Je lui dis que je vais chez ma mère ». Il écrit cela dans ses tablettes. Le lendemain il lui demande la même chose : elle répond : « Je lui dis que je vais chez mon grand frère ». Il l’écrit aussi. Le troisième jour même question : elle dit : « Je dis que j’ai été me baigner au fleuve ». Il l’écrit aussi. Le quatrième jour, la femme dit au mari qu’elle va chez son amie. L’ami écrit aussi cela. Puis il épouse une jeune fille. Quand celle-ci lui dit qu’elle va chez sa mère il lui dit : « Allons ensemble ». De même si, elle veut aller se baigner, ou aller chez son grand frère, ou chez son amie.

La femme lui dit : « Je ne veux pas de cette surveillance, si tu veux me suivre, je demande le divorce. » Elle s’en va chez ses parents. Le père va dire au mari : « Il ne faut pas agir de la sorte ». Le mari dit : « Attends un peu ». Il va chercher ses tablettes et les montre au père. Celui-ci lui dit : « Ce n’est pas là un moyen pour empêcher ta femme de te tromper ». Il dit : « C’est vrai », et ne l’a plus fait.

Un voyageur vient trouver un Arabe dans son pays : il avait fait un mauvais tour à cet homme qui ne l’écoute pas. Il lui dit : « Quoi tu te fâches parce que je t’ai joué un mauvais tour ? Eh bien ! moi aussi j’ai un pays et j’y vais ». « Écoute, dit l’autre : il y avait beaucoup d’abeilles qui vivaient dans un arbre creux : un moustique un jour d’orage se réfugie dans ce trou : les abeilles ne le savaient pas. L’orage fini : il leur dit : « Abeilles, je vais m’en aller, laissez moi sortir ». Elles lui répondent : « Inutile de dire cela ! personne ne t’a vu rentrer ; pars de même ! »

L’Arabe ajoute : « Tu n’as qu’as faire de même et à partir sans prévenir personne ».[1]

  1. Artin pacha in Contes populaires de la vallée du Nil (Paris, Maisonneuve, 1895) conte l’histoire suivante (p. 10) :

    « Un moustique se pose sur les hautes bran- ches du dattier pour se reposer. Une fois reposé il dit au dattier : « Tiens toi bien, je vais m’envoler ». Le dattier lui répondit : « Je ne t’ai pas senti te poser sur moi, et si tu n’étais pas si près de mes oreilles, je ne t’aurais même pas entendu parler : tu peux prendre ton vol sans que je m’en aperçoive ». Le moustique s’en alla tout dépité.