Contes du Sénégal et du Niger/Chapitre 11

Ernest Leroux (p. 117-120).

LES TROIS IMBÉCILES


Il y avait trois hommes que leurs pères avaient mis à la porte, parce qu’ils ne comprenaient rien. Ils se rencontrent sur le même chemin. Ils se racontent leur histoire et se proposent de continuer la route ensemble. Ils trouvent un homme dans son champ, assis par terre. Ils le saluent : l’homme demande où ils vont et ils expliquent que mis à la porte par leurs pères ils cherchent quelqu’un qui les emploie. L’homme leur dit : « Je peux vous employer ». Il les emmène dans sa maison. Un jour il dit à l’un : « Toi va chercher du poisson ». Il prend le Diala (filet) et va chercher le poisson. Au second il dit : « Va chercher de l’écorce dans la brousse pour faire des cordes ». Au troisième : « Va chercher des fruits de baobab ».

Le premier ramasse beaucoup de poisson : après il avait soif, mais il était si bête qu’il n’a pas eu l’idée de boire dans le marigot. Il laisse le poisson sur le bord et va à la maison. Le vieux lui demande : « Tu n’as pas pris de poisson ? » « Si, dit l’imbécile, mais j’ai laissé le poisson sur le bord du marigot parce que j’avais trop soif ». Le vieux dit : « Assieds-toi là ».

Le second ramasse beaucoup d’écorce pour faire les cordes, mais il laisse tout dans la brousse, parce qu’il n’avait pas de morceau de corde pour attacher toutes ces cordes. Le vieux dit : « Pourquoi n’en as-tu pas pris un morceau pour attacher le reste ». « Je n’y ai pas pensé », dit l’idiot.

Celui qui avait été chercher les fruits de baobab revient les mains vides, parce qu’il avait une manière à lui de les recueillir. Il grimpait dans l’arbre jusqu’à toucher le fruit avec sa main, puis il disait au bâton qu’il avait à la main : « Tu vois ce fruit, quand je te jetterai en l’air abats-le moi ». Après il descendait, lançait le bâton et n’abattait rien. À la fin il revient et le vieux lui demande pourquoi il n’a rien rapporté. Il explique pourquoi. Le vieux lui dit : « Quand tu étais si près, pourquoi ne prenais-tu pas le fruit avec ta main ? ». « Je n’y ai pas pensé ».

Le vieux rassemble tout le village, et raconte l’histoire des trois imbéciles et demande quel est le plus stupide. On demande au premier pourquoi il n’a pas bu en pêchant le poisson : il répond : « Je n’y ai pas pensé ».

De même on demande au second pourquoi il n’a pas pris de l’écorce pour lier le tout : il n’y avait pas pensé.

Enfin on demande au troisième pourquoi pouvant prendre les fruits de baobab, il ne les cueillait pas. Il n’y avait pas pensé.

Alors les gens du village déclarent qu’il est impossible de dire quel est le plus stupide, et leur disent de quitter le village. Le vieux leur donne à chacun une femme et ils s’en vont.

Les trois se disent : « Quand bien même nous parcourrions le monde entier, nous ne trouverons jamais quelqu’un avec qui nous puissions demeurer. Maintenant que nous avons des femmes, il vaut mieux nous arrêter et fonder un village ». Ils construisent des cases et ont beaucoup d’enfants : par la suite, leurs enfants se sont mariés avec les autres hommes, et partout où l’on voit un homme ou une femme qui ne peut rien comprendre, on peut être sûr qu’il descend des trois imbéciles.