Contes des landes et des grèves/Le hausseur

Contes des landes et des grèvesHyacinthe Caillière Editeur (p. 279-282).

XXXVI

LE HAUSSEUR


Il y avait une fois un homme qui ne savait comment gagner sa vie. Comme il était bon farceur, et qu’il avait la langue bien pendue, il résolut de parcourir les campagnes et de tromper les diots (sots).

Un jour il passa sous les fenêtres d’un château en criant :

— C’est moi qui les hausse, qui les baisse, qui les laisse de même !

La dame du château dit à sa servante :

— J’aurais bien besoin d’être haussée, moi qui suis si petite.

— Et moi aussi, dit la servante. Faut-il l’appeler ?

— Oui.

L’homme fut introduit dans la chambre de la dame, qui lui dit :

— Est-ce que vous haussez les gens ?

— Oui, je les hausse, suivant la somme qu’ils me donnent.

— Combien me prendriez-vous pour me grandir de ceci ? demanda-t-elle.

— Deux mille francs.

— Je ne vous donnerai pas tant, moi, dit la servante ; je n’ai que cent écus.

— Ah ! répondit-il, je vous hausserai tout de même, mais pas tant que votre maîtresse. Avez-vous un veau né de ce matin ?

— Oui.

— Allez lui couper la queue et apportez-la ici.

La servante apporta la queue au hausseur, qui fit asseoir la dame sur une chaise, et lui plaça la queue sur la tête, en lui recommandant de rester vingt-quatre heures sans bouger.

Il mit un œuf pondu le matin sur la tête de la servante, en aplatissant un peu le bout, et lui ordonna de rester aussi sur sa chaise vingt-quatre heures sans remuer. Il leur dit alors qu’il allait au jardin chercher les plantes nécessaires pour achever l’opération ; mais il se hâta de détaler.

Quand le maître du château rentra et qu’il vit sa femme et sa servante dans une si drôle de posture, il se fit tout raconter, et il les traita de sottes. Il ordonna de préparer bien vite un cheval et une voiture pour poursuivre le voleur.

Il l’aperçut de loin, qui marchait bon pas, mais le voleur qui l’avait aussi vu, monta sur la couverture d’un moulin dont le meunier était absent, et se mit à en arracher les ardoises. Le monsieur lui demanda s’il n’avait pas vu passer un homme par là.

— Oui, répondit-il, il ne doit pas être bien loin. Je suis à ma journée à arracher des ardoises ; si vous voulez faire ma besogne pendant quelque temps, je vous le ramènerai.

Le monsieur y consentit ; le hausseur monta dans la voiture, et partit au triple galop. Bientôt le meunier arriva.

— Que faites-vous là ? demanda-t-il au monsieur ; qui vous a permis de découvrir mon moulin ?

— Je remplace un ouvrier qui vient de partir.

— Je n’ai dit à personne d’enlever mes ardoises ; aussi vous me paierez la réparation.

Le monsieur vit bien que c’était le hausseur qui lui avait joué ce tour, et il s’en revint tout penaud à la maison.


(Conté en 1883 par Alexis Leparc, du Gouray, âgé de 17 ans.)