Contes des landes et des grèves/Le compère de la Mort

Contes des landes et des grèvesHyacinthe Caillière Editeur (p. 249-253).

XXX

LE COMPÈRE DE LA MORT[1]


Il y avait une fois un homme qui n’était pas riche, et il ne pouvait trouver de parrain pour un fils qui venait de lui naître. Comme il s’en allait par les chemins pour en chercher un, il rencontra la Mort qui lui dit :

— Tu as la mine chagrin, bonhomme : que cherches-tu ?

— Un parrain pour mon enfant qui vient de naître ; mais je n’en trouve point.

— Si tu veux, je nommerai ton fils : je suis le Compère la Mort. Mon nom n’est pas joli ; mais je puis faire du bien à ta famille et enrichir mon filleul.

Le bonhomme accepta, et Compère la Mort devint parrain de son fils ; après le baptême, il dit au père :

— Voici comment tu pourras t’enrichir. Il faut te faire médecin. Il te sera facile, quand tu iras en visite, de savoir si le malade doit guérir ou succomber. S’il est pour mourir, tu me verras au chevet du lit ; si au contraire, son heure n’est pas encore venue, je me tiendrai au pied. Aussi tu ne te tromperas jamais, et comme tu auras bien vite la réputation d’un habile homme, tu gagneras de l’argent autant que tu en voudras.

Le Compère de la Mort se fit médecin, et, comme il disait toujours sans se tromper si le malade devait guérir, il ne tarda pas à être connu. On venait de tous côtés le chercher, et il emportait chaque fois de bonnes pièces d’argent.

Cependant le roi tomba malade, et comme il avait entendu parler du médecin qui ne se trompait jamais, il l’envoya chercher, lui promettant une riche récompense s’il guérissait. Le bonhomme vint au palais, et, en entrant dans la chambre où gisait le roi, il vit Compère la Mort qui se tenait au chevet de son lit. Il en était bien marri, car il aurait bien voulu guérir le roi, et toucher la grosse somme qui lui avait été promise. Il se gratta l’oreille, puis, après un moment de réflexion, il ordonna de prendre le Roi, et de lui placer la tête où il avait auparavant les pieds. De cette façon, compère la Mort se trouva au bas du lit au lieu d’être au chevet et le roi fut guéri.

En sortant du palais, les poches remplies d’or, le bonhomme rencontra son compère qui lui dit :

— Tu m’as trahi, et tu m’as fait tort, compère ; aussi tu vas mourir.

— Non, répondit le bonhomme ; je me cacherai si bien que tu ne pourras me trouver.

— Je t’atteindrai partout où tu seras ; il n’y a nul endroit où je ne puisse pénétrer.

— Bah ! dit le bonhomme en tirant de sa poche une petite bouteille ; si j’étais caché là-dedans, est-ce que vous iriez m’y chercher ?

— Oui, certes, répondit la Mort.

— Non, compère, cela, je ne le croirai jamais.

— Hé bien, tu vas voir.

Compère la Mort se fit tout petit et entra dans la bouteille ; mais aussitôt le bonhomme, qui tenait un bouchon tout prêt, boucha la bouteille et la mit dans sa poche. Il rentra ensuite chez lui, et la ramassa dans son armoire ; mais il réfléchit et pensa que quelqu’un pourrait la déboucher ou la casser par mégarde. Il alla creuser dans son jardin un trou, y mit la bouteille et la recouvrit de terre.

Pendant que Compère la Mort était emprisonné, personne ne mourait ; le roi se portait comme un charme, et le bonhomme aussi. Cela dura quelque temps ; mais un jour les cochons entrèrent dans le jardin, et s’étant mis à gratter la terre avec leur groin, ils découvrirent la bouteille et firent sauter le bouchon avec leurs dents.

Alors Compère la Mort sortit, et il recommença à voyager sur terre. Cette fois il frappa son compère et le roi, et il leur fallut tous les deux mourir.


(Conté en 1881, par J. Lucienne, de Trébry.)




  1. Dans ce conte la Mort personnifiée est, comme l’Ankou bas-breton, un homme, et non une femme.