Contes des landes et des grèves/La Mort et le bonhomme

Contes des landes et des grèvesHyacinthe Caillière Editeur (p. 254-258).

XXXI

LA MORT ET LE BONHOMME


Il y avait une fois un homme qui était très vieux, et la Mort fut envoyée pour le chercher. Il s’attendait à la voir venir, car, autrefois on savait à quel jour et à quelle heure on devait mourir. Le bonhomme boucha de son mieux les portes et les fenêtres de sa maison, mais il oublia la cheminée.

Quand vint l’heure où la Mort devait passer, le bonhomme fut très inquiet, car bien qu’il fût le plus âgé de sa paroisse, il n’avait pas envie de mourir. Toutefois, il pensait que la Mort ne pourrait entrer chez lui, et que, comme elle avait bien d’autres besognes, elle serait obligée de s’en retourner sans l’emmener.

Comme il y songeait, il vit la Mort qui descendait par la cheminée. Elle vint se planter devant lui, sa faux à la main. Il eut bien peur, mais il se mit à causer avec elle, pour essayer de gagner du temps.

— Par où êtes-vous entrée ? lui demanda-t-il.

— Par la cheminée, répondit la Mort.

— Vous n’êtes donc pas bien grosse, pour avoir passé par une si petite route ?

— Non, dit-elle, je ne suis pas grosse quand je veux, car je puis prendre toutes les formes.

— Bah ! s’écria le bonhomme ; est-ce que vous pourriez vous fourrer dans cette met-là[1] ?

— Mais oui.

— Mettez-vous y donc un peu pour voir, car si je ne le vois de mes yeux, je ne le croirai jamais.

La Mort se rapetissa et entra dans la met ; dès qu’elle y fut, le bonhomme ferma vivement le couvercle et s’assit dessus, de sorte que la Mort se trouva prise.

— Laisse-moi partir, dit-elle, ou tu t’en repentiras.

— Non, répondit le bonhomme ; car si je te laissais soulever ce couvercle, tu me tuerais avec ta faux.

— Hé ! bien, dit la Mort, je t’accorde encore dix ans de vie.

— Non, je ne te tiens pas quitte pour si peu ; il me faut cent ans, ou tu ne sortiras d’ici qu’au jour du Jugement.

— Cent ans soit, dit la Mort, qui était pressée d’achever sa journée.

Le bonhomme vécut cent ans ; il était vieux, vieux comme tout ; mais il n’avait pas encore envie de mourir. Aussi, le jour où la centième année fut accomplie, il boucha avec plus de soin encore que la première fois toutes les ouvertures de la maison ; il n’oublia pas la cheminée, ni même le trou au chat.

Mais la Mort entra par le trou de la serrure et se planta devant lui.

— Tiens, dit le bonhomme, par où êtes-vous donc entrée ?

— Par le trou de la serrure.

— Vous êtes donc bien petite ; mais est-ce que vous pourriez vous fourrer dans cette bouteille ?

— Facilement, dit la Mort.

Elle se rapetissa et entra dans la bouteille, qui était si petite qu’on n’y aurait pas mis pour un sou d’eau-de-vie. Le bonhomme se hâta de la boucher, et la Mort lui dit :

— Vilain bonhomme, tu m’as encore prise ; je t’avais pourtant accordé cent années de grâce. Laisse-moi partir.

— Non, vous resterez ici, ou bien vous me donnerez encore cent années à vivre.

La Mort, qui était pressée d’aller faucher, lui accorda encore ce délai ; elle repartit en voyage, et je ne sais si au bout des cent ans elle revint le chercher.


(Conté en 1882, par J. M. Comault, du Gouray.)




  1. Huche.