Contes des landes et des grèves/La petite Toute-Belle

Contes des landes et des grèvesHyacinthe Caillière Editeur (p. 144-152).

XIII

LA PETITE TOUTE-BELLE


Il était une fois une petite fille qui était si jolie qu’on l’avait appelée Toute-Belle, et sa mère était jalouse de sa beauté. Elle avait une bonne, voleuse comme une pie, qui la détestait aussi parce qu’elle allait raconter à sa mère tout ce qu’elle lui prenait. La méchante bonne disait à sa maîtresse que Toute-Belle était une menteuse, que c’était elle qui la volait, et elle le répéta tant de fois qu’elle finit par le lui faire accroire.

Un jour la dame, à qui on avait pris des bijoux, crut que c’était Toute-Belle qui les lui avait dérobés ; elle entra dans une grande colère et s’écria qu’elle donnerait volontiers quelque chose à la personne qui la débarrasserait de Toute-Belle ; la bonne lui dit :

— Toute-Belle vient chaque jour avec moi au puits ; je lui ferai accroire qu’on voit au fond une belle fleur ; comme elle est très curieuse, elle se penchera pour regarder, et je la pousserai dans le puits. Tout le monde croira qu’elle y est tombée en se penchant.

Sa mère répondit qu’elle le voulait bien. Le lendemain, la bonne alla au puits, et quand elle fut sur le point d’y faire descendre son seau, elle s’écria qu’on voyait une belle fleur. Toute-Belle voulut la voir, et, pendant qu’elle était penchée, sa bonne la poussa et la fit tomber. Mais, au lieu de se noyer, Toute-Belle se trouva dans une jolie chambre. Bientôt elle y vit entrer trois dragons qui lui demandèrent comment elle était venue là. Elle le leur raconta, et les dragons la trouvèrent si jolie qu’ils la gardèrent à demeurer avec eux.

Le lendemain, quand la bonne vint au puits pour tirer de l’eau, Toute-Belle se montra et lui dit :

— Bonjour, ma bonne, souhaitez le bonjour à ma mère.

Quand la bonne l’entendit, elle faillit tomber à la renverse, de surprise ; elle courut de toutes ses forces à la maison, et raconta à sa maîtresse que la petite fille n’était pas morte et qu’elle lui avait parlé.

Alors la mère alla trouver une méchante fée et lui demanda comment faire mourir Toute-Belle. La fée lui donna des dragées rouges, et lui dit que Toute-Belle mourrait dès qu’elle les aurait mangées.

Le lendemain matin, quand la bonne alla au puits, Toute-Belle s’attira encore et lui dit :

— Bonjour, ma bonne, souhaitez le bonjour à ma mère.

— Bonjour, Toute-Belle, répondit la bonne, voici de jolies dragées rouges que votre maman vous envoie.

Toute-Belle ramassa les dragées et les porta dans sa chambre, mais comme elle allait les manger, les dragons arrivèrent et lui dirent que c’était du poison.

Le jour suivant, la bonne alla au puits ; Toute-Belle s’attira et lui dit :

— Bonjour, ma bonne ; souhaitez le bonjour à ma mère !

— Bonjour, Toute-Belle, répondit la bonne.

Puis elle retourna à la maison en criant :

— Ah ! madame, j’ai encore vu Toute-Belle, qui est plus jolie que le jour.

— Comment ! s’écria la mère, elle n’est pas encore morte ! allez me chercher la fée.

Quand la fée arriva, elle lui dit :

— Voici la seconde fois que je vous ordonne de faire mourir cette enfant, et elle n’est pas encore morte ! si cette fois elle réchappe, c’est moi qui vous tuerai.

— Madame, répondit la fée, je regrette de faire mourir cette petite fille, car elle est la plus belle du monde ; mais, puisque vous l’ordonnez, voici une robe rouge ; dès qu’elle l’aura mise, elle mourra.

Le lendemain, quand la bonne alla au puits, Toute-Belle s’attira et dit encore :

— Bonjour, ma bonne ; souhaitez le bonjour à ma mère.

— Bonjour, Toute-Belle ; voici une robe que votre maman vous envoie pour remplacer la vôtre qui est usée.

Toute-Belle prit la robe que sa bonne lui jetait, et elle alla dans sa chambre ; elle lui parut si jolie, qu’elle voulut tout de suite la mettre, pour que les dragons la trouvent belle quand ils reviendraient. Mais dès qu’elle l’eut pouillée, elle tomba par terre sans mouvement.

À leur retour, les dragons virent Toute-Belle étendue sur le plancher. Ils la crurent morte et ils eurent beaucoup de chagrin, car ils l’aimaient comme leur sœur.

Ils firent faire une châsse où ils mirent Toute-Belle, puis ils allèrent la déposer au bord de la mer. Quand la marée monta, la châsse fut soulevée et se mit à flotter sur les eaux comme une barque. Tant que les dragons la virent, ils restèrent sur le rivage à pleurer ; mais bientôt elle disparut à leurs yeux, et ils crurent qu’elle avait coulé au fond de l’eau.




La châsse navigua longtemps sur la mer ; elle finit par s’arrêter sur des rochers près desquels était bâti un château. Le jeune roi qui regardait par sa fenêtre la vit et ordonna à son domestique d’aller la chercher et de l’apporter dans sa chambre.

Quand elle y eut été transportée, le jeune homme ferma sa porte et ouvrit la châsse. Il y vit Toute-Belle, qui était jolie comme un jour, et semblait dormir. « Oh ! se dit-il, elle est trop fraîche, elle ne peut être morte, elle ne peut être qu’endormie. » Il alluma un grand feu et prit la jeune fille sur ses genoux pour voir si la chaleur la ferait revenir à la vie.

Cependant la mère du roi, qui ne l’avait pas vu depuis quelques jours, pensa qu’il était malade, et elle monta à la chambre de son fils. La porte était fermée, et elle ordonna à une de ses femmes de regarder par le trou de la serrure. La servante vit le roi qui essayait de réchauffer la jeune fille et la tenait sur ses genoux. Elle le dit à la reine, qui entra dans une grande colère, et, défonça la porte. Mais quand elle fut entrée, et qu’elle eut vu cette jeune fille qui semblait morte, elle fut prise de pitié, et dit au roi :

— Où donc, mon fils, avez-vous trouvé cette jeune personne ?

— Ma mère, répondit-il ; elle était dans cette châsse que voilà, qui voguait sur les eaux comme une barque et s’est arrêtée au pied du château.

La servante s’était approchée de Toute-Belle, et elle dit à la reine :

— Madame, cette jeune fille est trop jolie et trop fraîche pour être morte ; si vous voulez, nous allons lui ôter sa robe pour mieux la réchauffer.

Dès que la robe eut été enlevée, Toute-Belle ouvrit les yeux et demanda : « Où suis-je ? »

Alors le roi et la reine lui dirent qu’elle était chez des gens qui lui voulaient du bien, et ils lui demandèrent de raconter son histoire. Elle leur dit ce qui lui était arrivé jusqu’au moment où, ayant revêtu la robe rouge, elle était tombée sans mouvement. Mais, dit-elle, je voyais tout ce qui se passait autour de moi ; j’ai entendu les dragons qui pleuraient en me faisant leurs adieux, mais je ne pouvais ni parler ni remuer.

Le roi envoya chercher les trois dragons, qui furent bien heureux en voyant que Toute-Belle était vivante : le roi les récompensa et dit :

— Toute-Belle sera ma femme, si elle le veut ; mais avant de me marier avec elle, je veux faire venir sa mère et sa bonne.

Quand elles furent devant le roi, il salua respectueusement la mère de Toute-Belle et lui dit :

— Madame, j’ai entendu dire que vous aviez une jeune fille à marier.

— Non, répondit-elle ; j’en avais une, mais elle est morte.

— De quelle maladie ?

— Elle mourut subitement, et j’en eus beaucoup de chagrin.

— Madame, vous mentez : votre fille est vivante ; la voici, et elle sera reine. Pour vous et votre méchante bonne, vous monterez sur le bûcher pour y être brûlée toute vivante, parce que vous n’êtes pas une mère, mais une marâtre.


(Conté par Jeanne-Marie Kernevivaine, de Médréac).