Contes de terre et de mer/La Princesse aux pêches


Tiens, lui dit-elle, voici une baguette. (Page 233.)

LA PRINCESSE AUX PÊCHES


Au temps des contes d’autrefois, vivait un roi qui n’avait qu’une fille : à la naissance de la princesse, une fée prédit qu’elle aurait pour mari un homme qui lui apporterait un panier de pêches, les plus belles qui fussent dans le royaume. Dès son enfance la fille du roi se fit remarquer par un goût prononcé pour ce fruit, qu’elle préférait à tous les autres.

Quand elle fut en âge de se marier, le roi fit publier partout qu’il donnerait sa fille en mariage à celui qui apporterait la plus belle pannerée de pêches, et qui accomplirait ensuite trois épreuves difficiles.

Non loin du château se trouvait une grande ferme dont le jardin contenait des pêches des plus belles espèces et à vingt lieues à la ronde il n’y en avait pas de mieux soignées.

Quand le seigneur auquel appartenait la ferme eut connaissance de la promesse du roi, il ordonna qu’on lui cueillît un panier des pêches les plus veloutées, les mieux en point et les plus appétissantes ; il prit soin lui-même de les envelopper dans des feuilles de vigne pour les préserver de tout ce qui aurait pu les meurtrir et altérer leur beauté.

Comme il se rendait au château du roi, vêtu de ses habits du dimanche et le panier au bras, il rencontra sur sa route une vieille femme habillée comme une mendiante, qui lui dit :




— Que portez-vous avec tant de précautions, mon beau seigneur ?

— Des cornes, la vieille, répondit le noble d’un ton arrogant.

— Ainsi soit-il, dit la bonne femme.

Le seigneur arriva au palais, et fut introduit en présence du roi auquel il fit, en lui offrant son présent, une gracieuse révérence. Il souriait complaisamment en se regardant dans une glace, et il pensait que le roi allait le complimenter. Mais quand on ouvrit le panier, au lieu d’y trouver des pêches appétissantes et fraîches, on y vit des cornes de bouc qui sentaient si mauvais que chacun se bouchait le nez. Le roi crut que le seigneur avait voulu se moquer de lui, et il le chassa de sa cour avec défense de jamais y reparaître.




Le lendemain, le fils de la fermière se mit en route à son tour après avoir cueilli d’autres pêches qui avaient mûri dans la nuit ; sur le bord du chemin il rencontra aussi la vieille femme qui lui demanda :

— Qu’y a-t-il dans votre panier, mon joli garçon ?

— Des crottes de brebis, répondit-il insolemment.

— Ainsi soit comme vous l’avez dit.

Quand le gars ouvrit son panier pour montrer ses pêches au roi, il ne contenait plus que des crottes de brebis, et le prince, encore plus fâché que la veille, ordonna à ses domestiques de mettre à la porte ce mal appris, et de le traiter de manière à lui ôter l’envie de jouer de pareils tours à son seigneur. Le jeune homme revint à la ferme tout penaud et les épaules meurtries des coups qu’il avait reçus, car les gens du roi n’y allaient pas de main-morte.

Il y avait à la ferme un petit garçon qui gardait les vaches, et dont chacun se moquait parce qu’il n’avait point de défense, et qu’on le croyait innocent.




Il vint demander à la fermière la permission de cueillir des pêches : mais elle partit d’un grand éclat de rire dès qu’elle l’entendit parler.




— Ah ! dit-elle, voici le restant de mon écu ; je pense que ce garçon est fou de vouloir prétendre à la fille du roi, alors que son seigneur et mon gars n’ont pu y réussir.

Laissez-moi tenter l’aventure, ma bourgeoise, répartit le berger : j’ai comme une idée que cela ne tournera point aussi mal que vous le croyez.

— Eh bien ! j’y consens, mais si tu es maltraité, personne ne te plaindra, car tu as été averti.

Le pâtour cueillit des pêches qu’il choisit une à une, leur fit un matelas de mousse et de feuilles pour empêcher qu’elles fussent meurtries, et vêtu de ses habits des dimanches, il se mit en route son panier au bras, en marchant d’un pas posé.

La vieille mendiante vint aussi lui demander ce qu’il avait dans son panier pour le porter comme un Saint-Sacrement.

— Des pêches, ma bonne femme : elles sont pour la fille du roi, mais comme j’en ai plusieurs douzaines, si vous avez envie d’en manger, je vous en donnerai quelques-unes avec plaisir.

— Tu es bien honnête, mon garçon ; j’accepte, et comme tu t’es montré bienveillant à l’égard d’une pauvre vieille chercheuse de pain, je vais te faire à mon tour un présent. Voici une petite baguette blanche qui te procurera ce que tu désireras ; mais prends bien garde à tes souhaits, car son pouvoir est limité et tu ne pourras t’en servir que trois fois. Va, et si tu sais te conduire, tu épouseras la fille du roi.

Avant de quitter la bonne femme, le jeune gars la remercia de sa bonté, puis, continuant sa route, il arriva au palais du roi. Quand celui-ci vit venir ce jeune pâtour qui n’était pas des mieux habillés, il crut avoir affaire comme les jours précédents à un mauvais plaisant, et il refusa d’abord de l’admettre en sa présence ; mais on lui dit que le jeune gars avait l’air doux et poli, et il ordonna de l’introduire, en jurant que s’il avait l’audace de lui jouer une farce, il l’en ferait repentir pendant toute sa vie. Mais quand il eut soulevé le couvercle du panier, il aperçut les pêches les plus belles qu’il eût encore vues.

Il était si content qu’il appela la princesse pour les lui montrer : elle était faite au tour, et le berger la regardait avec admiration, et ne pouvait en détacher ses yeux.

Le roi, qui remarqua les regards du jeune garçon, lui dit :

— Je vois que ma fille te plaît ; tu as apporté des pêches superbes, et je ne pense pas qu’il y en ait au monde de plus belles ;




mais il te reste à accomplir les épreuves que je t’indiquerai, et qui me feront voir si c’est toi que les fées ont destiné à devenir mon gendre.

Pour aujourd’hui il faut que tu te procures une charrette qui n’ait point été fabriquée par un charron ; tu y attelleras des chevaux qui n’auront jamais mangé d’herbe ; et tu m’amèneras les hommes qui se rencontreront sur ta route avant le coucher du soleil. »

Le pâtour sortit après avoir salué respectueusement le roi et jeté un regard à la princesse ; quand il fut un peu éloigné du château il frappa avec sa baguette sur le bois d’un échalier en souhaitant qu’il fût transformé en une charrette légère, ce qui s’accomplit à la minute. Il aperçut dans le haut d’un châtaignier deux écureuils qui grignotaient des châtaignes ; il donna deux coups sur le tronc de l’arbre et désira deux chevaux avec leur harnais et tout ce qu’il fallait pour les conduire. Les deux écureuils descendirent et, quand ils arrivèrent auprès de la charrette, c’étaient deux beaux chevaux roux bien harnachés, et il se hâta de les atteler.




Il monta dans la charrette que les chevaux se mirent à traîner d’un pas rapide, sans qu’il eût besoin de se servir du fouet, car ils obéissaient à la voix.

Le premier homme qu’il rencontra essayait de changer de place une église qu’il trouvait trop rapprochée d’une bouse de vache ; il suait à grosses gouttes, mais il était déjà parvenu à déranger l’énorme édifice. Le jeune gars l’invita poliment à monter dans sa charrette, et il accepta son offre sans se faire prier.

Un peu plus loin, le pâtour vit un homme couché par terre, et qui approchait l’oreille du sol comme pour écouter.

— Que fais-tu là ? lui demanda-t-il.

— J’entends l’avoine qui lève.

— Viens avec moi.

L’homme sauta lestement dans la charrette, et le jeune gars, continuant son voyage, aperçut un autre homme qui se gonflait les joues et soufflait comme on fait quand on trouve la soupe trop chaude :

— Pourquoi souffles-tu ainsi, l’ami ?

— C’est pour faire tourner les ailes du moulin de mon meunier qui est à sept lieues d’ici.

— Viens avec nous, lui dit-il.




Le souffleur accepta de prendre place à côté des autres. Comme on arrivait à une côte rapide, le jeune garçon laissa ses chevaux la monter au pas ; il vit un homme qui crachait par terre, et son crachat se transformait en verglas, puis un autre voyageur qui portait sur son dos un bissac dont l’une des poches enfermait la nuit et l’autre le jour ;




tous les deux consentirent à monter dans la charrette, et le bignet se disait avec joie que les talents divers de tous ces gens pourraient lui être d’un grand secours si le roi lui imposait quelque nouvelle épreuve.

Il rencontra enfin un guerrier dont le sabre pouvait trancher à sept lieues de distance ; il l’invita à se joindre à ceux qui étaient déjà dans la charrette, et, comme à ce moment le soleil allait se coucher, il fit reprendre à son attelage le chemin du château, où, dès son arrivée, il présenta au roi les gens qu’il avait recueillis sur la route.

— C’est bien, dit le prince, je suis content de toi : demain tu auras encore autre chose à faire. J’enverrai à une ville éloignée d’ici des pigeons, en donnant l’ordre de les faire repartir dès leur arrivée ; un peu plus tard, je lâcherai une seconde volée de pigeons qui iront au même endroit, et il faudra, pour que je te tienne quitte de cette seconde épreuve, que les derniers partis soient ici les premiers.

Le lendemain, dès qu’il fut jour, le bignet se mit en route avec sa charrette où montèrent les gens qu’il avait recueillis la veille. Bientôt, il vit passer au-dessus de sa tête les pigeons que le roi avait lâchés ; un peu après, la seconde bande traversa les airs.




Quand elle fut hors de vue, il ordonna à celui qui entendait l’avoine lever, de se coucher par terre, et de lui dire si les oiseaux étaient en route pour revenir.

L’homme écouta quelque temps, puis il dit :

— Ils sont partis et j’entends le bruit de leurs ailes : la première bande a trois lieues d’avance sur la seconde ;

Alors le jeune gars commanda à celui dont le souffle faisait tourner les moulins, d’enfler sa bouche et de souffler : le premier volier de pigeons fut repoussé à quatre lieues en arrière, et ceux qui étaient partis les derniers, ayant alors sur les autres une avance d’une lieue, furent les premiers arrivés au pigeonnier du château.

Le roi félicita le berger de son nouveau succès, et lui indiqua la troisième épreuve.

— Demain, dit-il, une bataille se livrera dans une grande plaine, entre mes troupes et celles de mes ennemis qui sont bien supérieurs en force : il faudra que grâce à toi mon armée soit victorieuse.




Dès que parurent les premières lueurs du jour, l’amoureux de la princesse attela sa charrette, et, accompagné de ses gens, arriva sur le champ de bataille, au moment où les deux armées se rangeaient pour engager le combat.

Par son ordre, celui dont le crachat produisait du verglas se mit à cracher sur le terrain qui se trouvait devant la cavalerie ennemie, et il le rendit si glissant que les chevaux tombaient pêle-mêle par terre et ne pouvaient avancer.

L’homme au bissac fit sortir la nuit qu’il tenait, enfermée dans un des côtés de sa besace et enveloppa les ennemis d’une obscurité si profonde que c’est à peine s’ils apercevaient la pointe de leurs lances ; l’armée du roi était en pleine lumière, et le guerrier dont l’épée tranchait à sept lieues de distance coupait les ennemis par le milieu du corps, faisait voler les têtes et les bras, et en peu d’instants la grande armée des adversaires du roi fut détruite.

Quand le pâtour vit que cette troisième épreuve était accomplie, il commanda à sa baguette de lui donner le costume et l’air d’un seigneur. Il se hâta de revenir au château du roi, et il avait si bonne mine que la princesse le trouva fort à son goût et ne fit aucune difficulté de l’épouser.

Il y eut de grandes noces à l’occasion de ce mariage : peu après le roi mourut, et son gendre qui lui succéda régna heureusement pendant de longues années, au grand contentement de ses sujets.


Conté en 1878, par Jean Bouchery, de Dourdain.