Contes de Pantruche et d’ailleurs/Publicité dans les Salons


Publicité dans les Salons


Quel testimonial, pour un article de toilette, pour un médicament, ou pour un tricycle nouveau modèle, vaut mieux que la simple affirmation d’un homme du monde, affirmation émise négligemment, dans un salon ami, en présence d’une société de gens élégants ?

Si cette attestation est répétée quelques jours après, devant le même auditoire, par un autre homme du monde, également bien posé, il n’en faut pas davantage pour lancer tout à fait le produit dont on a célébré les qualités.

C’est ce qu’a très bien compris l’Agence de Publicité dans les salons, la plus ancienne des agences de ce genre, celle qui possède le meilleur personnel mondain.

Quelques mots sur le fonctionnement de cette intéressante entreprise.

Tous les jours, de quatre à six, les clubmen affiliés se rendent au siège social, où se distribue la liste des produits qu’il s’agit de vanter dans deux, trois ou quatre salons. Le tarif ordinaire est d’un louis par article et par salon. Mais on a vu des gens du monde, d’une situation sociale très élevée, toucher jusqu’à vingt-cinq louis pour un seul article et pour un seul salon.

Une fois en possession de sa liste, l’homme du monde a quelques heures devant lui pour réfléchir sur le tour qu’il lui faudra donner à ses propos, chercher son entrée en matière pour parler d’un certain vernis à chaussures, puis une transition pour entamer l’éloge de tel ou tel sinapisme.

Quand le comte de N… tombe au milieu d’une belle discussion sur les forces navales de l’Italie, il lui faut une grande habitude du monde et un réel talent de causeur pour faire venir la conversation sur la lessiveuse Babou, et surtout pour expliquer comment il a été amené à en expérimenter les qualités nombreuses. Car on voit mal ce moderne Brummel quitter sa longue redingote pour se mettre à nettoyer des camisoles ou des langes de petit enfant.

À côté du clubman faiseur de boniment il y a l’homme du monde inspecteur, présentant de hautes garanties d’honorabilité, et chargé du rôle délicat de faire des tournées dans les divers salons, pour veiller à ce que les gentlemen affiliés s’acquittent de leur mission avec la conscience désirable.

L’inspecteur entre dans le salon, s’approche de vous ou de moi, lie connaissance, nous offre parfois de quoi fumer, et nous désignant un des assistants, nous demande d’un ton dégagé :

— N’est-ce pas ce monsieur qui parlait tout à l’heure de la poudre de riz Corinthienne ?

Et comme nous esquissons un geste de dénégation vague :

— Vous êtes ici depuis longtemps ? interroge l’inspecteur, comme pour parler d’autre chose.

— Depuis une heure et demie à peu près.

Notre interlocuteur est fixé. Il s’approche discrètement du clubman délinquant, et lui glisse dans l’oreille.

— Vous n’avez pas parlé de la poudre Corinthienne ? Huit francs d’amende.

L’Agence mondaine de publicité traite parfois de belles affaires. C’est ainsi qu’elle a dernièrement affermé pour six mille francs le nez du major H… Voici l’avantage de cette petite opération.

Un clubman affilié se trouve dans un salon avec le major H…, et lui fait les compliments les plus vifs sur la blancheur de son nez.

… Eh bien ! mon cher, répondit le major H…, vous me croirez si vous voulez ; mais, il n’y a pas six mois, ce nez était littéralement couvert de points noirs !

— Et serait-il indiscret de vous demander comment vous êtes arrivé à l’en débarrasser d’une façon aussi complète ?

— Mais tout simplement par l’emploi de la pâte Trafalgar qui, en moins de six semaines, a donné à mon nez cette blancheur que vous admirez tant !