Contes de Pantruche et d’ailleurs/Le Roi Dagobert

F Juven et Cie (p. 77-80).


Le roi Dagobert

I

Le bon roi Dagobert entendit un jour comme un gros bruit d’abeilles. C’était le peuple qui murmurait.

Saint Éloi, toujours bien informé, expliqua les murmures : « Le peuple, excité par des meneurs, se plaignait de la monarchie absolue. » — C’est bon, répondit le roi, je vais leur donner une Constitution.

Mais l’autocrate saint Éloi refusa d’associer son nom à cette politique. Saluant son roi avec un sourire amer, il s’éloigna et rentra dans la vie privée.

II

On procéda à des élections de députés. Des professions de foi s’inscrivirent à la pierre noire sur la façade des maisons, le vin coula abondamment dans les auberges, durant que des hérauts, dans les carrefours, criaient les noms et qualités des candidats.

Le Parlement, une fois élu, s’assembla. Ce fut un beau spectacle. Quand ses enfants avaient été sages, le bon roi les conduisait à la salle des séances, où les députés s’entr’arrachaient la barbe, rudoyaient les côtes et dévoraient les narines.

III

Or, l’événement prévu arriva. Un matin, le bon roi Dagobert enfila sa culotte à l’envers, et, de la sorte accoutré, présida le conseil des ministres.

Du temps que Dagobert était un bon tyran, saint Éloi eût coupé court à l’incident, en disant à son maître : Sire, votre majesté est mal culottée. Mais saint Éloi et ses amis politiques grossissaient désormais le parti des mécontents. On put lire en grosses lettres sur les manuscrits de parchemin qu’on vendait le soir, au coin des rues :

UN SCANDALE AU PALAIS

UNE MAJESTÉ MAL CULOTTÉE

IV

L’affaire suscita une grosse émotion dans les cercles. Naymes de Montmartre, Ogier du Vexin et Charibert de Monsouris l’apportèrent à la tribune.

Mais, après discussion, la majorité servile déclara que, « confiante en la bonne tenue de l’Exécutif », elle passait à l’ordre du jour.

V

— Soit ! dit saint Éloi. Les voies parlementaires ne nous mènent à rien ; essayons d’autre chose.

Des maisons et des palais, enflammés par une poudre magique, s’effondrèrent ou volèrent en éclats.

— Je suis un bon roi, dit Dagobert. Pourtant, l’intimidation, ça ne prend pas avec moi.

Et, enhardi par ses conseillers, non content de laisser sa culotte telle, il retourna sa veste, son bonnet royal et ses pantoufles.

Alors, d’autres maisons s’enflammèrent de plus belle. Mais je ne puis vous en dire davantage, la page de mon précis d’histoire s’étant arrêtée là.