Contes de Pantruche et d’ailleurs/La Foire aux pains d’épices
La Foire aux pains d’épices
Quand nous eûmes quitté mon oncle, chez qui nous avions dîné, Le Blafard me paya le café à la brasserie voisine ; puis nous nous dirigeâmes vers la Foire aux pains d’épices (c’est moi qui payai le tramway).
Le Blafard me fit les honneurs du diorama. Moi. je lui offris le rat de douze kilos. En revanche, ce fut aux frais de mon ami que je touchai le gros mollet de la dame colosse.
Nous faisions montre, l’un et l’autre, d’un détachement de grand seigneur dans ce méticuleux assaut de politesses. Mais c’était entre nous un accord tacite pour mépriser tous les spectacles qui coûtaient plus de dix sous.
Comme c’était mon tour de régler, j’avisai avec empressement une modeste petite baraque, et je parus très alléché (entrée : vingt-cinq centimes) par cette mirifique enseigne : Venez voir la huitième merveille du monde.
La foule estimait probablement que c’était assez de sept merveilles pour un vieux monde tel que le nôtre, car nous nous trouvâmes seuls, Le Blafard et moi, à l’intérieur de la baraque, devant un rideau d’andrinople usé.
Soudain, sortant d’on ne sut jamais où, un monsieur mal vêtu apparut à nos côtés. Il avait une voix fort éraillée (sans doute à cause d’un sabre avalé de travers).
Il écarta le rideau d’andrinople, et qu’aperçûmes-nous dans une solide cage de fer ?
Un paisible vieillard, en habits de ville, assis sur une chaise de paille, les deux mains croisées sur un parapluie vénérable.
— Habitants des villes et des campagnes, s’écria l’humble barnum, riverains des fleuves et des marais, fonctionnaires maladifs, bourgeois casaniers et joyeux loups de mer, nous ne venons pas vous exhiber ici des hommes sauvages, car vous en avez assez vus.
« Et le beau miracle, vraiment, de se nourrir de viande crue ! Nous en mangeons tous, de la viande crue, par ordonnance de notre médecin, ou par incurie de notre cuisinier. Le rare, messieurs, le prodigieux, mesdames, serait de manger de la viande cuite à point.
« Honorables assistances, le phénomène que nous avons l’honneur de vous présenter ici, est un phénomène unique, justement dénommé : la huitième merveille du monde, par toutes les sociétés savantes. »