Contes arabes (Basset)/Histoire des dix vizirs/Neuvième journée

Ernest Leroux, éditeur (Collection de chansons et de contes populaires, VIIp. 113-115).

NEUVIÈME JOURNÉE

Le destin fixé irrévocablement.


Le neuvième jour, les vizirs se dirent : « Ce jeune homme nous donne fort à faire. Chaque fois que le prince veut le faire mourir, il le trompe et le charme par une histoire. Que pourrions-nous inventer pour le tuer et nous débarrasser de lui ? » Ils convinrent d’aller trouver la reine et lui dirent :

« Tu ne t’occupes pas de cette affaire où tu es mêlée, toi aussi ; mais cette négligence ne te profitera pas. Le roi ne songe qu’à manger, à boire et à vivre tranquille, et il oublie que les gens battent du tambour, font des chansons contre toi et répètent que la reine aime un esclave. Tant qu’il restera en vie, ces propos ne feront que croître sans diminuer jamais. »

« Vous m’avez déjà excitée contre lui, répondit-elle, qu’y a-t-il à faire ? »

« Tu entreras chez ton mari, reprirent-ils, en pleurant et en disant : Des femmes sont venues chez moi et m’ont appris que je suis diffamée dans le pays ; comment peux-tu épargner ce jeune homme ? Si tu ne le fais pas périr, je me tuerai, afin de couper court aux propos qu’on tient contre nous. »

Alors elle se leva, déchira ses vêtements, entra chez Azâd-Bakht avec les vizirs et se précipita vers lui en disant : « Prince, ma honte ne retombe-t-elle pas sur toi et ne crains-tu pas le déshonneur ? Est-ce ainsi que se conduisent les rois ? Est-ce là leur jalousie pour leurs femmes ? Tu restes insouciant, alors que tous les gens du pays, hommes et femmes, tiennent des propos sur toi ; tue ce prisonnier pour y mettre fin, ou bien tue-moi, puisque tu ne peux accorder une condamnation à mort. »

Là-dessus, le courroux du prince s’enflamma et il répondit : « Je ne prolongerai plus sa vie : il faut absolument qu’il meure aujourd’hui ; retourne chez toi et rassure-toi. » Puis il fit comparaître le prisonnier que les ministres interpellèrent aussitôt : « Misérable, malheur à toi ! ta dernière heure est venue ; la terre s’ouvrira pour recevoir ton corps et le mettre en pièces46. »

Le jeune homme leur répondit : « Ni vous, ni vos discours ne peuvent rien sur la mort ; c’est un destin arrêté irrévocablement47. Si une chose est écrite dans le livre de la destinée, elle arrive infailliblement ; nulle précaution, nulle prudence ne peut en garantir, comme il arriva au roi Ibrahim et à son fils. »

Azâd-bakht ayant demandé quelle était cette histoire, le prisonnier commença :