Les Contes de Canterbury/Conte du meunier

Traduction par Joseph Delcourt.
Texte établi par Émile LegouisFélix Alcan (p. 88-108).



Conte du Meunier.


Prologue du conte du Meunier.


Ci suivent les paroles échangées entre l’hôte et le meunier.


Lorsque le chevalier eût ainsi conté son conte,
3110 dans toute la compagnie il ne fut jeune ni vieux
qui ne dît que c’était là une noble histoire
et bien digne d’être tenue en mémoire ;
ainsi surtout pensèrent tous les gens de naissance.
Notre hôte rit et jura : « Parbleu !
voilà qui va bien ; le sac est débouclé ;
voyons qui maintenant nous contera un autre conte :
car vraiment le jeu est bien commencé.
Or ça, sire moine, si vous le pouvez, dites donc
quelque chose pour payer le conte du chevalier. »
3120 Le meunier, tout pâle d’avoir trop bu,
si bien qu’à grand’peine il se tenait à cheval,
ne voulut abaisser capuchon ni chapeau,
ni céder le pas à personne par courtoisie,
mais, du ton d’un Pilate[1], il se mit à crier,
et jura par les bras, par le sang et par les os :
« Je sais un noble conte, et de circonstance,
dont je veux payer le conte du chevalier. »
Notre hôte vit qu’il s’était enivré d’ale
et dit : « Arrête, Robin, mon cher frère,
3130 quelqu’un de mieux que toi nous en dira d’abord un autre ;
arrête, et procédons par ordre.
— « Par l’âme de Dieu, (dit-il), je n’en veux rien faire,
car je prétends parler, ou bien je m’en irai. »
Notre hôte répondit : « Parle donc, que diable !
tu es un sot, et tu n’as plus la tête. »

— « Or écoutez, (dit le meunier), tous et chacun.
Mais d’abord je fais déclaration
que je suis soûl ; je m’en aperçois au son de ma voix.
Et donc, si je parle ou débite de travers,
3140mettez-le sur le compte de la bière de Southwark, je vous prie ;
car je vais vous conter la légende et la vie
d’un charpentier et de sa femme,
et comment un clerc coiffa le bonhomme. »
L’intendant[2] répliqua et dit : « Arrête ton claquet,
laisse tes grossièretés d’ivrogne et de paillard ;
c’est péché et grand’folie aussi
de nuire à quiconque ou de le diffamer,
et aussi de mettre les femmes en telle renommée.
Tu peux conter assez d’autres choses. »
3150Le meunier ivre reprit tout aussitôt
et dit : « Mon cher frère Oswald,
qui n’a point de femme, celui-là n’est point cocu.
Mais je ne dis pas pour cela que tu le sois ;
il ne manque pas de bonnes femmes,
elles sont mille bonnes contre une mauvaise ;
cela tu le sais bien, à moins d’avoir perdu le sens.
Pourquoi donc te fâcher de mon conte ?
J’ai une femme, pardi, ainsi que toi ;
pourtant je ne voudrais, pour les bœufs de ma charrue,
3160m’adjuger plus qu’il ne me revient,
en croyant que je le suis moi-même ;
je veux croire que je ne le suis pas.
Un mari ne doit point être curieux
des secrets de Dieu ni de sa femme ;
pourvu qu’il ait d’elle son content,
il ne lui est besoin de s’enquérir du reste. »

Que dirai-je de plus ? le meunier
ne voulut en démordre pour personne,
mais conta son conte de vilain à sa manière ;
3170m’est avis que je dois le répéter ici.
Je vous prie donc, vous tous, gentils lecteurs,
pour l’amour de Dieu, de n’aller point penser que je parle

à mauvaise intention, mais que je dois répéter
tous leurs contes, et les meilleurs et les pires,
ou bien altérer partie de ma matière ;
et par conséquent qui ne voudra l’entendre
n’a qu’à tourner la page, et choisir un autre conte,
car il trouvera assez, grandes et petites,
d’histoires traitant de courtoisie
3180 et aussi de moralité et de sainteté ;
ne vous en prenez pas à moi, si vous choisissez mal.
Le meunier est un vilain, vous le savez fort bien ;
et l’intendant aussi, et bien d’autres encore,
et paillardise ils contèrent tous deux.
Considérez cela et me tenez quitte de tout blâme.
Il ne faut non plus faire chose sérieuse de plaisanterie.



Le conte du Meunier.


Ici commence le conte du Meunier[3].


Au temps jadis vivait à Oxford
un riche vilain qui tenait pension,
et de son métier il était charpentier.
3100 Chez lui logeait un pauvre écolier,
qui avait étudié les arts, mais tous ses goûts
étaient tournés vers l’étude de l’astrologie,
et il savait un certain nombre de conclusions
pour répondre à toutes questions,
qu’on lui demandât à de certaines heures
quand on aurait ou sécheresse ou pluie,
ou bien que l’on s’enquît de ce qui adviendrait
en quelque autre affaire, je ne saurais les énumérer toutes.

Ce clerc avait nom Nicolas le gracieux :
3200il s’entendait à l’amour caché et au déduit,
et avec cela il était rusé et fort discret
et modeste d’aspect ainsi que l’est pucelle.
Il avait une chambre en cette hôtellerie,
à lui seul, sans nulle compagnie,
qu’il avait bien joliment parée d’herbes suaves
et lui-même il était aussi doux qu’est racine
de réglisse, ou citoal[4].
Son Almégiste et ses livres grands et petits,
son astrolabe, instrument de son art,
3210et ses jetons d’algorisme[5] étaient soigneusement placés
sur des rayons posés au chevet de son lit ;
son armoire était toute recouverte de serge rouge ;
et par-dessus le tout était un beau psaltérion
sur lequel il jouait le soir des mélodies
si douces, que toute la chambre en résonnait ;
et il chantait Angelus ad virginem,
après quoi il chantait encore l’air du roi ;
plus d’un bénissait son joyeux gosier.
Et cet aimable clerc passait ainsi son temps
3220avec la pension que lui faisaient les siens et sa propre rente.

Le charpentier avait nouvellement épousé
une femme qu’il chérissait plus que sa vie ;
elle avait dix-huit ans d’âge.
Jaloux, il la tenait étroitement en cage,
pour ce qu’elle était légère et jeune et que lui était vieux
et qu’il se trouvait mine de cocu.
Il ne connaissait point Caton (ayant l’esprit inculte)
qui vous dit d’épouser femme à votre ressemblance.
On devrait se marier selon son âge,
3230car jeunesse et vieillesse sont souvent aux prises.
Mais puisqu’il était tombé dans le piège,
il lui fallait subir sa peine, tout comme les autres.
Belle était cette jeune femme, et avec cela
elle avait le corps élégant et allongé comme belette.
Elle portait une ceinture toute rayée de soie

et un tablier aussi blanc que lait du matin
sur ses reins, et tout dentelé aux bords.
Blanche était sa chemisette, toute brodée devant
et derrière, autour de sa collerette,
3240 de soie noire comme charbon et dedans et dehors.
Les brides de sa coiffe blanche
étaient de même étoffe que sa collerette ;
son bandeau de soie était très large et très haut posé,
et sûrement elle avait l’œil égrillard.
Ses deux sourcils amincis par la pince étaient tout petits
et arqués, et noirs autant que prunelle.
Elle était beaucoup plus agréable à voir
que n’est jeune poirier de la Saint-Jean
et plus douce que laine de bélier.
3250Et à sa ceinture pendait une bourse de cuir
à gland de soie et perles de laiton.
Dans le monde entier, y courût-il d’un bout à l’autre,
il n’est homme si entendu qu’il y pût découvrir
poupée si pimpante, ou si jolie donzelle.
L’éclat de son teint était beaucoup plus brillant
que n’est dans la Tour le noble d’or frappé tout neuf[6].
Et pour son chant, il était clair et vif
comme est chant d’hirondelle perchée sur une grange.
Et puis elle savait encore sauter, s’ébattre
3260comme chevreau ou veau derrière sa mère.
Douce était son haleine ainsi que le bragot[7] ou l’hydromel,
ou un tas de pommes placé dans le foin ou la bruyère.
Elle était fringante comme une pouliche folâtre,
élancée comme un mât et droite comme un trait.
Elle portait une broche sur sa collerette basse
aussi large qu’est la boucle d’un bouclier
Ses souliers étaient haut lacés sur ses jambes ;
c’était une primerole, une amour de chatte[8],
bonne pour tout seigneur à mettre en son lit
3270ou pour tout bon yeoman à prendre pour femme.

  Or messire, et vous, messire[9], il advint
qu’un jour Nicolas le gracieux
se mit à folâtrer et à s’ébaudir avec la jeune femme,
tandis que son mari était à Oseneye[10],
(les clercs sont gens tant subtils et malins),
et, seul à seule, il la prit par son vous savez quoi
et dit : « Certes, si je n’ai mon désir,
pour mon secret amour de toi, m’amie, je vais périr. »
Et il la tint étroitement par les hanches
3280et dit : « M’amie, aime moi tout de suite
ou je mourrai, sur mon salut ! »
Elle regimba comme fait pouliche en son tref[11]
et vivement détourna la tête
et dit : « Je ne te baiserai point, par ma foi ;
voyons, laisse-moi, (dit-elle), laisse-moi, Nicolas,
ou bien je crie haro ! et hélas !
Otez vos mains par charité. »
Nicolas se mit à implorer compassion,
parla si doucement et se fit si pressant
3290qu’enfin elle lui bailla son amour,
et fit serment par saint Thomas de Kent
qu’elle se tiendrait à ses ordres
sitôt qu’elle pourrait saisir son heure.
« Mon mari est si plein de jalousie
que si vous ne veillez bien, et ne gardez le secret,
je sais bien que je suis une femme morte (dit-elle).
Il faut que vous soyez très discret dans l’affaire. »
— « Va, quant à cela, sois tranquille (lui dit Nicolas).
Le clerc aurait bien mal employé son temps
3300qui n’en saurait assez pour tromper un charpentier. »
Ainsi se mettent-ils d’accord et jurent
de guetter l’occasion, comme j’ai dit plus haut.
Quand Nicolas eut achevé sa besogne
et qu’il lui eut bien caressé la croupe,
doucement il la baisa, puis il prend son psaltérion,
et joue à force, et fait mélodie.


Lors il advint qu’à l’église de la paroisse
pour vaquer aux œuvres du Christ
notre commère alla un jour de fête ;
3310son front était brillant comme le jour,
tant elle l’avait bien lavé en laissant son ouvrage.
Or en cette église il y avait un clerc de la paroisse
lequel avait nom Absalon.
Bouclée était sa chevelure, et elle brillait comme l’or,
et s’étalait ainsi qu’un éventail grand et large ;
bien droite et nette était faite sa jolie raie.
Son teint était vermeil, ses yeux étaient gris d’oie[12] ;
avec le vitrail de Saint-Paul découpé sur ses souliers,
et ses hauts-de-chausses rouges, il allait coquettement.
3320Bien ajustée et serrée à la taille,
il portait tunique couleur de vaciet[13] clair ;
les aiguillettes en sont belles et en nombre,
et dessus il avait gai surplis
aussi blanc qu’est la fleur sur la branche.
C’était un joyeux garçon, par ma foi,
qui bien savait saigner et tondre et raser,
et dresser acte de vente de terre ou quittance.
De vingt manières il savait sauter et danser
à la mode d’Oxford d’alors,
3330en lançant les jambes de-ci de-là,
et jouer des chansons sur un petit rebec,
dont il accompagnait parfois son fausset criard ;
et il savait bien jouer de la guitare.
Dans toute la ville il n’était brasserie ni taverne
qu’il ne visitât de sa belle humeur,
pourvu il s’y trouvât gaillarde servante.
Mais, à dire le vrai, il faisait assez le dégoûté,
craignant les pets, et délicat dans ses propos.


Cet Absalon, frétillant et pimpant,
3340s’avance avec un encensoir en ce jour de fête,
encensant de près les dames de la paroisse ;
et il jetait sur elles maint regard amoureux,

et notamment sur la femme du charpentier.
La regarder lui paraissait joyeuse vie,
elle était si accorte et suave et égrillarde !
Je pense bien que si elle eût été souris,
et lui chat, il l’eût happée sur l’heure.
Ce clerc, ce galant Absalon,
ressent au cœur si grand amour
3350qu’il ne voulut prendre l’offrande d’aucune femme ;
par courtoisie, dit-il, il n’en voulait d’aucune.
La lune, quand il fut nuit, brillait en tout son plein ;
Absalon a pris sa guitare,
car par amour il pensait veiller,
et s’en va, galant et amoureux,
jusqu’à ce qu’il arrive au logis du charpentier
un peu après que les coqs eurent chanté ;
et il se posta tout près d’une fenêtre
laquelle était au mur du charpentier.
3360Il chante de sa voix douce et flûtée :
« Or, chère dame, si c’est votre volonté,
je vous en prie, ayez de moi pitié »
s’accompagnant fort bien de sa guitare.
Le charpentier s’éveilla et l’ouït chanter,
et parla à sa femme et lui dit aussitôt :
« Eh quoi ! Alison, n’entends-tu pas Absalon
qui chante sous le mur de notre chambre ? »
Et elle, là-dessus, répondit à son mari :
« Oui, par Dieu, Jean, je l’entends bel et bien. »


3370    Cela passe ; que voulez-vous de mieux que bien ?
De jour en jour ce galant Absalon
lui fait telle cour qu’il en perd la gaîté.
Toute la nuit il veille et tout le jour ;
il attife ses larges boucles et se pare ;
il lui fait sa cour par tiers et par courtiers,
et jure qu’il voudrait être son page ;
il chante à voix tremblante ainsi qu’un rossignol ;
il lui envoie vin doux, hydromel et ale épicée,
gaufres toutes chaudes sortant du four ;
3380et pour ce qu’elle était de la ville il lui offrait de l’or ;
car telles sont gagnées par les richesses,

et telles par les caresses, et telles par la courtoisie.
Quelquefois pour montrer son agilité et maîtrise
il joue Hérode sur un haut échafaud[14].
Mais de quoi lui sert tout cela dans l’affaire ?
Elle aime tant le gracieux Nicolas
qu’Absalon peut souffler dans la corne de daim[15] ;
il ne gagne que mépris pour ses peines :
c’est ainsi que d’Absalon elle fait sa dupe,
3390et tourne tout son sérieux en plaisanterie.
Bien vrai est le proverbe, sans mentir ;
on a raison de dire que : « Toujours amant rusé quand il est près
fait qu’amant lointain déplaît. »
Car Absalon pouvait bien être fou de colère,
pour ce qu’il était loin des yeux de la belle,
Nicolas, tout proche, se tenait devant son jour.

Or sache t’y prendre, gracieux Nicolas,
car pour Absalon, il peut gémir et chanter : hélas !
Et ainsi il advint qu’un samedi
3400le charpentier était allé à Oseney ;
le gracieux Nicolas et Alison
se mettent ensemble d’accord à cette fin
que Nicolas inventera une ruse
pour tromper ce sot et jaloux mari ;
et si la farce marchait bien,
son amie dormirait dans ses bras toute la nuit,
car c’était le désir et de l’un et de l’autre.
Et tout aussitôt, sans plus de paroles,
Nicolas ne voulut pas attendre plus longtemps,
3410mais sans bruit il emporta dans sa chambre
de quoi boire et manger pendant un jour ou deux,
recommandant à Alison de dire à son mari,
s’il s’enquérait de Nicolas,
qu’elle ne savait où il était,
que de tout ce jour-là elle ne l’avait de ses yeux vu,
qu’elle cuidait qu’il devait être malade,
que sa servante avait eu beau l’appeler et crier,
qu’il n’avait voulu pour rien au monde lui répondre.


Tout ceci se passait le samedi ;
3420Nicolas demeura tout coi en sa chambre,
et mangea et dormit et fit ce qu’il lui plut
jusqu’au dimanche à l’heure où le soleil se couche.
Ce sot de charpentier eut grand étonnement
au sujet de Nicolas, ou de ce qu’il pouvait bien avoir,
et dit : « J’ai peur, par saint Thomas,
que ça n’aille pas bien pour Nicolas,
Dieu garde qu’il ne soit mort subitement !
Le monde est aujourd’hui bien instable, pour sûr ;
j’ai vu aujourd’hui même porter un corps à l’église
3430qu’encore lundi dernier j’avais vu à son travail.
Monte donc », dit-il aussitôt à son valet,
« appelle à sa porte, ou frappe avec une pierre,
vois ce qu’il y a et me le dis rondement. »
Le valet monta bien résolument,
et debout devant la porte de la chambre,
il cria et frappa comme un enragé :
« Or ça, allons, que faites-vous, maître Nicolet ?
Comment pouvez-vous dormir tout le long du jour ? »
Mais c’est peine perdue, il n’entend mot ;
3440il aperçoit un trou, en bas, dans une planche,
par où soulait passer le chat,
et par ce trou il regarda jusqu’au fond
et finit par apercevoir le clerc.
Nicolas était assis, les yeux toujours fixés en l’air
comme s’il eût contemplé la lune nouvelle.
Le valet redescend et vite dit à son maître
en quel état il a trouvé notre homme.
Le charpentier se mit à se signer
et dit : « Assiste-nous, sainte Frideswyde[16]
3450Comme un homme se doute peu de ce qui va lui arriver !
Cet homme est tombé, avec son astromie,
en quelque folie ou en quelque désespoir ;
j’avais toujours pensé que cela finirait ainsi.
Les hommes ne devraient point apprendre les secrets de Dieu.
Oui, heureux l’ignorant
qui ne sait rien que son seul Credo !

Pareil sort échut à un autre clerc avec l’astromie ;
il allait dans les champs pour regarder
les étoiles, en vue d’y lire l’avenir,
3460tant et si bien qu’il chut dans une fosse à marne ;
il ne l’avait point vue ! Mais, par saint Thomas,
il me prend grand’pitié du gracieux Nicolas.
Je vais le tanser à le tirer de son extase
si je le puis, par Jésus, roi des cieux !
Prends un bâton, que je le pousse sous la porte
pendant que toi, Robin, la soulèveras.
Il sortira de son extase, je pense. »
Et vers la porte de la chambre il se dirigea.
  Son valet était un fort gaillard,
3470et par le loquet il souleva d’un coup la porte
qui aussitôt tomba sur le sol.
Nicolas, était toujours assis, tranquille comme une borne,
et toujours, bouche bée, levait la tête en l’air.
Le charpentier le crut au désespoir ;
il l’empoigna solidement par les épaules,
et le secoua ferme et cria avec colère :
« Allons, Nicolet ! quoi, allons, abaisse tes yeux !
Éveille-toi et pense à la passion du Christ ;
je te signe contre les lutins et les méchants esprits. »
3480Puis aussitôt il dit l’exorcisme du soir
aux quatre coins de la maison tour à tour
et au dehors sur le seuil de la porte.
« Jésus-Christ et saint Benoit,
éloignez de cette maison tous esprits mauvais,
pour le démon du soir, la patenôtre blanche !
Où es-tu donc partie, sœur de saint Pierre ?[17] »
Et à la fin le gracieux Nicolas
poussa un soupir amer et dit : « Hélas !
Le monde entier va-t-il donc finir bientôt ? »
3490Le charpentier répondit : « Que dis-tu ?
Çà, pense à Dieu, comme nous autres qui travaillons de nos mains. »
Nicolas reprit : « Va me chercher à boire,
après quoi je te parlerai secrètement
de certaine chose qui me touche, moi et toi ;

je ne la dirai à nul autre sûrement. »

  Le charpentier descend et puis revient
apportant un grand pot de bière forte ;
et lorsque chacun d’eux eût bu sa part,
Nicolas, sa porte bien fermée,
3500fit asseoir près de lui le charpentier.
Il dit : « Jean, mon bon et cher hôte,
il faut que tu me jures ici sur ta foi
que tu ne trahiras ce secret à personne,
c’est le secret du Christ que je te dis
et si tu le dis à quiconque, tu es perdu ;
cette vengeance s’ensuivra
que, si tu me trahis, tu deviendras fou. »
— « Non, Christ m’en garde, par son sacré sang,
(dit notre sot bonhomme), je ne suis mie bavard,
3510et quoique ce soit moi qui le dise, je n’aime pas à jaser.
Dis ce que tu voudras, jamais je ne le raconterai
à enfant ni femme, par Celui qui vainquit l’enfer ! »
— « Or çà, Jean, (dit Nicolas), je ne veux mentir ;
j’ai découvert dans mon astrologie,
en regardant la lune brillante,
que lundi prochain, au quart de la nuit,
il tombera pluie si violente et si furieuse
que le déluge de Noé ne fut de moitié si fort.
Tout ce monde, (dit-il), en moins d’une heure,
3520sera submergé, tant l’averse sera affreuse ;
ainsi le genre humain sera noyé et perdra la vie. »
Le charpentier répondit : « Las ! ma femme !
Sera-t-elle donc noyée aussi ? hélas ! mon Alison ! »
Du chagrin de ceci il tomba presque par terre
et dit : « N’y a-t-il point remède en cette affaire ? »
— « Mais oui, par Dieu (dit le gracieux Nicolas),
si tu veux écouter science et bon conseil ;
car tu ne dois point écouter ta propre tête.
Car Salomon, dit ceci, lui qui était toute vérité :
3530Prends conseil en tout, tu ne t’en repentiras.
Et si tu veux suivre bon conseil,
je t’en réponds, sans mât ni voile,
malgré tout je sauverai et elle, et toi, et moi.
N’as-tu point appris comment fut sauvé Noé,

lorsque Notre-Seigneur l’eût averti d’avance
que tout le monde allait périr dans l’eau ? »
— « Oui (dit le charpentier), il y a bien longtemps. »
— « N’as-tu appris, (dit Nicolas),
la peine qu’eut Noé, ainsi que sa maisonnée,
3540avant de pouvoir embarquer sa femme[18] ?
Il aurait préféré, j’oserais en répondre,
en ce moment à tous ses béliers noirs,
qu’elle eût vaisseau pour elle seule.
Or donc sais-tu le mieux à faire ?
Ceci demande hâte, et en chose pressante
on ne doit prêcher ni faire délai.
Va-t’en tout aussitôt et apporte-nous ici
une huche à pétrir, ou un cuvier
pour chacun de nous trois, mais prends soin qu’ils soient grands,
3550que nous puissions y flotter ainsi qu’en une barque.
et y avoir provisions suffisantes
mais pour un jour seulement ; fi des autres !
L’eau baissera puis s’en ira,
environ prime[19] le jour d’après.
Mais Robin ton valet ne doit savoir ceci,
ni Gille ta servante, que je ne puis sauver ;
ne demande pourquoi, car, quand même tu le demanderais,
je ne veux dire les secrets de Dieu.
Qu’il te suffise, si tu n’as pas perdu l’esprit,
3560d’obtenir une grâce aussi grande qu’eut Noé.
Ta femme, je la sauverai bien, sans nul doute ;
va donc maintenant vite et fais tout ceci.
Mais quand tu auras pour elle et toi et moi
trouvé trois huches à pétrir,
tu les pendras au toit bien haut,
afin que nul ne voie nos préparatifs.
Et quand tu auras fait comme je t’ai dit
et bien mis nos vivres dedans,
ainsi qu’une hache, pour couper la corde en deux
3570quand l’eau montera, pour que nous puissions échapper,
et percé un trou là-haut, sur le pignon,

vers le jardin au-dessus de l’étable,
afin que librement nous passions notre chemin
lorsque la grande averse sera finie,
alors tu flotteras aussi gaîment, j’en réponds,
que la cane blanche après son canard.
Alors j’appellerai : « Eh ! Alison ! Eh ! Jean !
Soyez en joie, car bientôt le déluge passera. »
Et tu diras : « Salut, maître Nicolet,
3580bonjour, je te vois bien, car il fait jour. »
Et alors nous serons seigneurs pour la vie
de tout le monde, ainsi que Noé et sa femme.
Mais d’une chose je te préviens bien :
prends bien soin ce soir-là,
quand nous serons entrés dedans nos barques,
qu’aucun de nous ne dise mot,
n’appelle, ni ne crie, mais soit à ses prières,
car c’est la chère volonté de Dieu lui-même.
Ta femme et toi vous vous suspendrez loin l’un de l’autre,
3590car entre vous ne doit être péché
non plus de regard que de fait.
C’est là l’ordre donné, va-t’en, et Dieu te garde !
Demain soir, lorsque chacun dormira,
nous nous glisserons dans nos huches à pétrir,
et nous y resterons, attendant la grâce de Dieu.
Or va-t’en, je n’ai plus le temps
de te sermonner davantage.
On dit : Procure le moyen et ne dis rien ;
tu es si avisé qu’il n’est pas besoin de te donner d’instructions ;
3600va, sauve notre vie, voilà de quoi je te prie. »


    Notre sot charpentier s’en va donc son chemin,
très souvent il dit : « hélas ! » et « ô malheur ! »
et à sa femme il confie son secret.
Elle était au fait, et savait mieux que lui
ce que toute cette curieuse manigance voulait dire.
Mais pourtant elle fit comme si elle allait mourir
et dit : « Hélas ! mets-toi donc vite en route,
aide-nous à nous sauver ou nous sommes tous perdus ;
je suis ta fidèle femme par légitime mariage ;
3610va, cher époux, et aide-nous à sauver notre vie. »

    Voyez la puissante chose qu’est l’amour !
On peut mourir d’imagination,
si profonde peut être l’impression qu’on ressent.
Notre sot charpentier se met à trembler ;
il lui semble vraiment voir venir
le déluge de Noé, roulant ses eaux comme la mer,
pour noyer son trésor chéri, son Alison.
Il pleure, il gémit, il fait triste mine,
il soupire, poussant maint triste grognement.
3620Il s’en va chercher une huche à pétrir,
et puis une cuve et un cuvier,
et en secret il les envoya en son logis
et les pendit a son toit bien secrètement.
De sa propre main il fit trois échelles,
pour grimper & l’aide des échelons et des montants
jusqu’aux cuves pendues aux poutres ;
et puis il approvisionna et huche et cuve
de pain et de fromage, et de bonne ale dans une jarre
en ample suffisance pour une journée.
3620Mais avant qu’il eût fait tous ces préparatifs,
il envoya son valet et sa servante aussi
à Londres, pour voir à ses affaires.
Et le lundi, comme le soir venait,
il ferma sa porte, sans chandelle,
et prépara chaque chose ainsi qu’il convenait ;
et bref, ils grimpèrent tous trois.
Ils restent silencieux le temps au moins de faire cent toises.
« Maintenant, Pater noster, chut ! » dit Nicolet,
et « Chut » dit Jean, et « Chut » dit Alison.
3640Le charpentier entre en dévotion,
il se tient coi et récite ses prières,
l’oreille au guet pour entendre la pluie.
Un sommeil de plomb, pour son labeur lassant,
s’empara du charpentier, juste, je pense,
environ l’heure du couvre-feu ou un peu plus tard ;
l’esprit en peine, il pousse de profonds soupirs,
et entre temps il ronfle, car sa tête est mal posée.
Lors en bas de l’échelle descend Nicolet
et Alison tout doucement dévale ;
3650sans plus de paroles ils s’en vont se coucher

au lit où le charpentier soulait dormir.
C’est là qu’il y eut fête et chansons !
Et ainsi Alison et Nicolas passent la nuit
à leurs joyeuses et plaisantes besognes
jusqu’à ce que la cloche de laudes se mit à sonner
et que les moines au chœur se missent à chanter.


    Le clerc de la paroisse, l’amoureux Absalon,
qui toujours souffre si grande peine d’amour
fut le lundi à Oseneye,
3660en compagnie, pour s’ébattre et jouer,
et s’enquit, l’occasion s’offrant, auprès d’un cloîtrier,
secrètement de Jean le charpentier.
L’autre l’entraîna à part hors de l’église,
disant : « Je n’en sais rien, je ne l’ai vu ici travailler
depuis samedi, je crois qu’il est parti
chercher du bois où notre abbé l’a envoyé ;
car il a coutume d’aller chercher du bois
et de rester à la ferme un jour ou deux ;
ou bien il est chez lui, c’est certain :
3670mais en quel des deux lieux il est, je ne le saurais dire, »
Notre Absalon fut plein de joie et d’allégresse
et il pensa : « Voici le moment d’être sur pied toute la nuit
car sûrement je ne l’ai point vu bouger
devant sa porte depuis le point du jour.
Et, sur mon salut, j’irai, au chant du coq,
frapper tout discrètement à la fenêtre
qui est tout au bas du mur de sa chambre.
Lors dirai-je à Alison toutes
mes peines d’amour, car je ne puis manquer
3680à tout le moins de lui prendre un baiser.
J’aurai, par ma foi, quelque soulagement ;
la bouche m’a démangé tout le jour,
c’est signe de baiser pour le moins.
Toute la nuit aussi j’ai rêvé que j’étais à un festin[20] ;
je vais donc aller dormir une heure ou deux,
et puis toute la nuit je veillerai et m’ébattrai. »

    Dès que le premier coq eut chanté, aussitôt
se lève ce pimpant amoureux Absalon,
il se fait beau et se met en galant équipage
3690mais il mâche d’abord cardamome[21] et réglisse,
pour fleurer bon, avant de peigner ses cheveux.
Sous sa langue il avait mis une herbe à Paris[22],
car il pensait par là se rendre aimable.
Il s’en va au logis du charpentier,
et s’arrête sous la fenêtre ;
— elle lui venait à la poitrine, tant elle était basse, —
et doucement il tousse, à demi-voix :
« Que faites-vous, rayon de miel, douce Alison ?
Ô mon bel oiseau, ma suave cannelle,
3700éveillez-vous, m’amie, et parlez moi !
Vous pensez bien peu à ma peine,
quand pour l’amour de vous je tressue où que j’aille ;
ce n’est merveille si je languis et sue ;
je suis dolent comme l’agneau qui demande la mamelle.
Certes, m’amie, j’ai tel désir d’amour
que ma douleur est comme celle de la tourterelle fidèle ;
je ne puis manger plus que ne fait une pucelle. »
— « Va-t’en de la fenêtre, Jeannot le sot (dit-elle) ;
par Dieu, il n’y aura pas de : viens et me donne un bécot[23]
3710J’en aime un autre, (sinon, je serais à blâmer)
qui vaut bien mieux que toi par Jésus, Absalon !
va ton chemin, ou bien je te jette une pierre,
et laisse-moi dormir, que diable ! »
— « Hélas ! (dit Absalon), malheur !
faut-il qu’amour fidèle soit si mal reçu ?
Baise-moi donc, puisqu’il ne se peut mieux,
pour l’amour de Jésus et pour l’amour de moi. »
— « T’en iras-tu alors ? (dit-elle).
— « Oui certes, m’amie (dit Absalon).
3720— « Alors prépare-toi (dit-elle), et je viens aussitôt. »
Et à Nicolas elle dit tout bas :
« Tiens-toi coi, et tu riras tout ton soûl. »

Absalon se mit à genoux
et dit : « Me voici plus heureux qu’un seigneur,
car après ceci j’espère qu’il en viendra plus !
Ta grâce, m’amie, mon doux oiseau, ta faveur ! »
Lors elle ouvre la fenêtre, et en hâte :
« Finissons-en (dit-elle), allons, fais vite,
que nos voisins ne t’aperçoivent. »
3730Absalon de bien s’essuyer la bouche d’abord.
Noire était la nuit ainsi que poix ou charbon,
et à la fenêtre elle mit son derrière,
et Absalon, il ne lui advint ni pire ni mieux
qu’avec sa bouche de baiser sa fesse nue
très amoureusement, avant d’en rien savoir.
Il recula d’un bond, se disant qu’il y avait erreur,
car il savait bien que femme n’a point de barbe ;
il avait senti un objet rugueux et à longs poils,
et dit : « Fi, hélas ! qu’ai-je donc fait ? »
3740— « Hi, hi ! », fit-elle, et elle claqua la fenêtre.
Et Absalon s’en va d’un pas soucieux.
« Une barbe ! une barbe ! (dit le gracieux Nicolas),
par le corps Dieu, ceci va bel et bien ! »
Le pauvre Absalon entendit ces mots sans rien perdre,
et de dépit il se mordit la lèvre
et se dit à part lui : « Tu me le paieras ! »


Qui se frotte maintenant, qui se torche les lèvres,
avec poussière, et sable, et paille, et drap et copeaux ?
C’est Absalon qui souvent dit : « Hélas !
3750je livre mon âme à Satan
si je ne donnerais cette ville tout entière
pour être vengé de cette injure !
Hélas (dit-il), hélas, que ne me suis-je détourné ! »
Son amour brûlant était refroidi et tout éteint ;
depuis qu’il avait baisé le derrière de la donzelle
il ne se souciait de maîtresses pas plus que d’un brin de cresson,
car il était guéri de sa maladie ;
bien souvent il mettait maîtresses au défi
et pleurait comme l’enfant qu’on bat.
3760Doucement il traversa la rue,
vint chez un forgeron qu’on appelait maître Gervais ;

en sa forge il fabriquait pièces de charrue,
il affilait activement soc et coutre.
Absalon frappe tout doucement
et dit : « Ouvre Gervais, et vivement. »
— « Quoi, qui es-tu donc ? » — « C’est moi, Absalon. »
— « Quoi, Absalon ! par la sainte croix du Christ,
pourquoi vous levez-vous si tôt, eh, ben’cite[24] !
Qu’est-ce qui vous tourmente ? quelque folle fille, Dieu sait,
3770vous a mis en branle ainsi ;
par saint Néot, vous savez bien ce que je veux dire. »
Absalon se souciait comme d’une fève
de tout son badinage, il ne répondit mot ;
il avait plus d’étoupe à sa quenouille[25]
que ne savait Gervais. Il dit : « Très cher ami,
ce coutre rougi qui est là dans la cheminée,
prête-le-moi, j’en ai affaire,
et je te le rapporterai tout à l’heure. »
Gervais reprit : « Certes, si c’était de l’or,
3780ou des nobles, tous non comptés, en un sac,
tu les aurais, foi de forgeron.
Eh ! par le pied du Christ ; qu’en voulez-vous donc faire ? »
— « Advienne que pourra (dit Absalon),
je te le dirai bien demain. »
Et il saisit le manche froid du coutre.


Tout doucement il se glissa dehors
et puis s’en fut au mur du charpentier.
D’abord il tousse, et puis il frappe
à la fenêtre, ainsi qu’il avait fait devant.
3790Alison répondit : « Qui est là ?
qui frappe ainsi ? c’est un voleur, je gage. »
— « Mais non (dit-il), par Dieu, ma douce amie,
C’est moi, ton Absalon, ô ma chérie !
et je t’ai apporté un anneau d’or (dit-il) ;
c’est ma mère qui me l’a donné, sur mon salut ;
il est très beau, et bien gravé aussi ;
je te le baillerai si tu me donnes un baiser. »

    Or Nicolas s’était levé pour pisser ;
il pensa que la farce en serait meilleure,
3800si l’autre lui baisait le derrière ayant de s’échapper,
et vite il leva la fenêtre
et met hors son derrière sans mot dire,
sortant la croupe jusqu’à la hanche.
Et là-dessus parla le clerc, Absalon :
« Parle, mon doux oiseau, je ne sais où tu es. »
Nicolas aussitôt lui lâcha un pet
aussi fort que si c’eût été un coup de tonnerre,
si bien que du coup l’autre fut presque aveuglé.
Il se tenait prêt avec son fer chaud,
3810et il en frappa Nicolas au beau milieu des fesses.
Il s’en va de la peau la largeur de la main,
tant le coutre rougi lui a brûlé le derrière ;
et il pensa mourir de la cuisson.
Comme un fou il se mit à crier de douleur :
« Au secours ! de l’eau l de l’eau ! au secours ! pour l’amour de Dieu ! »
    Le charpentier s’éveilla en sursaut,
ouït quelqu’un qui criait : « De l’eau ! » comme un fou,
et pensa : « Hélas ! voilà le déluge de Noël[26] ! »
Il se dresse sans dire mot,
3820de sa hache il tranche la corde,
et voilà tout par terre ; il ne trouva à vendre
pain ni ale[27], avant qu’il n’eût touché le bois
du plancher, et là il resta évanoui.
Voilà notre Alison debout, et Nicolet
qui crient : « las ! » et : « haro ! » dans la rue.
Lors les voisins, petits et grands,
accourent, pour contempler cet homme
toujours évanoui, tout pâle et blême,
car en tombant il s’était cassé le bras ;
3830mais il lui fallut prendre en patience son mal,
car s’il parlait, aussitôt le faisaient taire
Nicolas le gracieux et Alison.
Ils dirent à chacun qu’il était fou,
que le « déluge de Noël » lui faisait si grand’peur

par imagination, que dans sa sottise,
il s’était acheté trois huches à pétrir,
et les avait pendues en l’air, au toit,
et les avait requis, pour l’amour de Dieu,
de coucher là, sous le toit, par compagnie[28].
3840Les gens se mirent à rire de sa lubie ;
ils lèvent les yeux et regardent le toit,
et font risée de toute sa mésaventure.
Car, quoi que ce charpentier répondit,
c’était en vain, et nul n’écoutait ses raisons ;
les grands serments couvrirent si bien ses protestations
qu’on le tint pour fou dans toute la ville,
car chaque clerc aussitôt se rangeait avec les autres.
Il disaient : « Le bonhomme est fou, mon cher frère »,
et chacun de rire de la querelle.

3850    C’est ainsi que la femme du charpentier fut caressée
malgré toute sa vigilance et sa jalousie,
et qu’Absalon lui a baisé l’œil d’en bas,
et que Nicolas s’est fait échauder le derrière.

Le conte est fini, Dieu sauve toute la compagnie !


Ici finit le conte du Meunier.

  1. C’est-à-dire du ton de stentor que prenaient les acteurs quand ils jouaient
    le rôle de Pilate dans les Mystères.
  2. L’intendant était aussi charpentier (voir plus haut, v. 614).
  3. On n’a pas encore découvert l’original du Conte du Meunier, mais il ne semble pas que ce conte soit plus que les autres de l’invention de Chaucer. De fortes analogies se rencontrent dans des nouvelles allemandes ou italiennes postérieures. La farce du déluge se retrouve dans Nachtbüchlein de Valentin Schumann, 1559 (1er conte de la 1e partie, histoire d’un marchand qui avait peur de la venue du dernier jour). La farce du baiser, entre Absalon et Nicolas, figure dans la nouvelle 49 du recueil de Massuccio di Salerno (vers 1410). De cette même farce il existe aussi diverses versions allemandes plus modernes. Il n’est pas invraisemblable de supposer qu’il y ait à l’origine du Conte un ou deux fabliaux français aujourd’hui perdus.
  4. Nom ancien de la zédoaire
  5. Jetons marqués de chiffres arabe qui lui servaient pour calculer
  6. Le noble était une pièce d’or de très belle frappe. La Monnaie était alors à la Tour de Londres.
  7. Breuvage fabriqué au moyen de miel et de bière qu’on faisait fermenter ensemble (N. E. D.).
  8. Littéralement : un œil de cochon, expression qui n’est que caressante en anglais.
  9. Le texte est obscur. Il semble que le meunier s’adresse tour à tour à deux des pèlerins.
  10. Oseneye, faubourg d’Oxford où il y avait une abbaye de chanoines augustins.
  11. Tref ou travail, machine où on met les chevaux pour les ferrer.
  12. Les plumes grises de l’oie sauvage étaient alors fort employées pour les flèches et les plumes à écrire.
  13. Vaciet, vieux nom de l’airelle ; couleur violette.
  14. C’est-à-dire le rôle d’Hérode dans la représentation des Mystères.
  15. C’est-à-dire se consoler comme il pourra.
  16. Il est naturel que le charpentier invoque cette sainte, attendu qu’il y avait à Oxford un prieuré de Sainte-Frideswide.
  17. Le charpentier répète et embrouille une formule populaire d’exorcisme.
  18. Allusion à une scène comique des mystères, où la femme de Noé, incrédule et revêche, refuse longtemps de monter dans l’arche.
  19. C’est-à-dire vers six heures du matin.
  20. Ce qui était signe de joie.
  21. Plante de l’Inde, aussi appelée grain de paradis.
  22. Herbe à Paris ou parisette (Paris quadrifolia). Le mot anglais a trewe love signifie aussi un lacs d’amour.
  23. Alison semble faire ici usage des mots d’une chanson familière.
  24. Contraction de Benedicite.
  25. C’est-à-dire plus de fil à retordre.
  26. Noël pour Noé ; c’est le charpentier qui parle.
  27. C’est-à-dire qu’il n’eut le temps de rien faire, que sa chute fut l’affaire d’un instant. Cette curieuse expression est littéralement prise au français.
  28. En français dans le texte.