Considérations sur … la Révolution Française/Seconde partie/III

CHAPITRE III.

Le général La Fayette

M. de la Fayette, ayant combattu dès sa première jeunesse pour la cause de l’Amérique, s’étoit pénétré de bonne heure des principes de liberté qui font la base du gouvernement des États-Unis ; s’il a commis des erreurs relativement à la révolution de France, elles tiennent toutes à son admiration pour les institutions américaines, et pour le héros citoyen Washington, qui a guidé les premiers pas de sa nation dans la carrière de l’indépendance. M. de la Fayette jeune, riche, noble, aimé dans sa patrie, quitta tous ces avantages à l’âge de dix-neuf ans, pour aller servir au-delà des mers cette liberté dont l’amour a décidé de toute sa vie. S’il avoit eu le bonheur de naître aux États-Unis, sa conduite eût été celle de Washington : le même désintéressement, le même enthousiasme, la même persévérance dans les opinions, distinguent l’un et l’autre de ces généreux amis de l’humanité. Si le général Washington avoit été, comme le marquis de la Fayette, chef de la garde nationale de Paris, peut-être aussi n’auroit-il pu triompher des circonstances ; peut-être auroit-il aussi échoué contre la difficulté d’être fidèle à ses sermens envers le roi, et d’établir cependant la liberté de la nation.

M. de la Fayette, il faut le dire, doit être considéré comme un véritable républicain ; aucune des vanités de sa classe n’est jamais entrée dans sa tête ; la puissance, dont l’effet est si grand en France, n’a point d’ascendant sur lui ; le désir de plaire dans les salons ne modifie pas la moindre de ses paroles ; il a sacrifié toute sa fortune à ses opinions avec la plus généreuse indifférence. Dans les prisons d’Olmutz, comme au pinacle du crédit, il a été également inébranlable dans son attachement aux mêmes principes. C’est un homme dont la façon de voir et de se conduire est parfaitement directe. Qui l’a observé peut savoir d’avance avec certitude ce qu’il fera dans toute occasion. Son esprit politique est pareil à celui des Américains des États-Unis, et sa figure même est plus anglaise que françoise. Les haines dont M. de la Fayette est l’objet n’ont jamais aigri son caractère, et sa douceur d’âme est parfaite ; mais aussi rien n’a jamais modifié ses opinions, et sa confiance dans le triomphe de la liberté est la même que celle d’un homme pieux dans la vie à venir. Ces sentimens, si contraires aux calculs égoïstes de la plupart des hommes qui ont joué un rôle en France, pourroient bien paroître à quelques-uns assez dignes de pitié : il est si niais, pensent-ils, de préférer son pays à soi ; de ne pas changer de parti, quand le parti qu’on servoit est battu ; enfin, de considérer la race humaine, non comme des cartes à jouer qu’il faut faire servir à son profit, mais comme l’objet sacré d’un dévouement absolu ! Néanmoins, si c’est ainsi qu’on peut encourir le reproche de niaiserie, puissent nos hommes d’esprit le mériter une fois ! C’est un phénomène singulier qu’un caractère pareil à celui de M. de la Fayette se soit développé dans le premier rang des gentilshommes François ; mais on ne peut l’accuser ni le juger impartialement, sans le reconnaître pour tel que je viens de le peindre. Il est alors facile de comprendre les divers contrastes qui devoient naître entre sa situation et sa manière d’être. Soutenant la monarchie par devoir plus que par goût, il se rapprochoit involontairement des principes des démocrates qu’il étoit obligé de combattre ; et l’on pouvoit apercevoir en lui quelque faible pour les amis de la république, quoique sa raison lui défendît d’admettre leur système en France. Depuis le départ de M. de la Fayette pour l’Amérique, il y a quarante ans, on ne peut citer ni une action, ni une parole de lui qui n’ait été dans la même ligne, sans qu’aucun intérêt personnel se soit jamais mêlé à sa conduite. Le succès auroit mis cette manière d’être en relief ; mais elle mérite toute l’attention de l’historien, malgré les circonstances et même les fautes qui peuvent servir d’armes aux ennemis.

Le 11 juillet, avant que le tiers état eut triomphé, M. de la Fayette parut à la tribune de l’assemblée constituante, pour proposer une déclaration des droits à peu près semblable à celle que les Américains mirent à la tête de leur constitution, lorsqu’ils eurent conquis leur indépendance. Les Anglais aussi, quand ils appelèrent Guillaume III à la couronne, après l’exclusion des Stuarts, lui firent signer un bill des droits sur lesquels la constitution actuelle de l’Angleterre est fondée. Mais la déclaration des droits d’Amérique étant destinée à un peuple où nul privilége antérieur n’opposoit d’obstacle au dessein pur de la raison, on mit à la tête de cette déclaration des principes universels sur la liberté et l’égalité politiques, tout à fait d’accord avec les lumières déjà répandues parmi la nation américaine. En Angleterre, le bill des droits ne portoit point sur des idées générales, il consacroit des lois et des institutions positives.

La déclaration des droits de 1789 renfermoit ce qu’il y avoit de meilleur dans celles d’Angleterre et d’Amérique ; mais peut-être auroit-il mieux valu s’en tenir à ce qui, d’une part, n’est pas contestable, et, de l’autre, ne sauroit être susceptible d’aucune interprétation dangereuse. Il n’y a pas de doute que les distinctions sociales ne peuvent avoir d’autre but que l’utilité de tous, que tous les pouvoirs politiques émanent de l’intérêt du peuple, que les hommes naissent et demeurent libres et égaux devant la loi ; mais il y a bien de l’espace pour des sophismes dans un champ aussi vaste, tandis que rien n’est plus clair et plus positif que l’application de ces vérités à la liberté individuelle, à l’établissement du jury, à la liberté de la presse, à l’élection populaire, à la division du pouvoir législatif, au consentement des subsides, etc. Philippe-le-Long a dit que tout homme, et en particulier tout François, naissoit et demeuroit libre ; l’on sait, au reste, qu’il ne s’est pas laissé gêner par les conséquences de cette maxime ; mais les nations pourroient y attacher un sens plus étendu que les rois. Quand la déclaration des droits de rhomme parut dans l’assemblée constituante, au milieu de tous ces jeunes gentilshommes naguère courtisans, ils apportèrent l’un après l’autre, à la tribune, leurs phrases philosophiques, se complaisant dans les débats minutieux sur la rédaction de telle ou telle maxime, dont la vérité est pourtant si évidente, que les mots les plus simples de toutes les langues peuvent l’exprimer également. L’on prévit alors que rien de stable ne pourroit sortir d’un travail dont la vanité, frivole et factieuse tout ensemble, s’étoit si vite emparée.