Considérations sur … la Révolution Française/Seconde partie/II

CHAPITRE II.

De l’assemblée constituante après le 14 juillet.

LE tiers état et la minorité de la noblesse et du clergé composoient la majorité de l’assemblée constituante, et cette assemblée disposoit de la France. Depuis le 14 juillet rien n’étoit plus imposant que le spectacle de douze cents députés, écoutés par de nombreux spectateurs, et s’enflammant au seul nom des grandes vérités qui ont occupé l’esprit humain depuis l’origine de la société sur la terre. Cette assemblée étoit peuple par ses passions, mais aucune réunion ne pouvoit présenter une aussi grande masse de lumières. L’électricité des pensées s’y communiquoit en un instant, parce que l’action des hommes sur les hommes est irrésistible, et que rien ne parloit davantage à l’imagination que cette volonté sans armes, brisant d’antiques chaînes que la conquête avoit jadis forgées, et que la simple raison faisoit tout à coup disparoître. Il faut se transporter en 1789, lorsque les préjugés seuls avoient fait du mal au monde, et que la liberté non souillée étoit le culte de tous les esprits supérieurs. L’on concevra facilement l’enthousiasme dont on étoit saisi à l’aspect de tant d’individus appartenant à diverses classes, et venant, les uns offrir leurs sacrifices, les autres prendre possession de leurs droits. Néanmoins on pressentoit l’arrogance du pouvoir, dans ces souverains d’un nouveau genre, qui se disoient les dépositaires d’une autorité sans limites, celle du peuple. Les Anglais s’étoient créé lentement une organisation politique nouvelle ; les François, la voyant solidement établie ailleurs depuis plus de cent ans, devoient s’en tenir à l’imiter.

Mounier, Lally, Malouet, Clermont-Tonnerre, se montrèrent les appuis de la prérogative royale, dès que la révolution eut désarmé les partisans de l’ancien régime. Non-seulement la réflexion, mais un mouvement involontaire, attache aux puissans tombés dans le malheur, surtout quand d’augustes souvenirs les environnent. Cette disposition généreuse auroit été celle des François, si le besoin d’être applaudi ne l’emportoit pas chez eux sur toute autre impulsion ; et l’esprit du temps inspiroit des maximes démagogiques à ces mêmes gens qui devoient faire ensuite l’apologie du despotisme. Un homme d’esprit disoit jadis : « Quel que soit le ministre des finances qui doive être nommé, je suis d’avance son ami, et même un peu son parent. » Il faudrait, au contraire, en France, être toujours l’ami du parti battu, quel qu’il soit ; car la puissance déprave les François plus que les autres hommes. L’habitude de vivre à la cour, ou de désirer d’y arriver, a formé les esprits à la vanité ; et dans un gouvernement arbitraire, on n’a pas l’idée d’une autre doctrine que celle du succès. Ce sont les défauts acquis et développés par la servilité qui ont été la cause des excès de la licence.

Chaque ville, chaque village envoyoit des félicitations à l’assemblée constituante, et celui qui avoit rédigé l’une de ces quarante mille adresses se croyoit un émule de Montesquieu.

La foule des spectateurs qu’on admettoit dans les galeries animoit les orateurs tellement, que chacun vouloit obtenir pour son compte ce bruit des applaudissemens, dont la jouissance nouvelle séduisoit les amours-propres. En Angleterre, il est interdit de lire un discours ; il faut l’improviser ; ainsi le nombre des personnes capables de parler est nécessairement très-réduit : mais lorsqu’on permet de lire ce qu’on a écrit soi-même, ou ce que les autres ont écrit pour nous, les hommes supérieurs ne sont plus les chefs permanens des assemblées, et l’on perd ainsi l’un des plus grands avantages des gouvernemens libres, celui de mettre le talent à sa place, et par conséquent d’encourager tous les hommes à perfectionner leurs facultés. Quand on peut être courtisan du peuple avec aussi peu de talens qu’il en faut pour être courtisan des princes, l’espèce humaine n’y gagne rien.

Les déclamations démocratiques avec lesquelles on réussissoit à la tribune, se transformoient en mauvaises actions dans les provinces ; on brûloit les châteaux, en exécution des épigrammes prononcées par les orateurs de l’assemblée, et c’étoit à coups de phrases que l’on désorganisoit le royaume.

L’assemblée étoit saisie par un enthousiasme philosophique dont l’exemple de l’Amérique étoit une des causes. On voyoit un pays qui, n’ayant point encore d’histoire, n’avoit rien eu d’ancien à ménager, si ce n’est les excellentes règles de la jurisprudence anglaise qui, depuis long-temps adoptées en Amérique, y avoient fondé l’esprit de justice et de raison. On se flattoit en France de pouvoir prendre pour base les principes de gouvernement qu’un peuple nouveau avoit eu raison d’adopter ; mais au milieu de l’Europe, et avec une caste de privilégiés dont il falloit apaiser les prétentions, un tel projet étoit impraticable ; et, d’ailleurs, comment concilier les institutions d’une république avec l’existence d’une monarchie ? La constitution anglaise offroit le seul exemple de ce problème résolu. Mais une manie de vanité presque littéraire inspiroit aux François le besoin d’innover à cet égard. Ils craignaient, comme un auteur, d’emprunter les caractères ou les situations d’un ouvrage déjà existant. Or, en fait de fictions, on a raison d’être original ; mais quand il s’agit d’institutions réelles, l’on est trop heureux que l’expérience les ait garanties. Certes, j’aurais honte, dans ce temps-ci plus que dans tout autre, de me mêler aux déclamations contre la première assemblée représentative de France : elle renfermoit des hommes du plus rare mérite, et c’est à la réforme opérée par elle que la nation est redevable encore des richesses de raison et de liberté qu’elle veut et doit conserver à tout prix. Mais si cette assemblée avoit joint à ses rares lumières une moralité plus scrupuleuse, elle auroit trouvé le point juste entre les deux partis qui se disputaient, pour ainsi dire, la théorie publique.