Conseils aux dirigés/Tolstoïsme

Tolstoïsme
Traduction par Ely Halpérine-Kaminsky.
Conseils aux dirigésCharpentier (p. 315-317).

TOLSTOÏSME


À un membre de la « Société tolstoïste »
de Manchester[1].


Mon cher ami,


Vous avez raison de croire que je dois m’intéresser à la Société Tolstoïste. Mais je regrette le reste de vanité que je conserve encore pour m’y intéresser.

J’ai gardé toujours la conviction, — et elle ne saurait changer, — qu’être membre de la vieille société fondée par Dieu dès le début de la vie consciente de l’humanité est plus profitable à soi et aux autres, que de faire partie de sociétés restreintes, organisées par nous, dans un but que nous pouvons concevoir. Je crois que notre préférence pour les sociétés fondées par nous, provient de ce que nous estimons le rôle que nous y jouons comme bien plus important que celui accompli par nous dans la grande société, œuvre de Dieu.

C’est une illusion : les trois formes d’activité, dont vous parlez dans votre lettre, sont plus facilement réalisées par celui qui se considère comme membre de la grande société divine, que par celui de la Société Tolstoïste. Le premier, s’il est sincère, — comme vous l’êtes, je le sais, — cherchera d’abord à partager les idées qui lui ont procuré une satisfaction morale, et la force de vivre, sans se soucier de savoir si elles sont de Tolstoï ou d’un autre. Ensuite, il s’efforcera d’imiter les hommes à exprimer leurs opinions sur les questions les plus vitales. Enfin, il tâchera de procurer autant de joie et de bonheur qu’il pourra à tous ceux avec lesquels il sera en relation ; et il viendra en aide à ceux qui sont embarrassés par suite de leur ferme volonté d’observer la doctrine du Christ.

L’homme qui appartient à la grande société divine accomplira bien d’autres actes qui ne sont ni prévus, ni définis par la Société Tolstoïste, ou par tout autre groupement.

Certes, j’admets certains avantages qui résultent de la réunion d’hommes, ayant des idées communes, en sociétés ; mais je crois que les inconvénients sont bien plus grands. Aussi, j’ai conscience que ce serait pour moi un réel désavantage que d’échanger une qualité de membre de la grande société divine, contre celle d’adhérent à n’importe quelle société humaine, si utile qu’elle paraisse.

Il m’est pénible, mon cher ami, de ne pas partager votre opinion, mais je ne puis penser autrement.


15 août 1901.



  1. Lettre écrite en anglais, en réponse à un membre de la Société tolstoïste qui avait prié Tolstoï d’exprimer son avis sur l’œuvre de cette Société. (Note du traducteur).