Conseils aux dirigés/Appendice/Projet de la Société japonaise

Projet de Henry George
Traduction par Ely Halpérine-Kaminsky.
Conseils aux dirigésCharpentier (p. 321-327).


APPENDICE


I


projet de la société japonaise


Le projet de la Société japonaise de restitution des terres aux ouvriers, tel qu’il est exposé dans la brochure de cette société : Appel à toute l’humanité pour le rétablissement de la liberté de la terre, consiste en ceci :

Nous savons, — est-il dit dans cet appel, — que la loi naturelle veut que le laborieux s’enrichisse et que l’oisif reste pauvre.

Or l’état actuel des sociétés est tel que la majorité des pauvres travaille beaucoup et reste pauvre, alors que les riches, en vivant dans l’oisiveté et le luxe, augmentent leurs richesses. La faute en est à l’inobservance de la loi primordiale, fondamentale de la justice, en vertu de laquelle les objets fabriqués doivent appartenir à ceux qui les ont façonnés, et les matières fournies par les forces naturelles, — la terre et tout ce qu’elle produit à l’extérieur et contient à l’intérieur, — doivent appartenir à tous les hommes. Telle est la loi fondamentale de la justice. Or, dans nos sociétés, les lois foncières donnent aux uns le droit exclusif sur la terre, sans limite de temps ni d’étendue, et privent les autres du droit à la même jouissance. Si bien qu’aujourd’hui certains reçoivent plus qu’ils n’ont besoin, tandis que les autres manquent du nécessaire.

Si nous désirons modifier l’ordre social, ce n’est point pour enlever aux classes riches leurs biens, mais pour rétablir le droit naturel sur la terre qui nous a été donné par le Créateur. Nous désirons que les objets fabriqués par les hommes appartiennent à leurs producteurs, et que les objets produits par la nature soient laissés à la jouissance de tous les hommes.

L’application pratique de notre projet est la suivante :

Toute la terre productive est évaluée et la part de chaque homme est déterminée par le gouvernement d’après le chiffre de la population. Tout homme dépourvu de terre, ou qui en possède moins que la part fixée, doit avoir le droit d’exiger le lot attribué de celui qui, contrairement à la règle, détient un excédent de terrain, à condition de payer pour cette part le prix déterminé par la loi. Dans tous les autres cas, les hommes peuvent librement posséder la terre et se la transmettre les uns aux autres.

Remarque 1. — L’évaluation de la terre doit être faite d’après la valeur provenant des efforts personnels des possesseurs pour augmenter leurs revenus, indépendamment de la valeur des terres due aux conditions naturelles ou sociales. Cette distinction doit être faite afin que le fruit des efforts demeure la propriété personnelle du producteur, tandis que le résultat des forces naturelles et sociales serait propriété commune.

Remarque 2. — L’étendue du lot de chaque individu doit être déterminée d’après deux modes de jouissance de la terre, savoir : la jouissance du terrain comme lieu d’habitation et son exploitation en vue de recevoir un revenu. Comme lieu d’habitation, la terre doit être partagée en fractions égales pour chaque personne adulte ; pour en tirer revenus, la terre doit être partagée en fractions, petites ou grandes, suivant sa productivité.

Ce plan réalisé, tous les hommes auraient une base solide : chacun aurait un lieu d’habitation et assez de terrain pour vivre. Comme conséquence, le nombre de personnes qui cherchent du travail et des fermiers qui veulent affermer la terre diminuerait. La demande d’ouvriers et de fermiers élèverait ainsi le prix de la main-d’œuvre, tandis que baisserait le prix du fermage. En même temps le revenu illégitime des capitalistes et des propriétaires fonciers diminuerait ; car les hommes, qui précédemment jugeaient nécessaire de s’inféoder aux capitalistes, sentiraient qu’ils ne dépendent que de l’unique maître naturel, — Dieu — qui leur donne pour leur travail le salaire total.

Nous estimons que ce système est conforme à l’équité et qu’il porterait remède au mal qu’engendre notre organisation sociale injuste.

Mais si l’on nous indiquait un système plus conforme à l’équité et susceptible de nous guérir plus efficacement du mal, nous l’adopterions sans hésiter.

Nous espérons que tous ceux qui sont convaincus de cette grande vérité : la terre doit appartenir à tous les hommes, — tous, lors même où leur système serait différent du nôtre, se joindront à nous pour atteindre, par un effort commun, le rétablissement de notre droit naturel et légitime sur la terre.

On allègue qu’un tel projet est prématuré. Nous, au contraire, nous déplorons que les hommes aient tardé si longtemps à pouvoir recouvrer leur droit sur la terre, car durant cinq mille ans de vie sociale et jusqu’à ce jour, un nombre incalculable d’êtres humains quittent cette vie sans avoir compris leurs droits et considèrent ce monde comme un lieu de désespoir et de douleur, simplement parce qu’ils ont été privés de leur droit naturel sur la terre.

C’est pourquoi nous vous supplions, si vous êtes contraires à la violence qui dirige actuellement le monde, si vous désirez la voir remplacer par l’équité, si vous souhaitez l’abolition complète de l’esclavage et la liberté pour l’humanité entière, vous devez appliquer tous vos efforts à rétablir le droit naturel des hommes sur la terre. Si vous ne désirez pas voir les hommes vivre comme des bêtes, ni le fort opprimer le faible, employez votre énergie à ce rétablissement. Si vous compatissez aux maux de la presque totalité des hommes, qui passent leur vie dans la souffrance, par la faute de ces conditions injustes ; si vous plaignez les malheureux enfants, héritiers de cette redoutable situation, consacrez tous vos efforts à ce rétablissement.

Nous sommes convaincus que la terre est pour tous les humains la terre promise, et que nous ne serons délivrés du joug égyptien qu’en rentrant en possession de cette terre promise. Ce rétablissement de notre droit naturel sur le sol est, il est vrai, la délivrance suprême de l’humanité, et notre projet, nous le savons, n’en est que plus difficile à réaliser ; mais nous croyons que l’union de tous les gens de bien est capable d’atteindre ce but.

Tel est le projet de la Société japonaise.