Conseil absurde (Verhaeren)

Poèmes (IIe série)Société du Mercure de France (p. 93-95).

CONSEIL ABSURDE


Autant que moi malade et veule, as-tu goûté
Quand ton être ployait sous les fièvres brandies,
Quand tu mâchais l’orviétan des maladies,
Le coupable conseil de l’inutilité ?

Et doux soleil qui baise un œil éteint d’aveugle ?
Et fleur venue an tard décembral de l’hiver ?
Et plume d’oiselet soufflée au vent de fer ?
Et neutre et vide écho vers la taure qui meugle ?


Ô les rêves du rien, en un cerveau mordu
D’impossible ! s’aimer, dans son effort qui leurre !
Se construire, pour la détruire, une demeure !
Et se cueillir, pour le jeter, un fruit tendu !

Hommes tristes, ceux-là qui croient à leur génie
Et fous ! et qui peinent, sereins de vanité ;
Mais toi, qui t’es instruit de ta futilité,
Aime ton vain désir pour sa toute ironie.

Regarde en toi, l’illusion de l’univers
Danser ; le monde entier est du monde la dupe ;
Agis gratuitement et sans remords ; occupe
Ta vie absurde à se moquer de son revers.

Songe à ces lys royaux, à ces roses ducales,
Fiers d’eux-mêmes et qui fleurissent, à l’écart,
Dans un jardin, usé de siècles, quelque part,
Et n’ont jamais courbé leurs tiges verticales.


Inutiles pourtant, inutiles et vains,
Parfumé demain perdus, corolles demain mortes,
Et personne pour s’en venir ouvrir les portes
Et les faire servir au pâle orgueil des mains.