Connaissance de l’Est/Dissolution

Larousse (p. 202-203).

DISSOLUTION


Et je suis de nouveau reporté sur la mer indifférente et liquide. Quand je serai mort, on ne me fera plus souffrir. Quand je serai enterré entre mon père et ma mère, on ne me fera plus souffrir. On ne se rira plus de ce cœur trop aimant. Dans l’intérieur de la terre se dissoudra le sacrement de mon corps, mais mon âme, pareille au cri le plus perçant, reposera dans le sein d’Abraham. Maintenant tout est dissous, et d’un œil appesanti je cherche en vain autour de moi et le pays habituel à la route ferme sous mon pas et ce visage cruel. Le ciel n’est plus que de la brume et l’espace de l’eau. Tu le vois, tout est dissous et je chercherais en vain autour de moi trait ou forme. Rien, pour horizon, que la cessation de la couleur la plus foncée. La matière de tout est rassemblée en une seule eau, pareille à celle de ces larmes que je sens qui coulent sur ma joue. Sa voix, pareille à celle du sommeil quand il souffle de ce qu’il y a de plus sourd à l’espoir en nous. J’aurais beau chercher, je ne trouve plus rien hors de moi, ni ce pays qui fut mon séjour, ni ce visage beaucoup aimé.