Confidences (Lefèvre-Deumier)/Livre III/Supplique

SUPPLIQUE.


Una palabra, una palabra sola…
Dila…
Y ti retrato sobre el pecho mio
Sera alivio à mis penas, compañero
De mi destierro, inapreciable joya
De tu firmeza : y soplirà, ay ! en vano
De su divino original ansencia.

Melendez.


… Give me hnt

Something, whereinto I may bind my heart ;

Something to love, to rest upon, to clasp
Affection’s teodrils round,

Barry Cornwall.


Deh ! porgi mano a l’affannato ingegno.

Petrarca.


Mécontente du sort, quel que soit son sentier,
Notre existence en deuil se passe à supplier,
Et quoique, dans ce monde, on n’en exauce guères,
La mort, quand elle vient, nous rencontre en prières.
Moi, je supplie aussi : mais hélas, qui m’entend !
Peut-être, Maria, viendra-t-il un instant,

Où je pourrai mourir, comme je voudrais vivre ;
Mais que la route est longue et difficile à suivre !
Toi qui pourrais d’un mot en dissiper la nuit,
Tends-moi de loin la main qui m’a souvent conduit.
D’un fantôme de toi laisse au moins l’apparence
Entr’ouvrir le nuage où dort mon espérance.
De mon ciel fugitif impérissable dieu,
Assourdis-moi l’écho de ton dernier adieu,
Et vers son but obscur éclairant mon voyage,
Fais marcher devant moi ta lumineuse image.

Ne me refuse pas, Maria ; secours-moi !
Pour ranimer ma force, entoure-la de toi :
Dore de ta pitié le désert de ma vie.
Si jalouse autrefois du talent qu’il m’envie,
Veux-tu que par l’amour sourdement dévoré,
Vers un sombre avenir je chemine ignoré,
Et jeune encor, dans l’âge où la pensée ardente
Déploie à tous les vents une aile indépendante,

Que je ferme, oublié dans un honteux sommeil,
Ce vol dont la patrie était près du soleil !

On a beau lacérer ses titres de naissance,
Pour excuser ses fers, dénigrer sa puissance,
Quiconque fut créé pour de nobles transports,
Sent au cœur des regrets qui touchent au remords.
Apostat de soi-même, on se ment sans se croire :
Sans pouvoir l’enlaidir, on outrage la gloire.
Alors on se promet de ne plus s’abjurer,
De braver la fortune, au lieu d’en murmurer,
Et d’un vaisseau qui dort sous sa maligne étoile,
Vers l’astre des grands noms on fait tourner la voile :
Trop tard ! Le gouvernail, dans le sable engravé,
Trompe, en lui résistant, le pilote énervé.
Navigateur perclus par sa longue paresse,
Il lutte, sans vigueur, contre une mer épaisse,
Et nulle brise, hélas ! n’arrive jusqu’à lui,
Démarrer son navire, échoué sur l’ennui.

Surpris par la torpeur d’une eau lourde et tranquille,
Dois-je aussi consommer ce naufrage immobile,
Et vers les temps futurs, par le ciel envoyé,
Dans les flots dû néant sombrer appareillé ?

Engourdi que je suis par le froid de l’absence,
J’ai, comme un sens vieilli, perdu cette puissance
Qui fait, sous les glaçons, rosoyer le printemps.
Si quelquefois encor, pour alléger le temps,
Je ramène au travail un reste d’habitude,
Mon front reprend bientôt sa stérile attitude.
Quand j’ai, pour les finir, parcouru ces essais,
Dont un soupir de toi fut le premier succès,
Que veux-tu ! mon esprit, prompt à changer de rêve,
De tes conseils féconds redemande la sève ;
J’invoque tes discours, pour exalter les miens,
Des mots qui soient si doux, qu’ils aient le son des tiens.
Banni de tes regards, mon soucieux délire
S’exerce à retrouver leur trace sur ma lyre :

J’appelle ta présence au secours de mes vers ;
J’épie, autour de moi, ton portrait dans les airs,
Sans pouvoir l’y saisir, j’en peuple leur silence,
Et mes crayons en deuil, que fuit ta ressemblance,
Laissant là l’univers qu’ils devaient esquisser,
Recomposent tes traits que je ne puis fixer.

Prisonnier sans espoir d’un songe qui m’élude,
N’abrégeras-tu pas ma vague servitude,
Ce supplice moqueur, qui délabre nos jours,
De renouer sans cesse un fil qui rompt toujours ?
Oh ! commande aux pinceaux de voler ton sourire,
D’envoyer à mes yeux ton regard qui m’inspire,
De calquer sur l’ivoir l’ombre de ta beauté !
Que je puisse, à genoux devant sa chasteté,
Lui parler, comme on parle à Dieu dans son image !
Il semble, quand on voit, qu’on aime davantage :
Pour prier plus long-temps, on a besoin de voir ;
Les yeux ont un aimant, qui fait venir l’espoir.

Messagère de paix, d’amour et d’harmonie,
Epure de tes feux l’horizon du génie ;
Viens, sous ta forme humaine, embellir ton autel,
Ou, comme les baisers d’un astre fraternel,
Viens, d’un suc lumineux imprégnant son argile,
Suspendre tes rayons à mon laurier stérile.

Toi, dont l’essor viril se plaît sur les hauts lieux,
Prête au mien pour t’y suivre un éclair de tes yeux.
Arbre surnaturel, qui grandit d’âge en âge,
Tu veux que, s’emparant des trésors du langage,
La pensée abondante étincelle de vers :
Dégage ses bourgeons du frimas des revers.
Pareil à l’oranger, dont la verte couronne
Mêle, aux fleurs du printemps, l’or mielleux de l’automne,
Et sous un globe mûr en montre un qui mûrit,
Tu veux, à tout produire asservissant l’esprit,
Le voir dans tous les temps prodiguer ses offrandes,
Et plier à la fois sous toutes ses guirlandes :

Viens donc en rajeunir les douloureux rameaux ;
Tout morcelé qu’il est d’inexorables maux,
Cet arbre peut encor, opulent de feuillage,
Te nourrir de parfums, ou t’enivrer d’ombrage,
Et, baignant son sommet dans les sources du jour,
Y puiser un éclat égal à mon amour.

Exauce ma prière, et choisis les richesses
Qu’il faudra t’apporter pour payer tes largesses :
Si tu veux tout savoir, je puis tout découvrir.
Quels mystères d’élite irons-nous conquérir ?
S’agit-il de descendre aux mines de l’histoire ?
Dans ce dédale obscur, dirigeant ta mémoire,
Je ferai, devant toi, passer, ressuscités,
Les peuples engloutis sous leurs mortes cités,
Et des ressorts cachés de leur grandeur éteinte,
Tourner, en l’expliquant, le muet labyrinthe.
Veux-tu voir le sol même où dorment leurs débris ?
A ma lyre nomade enchaînant ces pays,

Je saurai sous tes yeux traîner tous les rivages,
Ou sur le char des sons promener tes voyages.
Veux-tu de la nature interroger les lois,
Des corps analysés décomposer le poids,
Des trois règnes du monde explorer le domaine,
Ou les plans compliqués de la masure humaine ;
Savoir pourquoi des mers l’empire dépendant
Au croissant, qui le presse, obéit en grondant ;
Quelle puissance enfin, dans ses mains souveraines,
De l’infini, qui marche, ose tenir les rênes ?
Parle, et de l’univers démêlant les anneaux,
J’irai de ses secrets rassembler les faisceaux,
Et des flancs de la terre extirper ses oracles ;
Et si tu veux, du ciel pénétrant les miracles,
Des astres rapprochés mesurer les sillons,
Je puis, sous mon compas rangeant leurs bataillons,
Déployer, à tes yeux, leurs enseignes de flamme :
Ce que tu veux connaître est inné dans mon ame.


Ramène le soleil sur ces germes de fruits,
Que l’hiver du chagrin aura bientôt détruits :
Jette avec tes regards, sous mon pinceau qui chante,
Tous ces tons nuancés que le printemps invente,
Et qui, pour le bénir, font un clavier des fleurs.
Quels que soient les tableaux que tentent mes couleurs,
Je verrai de tes traits la muette présence
D’une teinte du ciel y verser l’élégance,
Et, sensible à moi seul, l’éclat de ta beauté
Se répandra sur eux, comme un voile aimanté.
L’amour n’est, ici-bas, qu’un surnom du génie ;
Phare générateur, élevé dans la vie,
Jusqu’aux confins du monde, il fait percer nos yeux.
Qu’importe qu’on l’appelle un feu capricieux,
Une fièvre des sens, que le hasard allume,
Qui vieillit avec eux quand le corps se consume !
L’amour, c’est la puissance, et l’inspiration,
C’est un rayon de Dieu, visible à l’horizon.


Toi-même, Maria, sois ce rayon sublime,
Qui signale à mes pas les ruses de l’abîme :
Fais luire sur mon front le bienfait d’un coup-d’œil.
Par l’hydre du chagrin cerné sur mon écueil,
Deviens, pour m’affranchir, mon armure et mes armes !
Que je sache où pleurer, quand j’ai besoin de larmes :
Que je puisse, de loin, te voir à chaque instant,
Te voir, te respirer encore en te quittant !
Oh ! ce n’est plus un nom, de l’éclat que j’envie,
De la gloire ! C’est toi, c’est le bonheur, la vie,
Un talisman sacré, qui combatte le sort,
Qui désarme de fiel l’aiguillon de la mort.
Couvre-toi, si tu veux, d’un nuage, d’un voile,
Mais brille, dans ma nuit, comme une sainte étoile,
Rends-moi mes jours heureux, et sitôt révolus,
Rends-moi mon ciel d’hier, et ne le reprends plus !

S’il est vrai, Maria, que jamais une femme
N’imprima, sans aimer, tant d’amour dans une âme,
Ne me refuse pas l’unique et dernier don,
Qui puisse repeupler mes heures d’abandon.
Donne-moi dans tes traits les traits de tous les anges,
Que je mêle, en mes vers, les baisers aux louanges.
Rends-moi, rends-moi long-temps, dans tes traits adorés,
Quelques-uns de ces jours tant chéris, tant pleurés,
Dont le retour possible échappe à l’espérance.
Que ton portrait du moins dorme avec ma souffrance,
Comme autrefois ton cœur sur mon cœur plus heureux ;
Sur l’ombre de ta bouche, imprimant mes aveux,
Que j’y recueille, en rêve, un soupir qui m’inspire,
Et si mes mains encor s’égarent sur la lyre,
Qu’on sente, Maria, qu’elle tremble à tes piés,
Et que ses derniers chants le sont tous dédiés !