Confidences (Lefèvre-Deumier)/Livre III/Le Plongeur

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LE PLONGEUR.


Thou hast been where the rocks of coral grow,

Thou hast fought with eddying waves ;
Thy cheek is pale and thy heart beats low,
Thou searcher of Ocean’s caves.

F. Hemans.


· · · ·   Es freue sich
Wer da athmet im rosigten Licht !
Da unten aber ist’s fürchterlich,
Und der Mensch versuche die Gotter nicht,

Und begehre nimmer, und nimmer zu schauen,

Was sie gnadig bedecken mit Nacht und Grauen.
Schiller.


Ay, let him reach the goal, let fame
Pour glory’s sunlight on his name :
Let his songs be on every tongue.
And wealth and honours round him flung :
Then let him show his secret thought,
Will it not own them dearly bought.

Em. Landon.


Plus un gouffre est profond, un pic inaccessible,
Plus il semble, imprégné d’un charme irrésistible,
Stimuler des humains l’ambitieux effort.
Emmailloté qu’il est dans la nuit de son sort,
L’homme se pousse au jour, et yeut faire le libre.
Il s’en va des soleils ordonner l’équilibre :

Il descend sous la terre usurper ses métaux :
Sous l’Océan qui gronde exportant ses travaux,
Il va lui disputer son humide richesse :
Ici, plus haut, partout, transportant sa faiblesse,
De sa vaste impuissance il sillonne les cieux.
Sur lui-même à la fin il reporte les yeux,
Et du monde visible assignant les barrières,
Va du monde moral méditer les frontières.
Peut-être, et je l’ignore, a-t-il su discerner
Quelques points de l’énigme, où nous semblons tourner ;
Mais qu’importe au bonheur un si vide problême !
Qu’il plonge dans les cieux, sous la terre, en lui-même,
L’homme est-il plus heureux ? Le triste voyageur
N’en a su ramener encor que son malheur.
Pourquoi sonder le gouffre, avant d’y disparaître ?
Ignorer c’est dormir, et souffrir c’est connaître.

Matelot sous-marin, navigateur caché,
Qui reviens, un instant, de l’abîme arraché,

Respirer au soleil l’air vivant de la terre,
Dis-nous de l’Océan quelque profond mystère…
Hélas ! pauvre plongeur, pourquoi loin des humains,
Te percer sous les mers d’audacieux chemins ?
Qu’en as-tu rapporté ? des yeux sombres et ternes.
Ephémère habitant des humides cavernes,
Ton front jeune et vermeil a pâli loin du jour :
Ton cœur, comme au départ, ne bat plus plus au retour.
On dit qu’au fond des flots, couchés âges par âges,
On peut voir les trésors qu’amassent les naufrages,
Et pour y parvenir, tu n’as pas hésité
A porter dans le gouffre un pied inusité.
Quel rêve d’Arabie égale en opulence
Ces états sablonneux, où règne le silence !
Tu vas quelque minute y régner à ton tour.
Pauvre roi d’un moment, exilé dans ta cour,
Un rayon de soleil vaut mieux que ta couronne.
Quel métier que ta vie aride et monotone !
Dans ta tombe orageuse, agité par le sort,
Que tu dois envier une immobile mort !


Esclave du trépas, avant que d’y descendre,
Qu’on lit bien sur ton front la fatigue d’attendre !
Et que le temps pour toi se traîne avec lenteur !
Tu seras bientôt libre, intrépide lutteur,
Bientôt. Déjà ta joue est creuse et décharnée,
Ta lèvre blanche et morne, et ta tête inclinée
Semble chercher à terre, où tu reposeras.
Encor quelques efforts, et puis tu dormiras :
Courage ! Va ravir, quand tu le peux encore,
La perle opalisée où se mire l’aurore.
Travaille, épuise-toi, ton salaire est certain,
Ta gloire aussi. Peut-être en un joyeux festin,
Quelque noble sauteuse, au sortir du théâtre,
Fera de ton trésor ce qu’en fit Cléopâtre.

Non, l’avarice humaine aujourd’hui compte mieux,
On ne s’invente plus de vins si précieux.

Va donc, du lit des mers explorant la merveille,
Cueillir dans ses forêts la perle qui sommeille.
Une femme bientôt à des tresses de fleurs
De sa moire de nacre unira les couleurs,
Et chacun dans les bals admirera l’étoile
Qui de ses longs cheveux entr’ouvrira le voile.
Tout le monde ! Mais qui’s'occupera de toi ?.
Personne : et quand la belle, en ouvrant son tournoi,
Semblera, comme un astre embelli par ta peine,
Balancer les rayons de sa tête de reine,
Pensera-t-elle à toi, qui ne la verras pas !
Et qui, dans cette foule interdite à tes pas,
Qui, s’il songe à ta mort, se souviendra de dire
Que tu ne valais pas la perle qu’il admire ?
Oh ! malheur au joyau, si chèrement porté,
Qu’une existence d’homme achète à la beauté,
Et pour qui l’Océan s’amuse d’une vie,
Comme les aquilons d’une goutte de pluie !

Mais tu n’es pas le seul, indigent conquérant,
Qu’on voie aller, si loin d’un monde indiffèrent,
Récolter des trésors payés par l’agonie.
N’est-il pas comme toi, celui dont le génie
Plonge, pour nous instruire au fond des passions,
Ou qui, dans les tombeaux des vieilles nations,
Poursuivant à grands frais quelque heureuse richesse,
En revient amuser notre avare paresse ?
N’est-il pas comme toi, le poète ignoré,
Qui, dans sa sphère à part végétant inspiré,
D’une cour sans sujets monarque solitaire,
Sème, sans en jouir, ses perles sur la terre.
Il consume sa vie à son propre flambeau :
Sa clarté ne lui sert qu’à mieux voir son tombeau.

Ses chants aux cœurs blessés apporte le dictame :
Quels regards, quand il souffre, interrogent son âme ?
Aucun. Si dans ses vers, tout mouillés de ses pleurs,
Il attiédit en nous nos foyers de douleurs,

Ou ramène l’espoir, en en traçant l’image,
Jette-t-on sur sa vie une larme d’hommage ?
Jamais. Quand jusqu’à nous s’exhalent ces soupirs,
Qui flattant nos ennuis, ou berçant nos plaisirs,
Semblent faire voler, sur des ailes de fla’mmg,
La prière d’un ange, amoureux d’une femme,
Nous aspirons de loin ce souffle harmonieux,
Qui passe sur nos maux comme un parfum des cieux ;
Mais qui songe de nous, en savourant ces charmes,
Ce qu’un poète doit payer à Dieu de larmes
Pour obtenir de lui le pouvoir d’attendrir,
D’enchanter des oisifs, qui le laissent mourir !

Las ! oui, quand de ces chants l’humaine providence
Daigne avec nos chagrins entrer en confidence,
Quand ces vers radieux, de l’avenir chéris,
D’un rayon de bonheur dorent nos fronts flétris,
Réchauffent nos vertus, font rougir l’inconstance,
Ou prêtent à l’amour leur brûlante assistance,

Nous ne songeons pas plus au cœur qui les pleura,
Qu’à la rose qui tombe aux champs qu’elle enivra,
Et fait de ses parfums un legs à nos parures.
Peut-être tous ses vers sont autant de blessures,
Et sa vie, avec eux, goutte à goutte a coulé :
Chacun de ses accords est un cri désolé,
Peut-être !… Qui de nous s’en informe ? Personne.
Plus beaux que les joyaux dont un roi se couronne,
Il livre, comme toi, lutteur de l’Océan,
Ses trésors au hasard, ses douleurs au néant,
Et descendus, tous deux, chacun dans vos abîmes,
Sur l’autel des ingrats, vous remontez… victimes.