Confidences (Lefèvre-Deumier)/Livre II/Déception

DÉCEPTION.


There sate a fuir corinthian maîd,
Gracefully o’er some volume bending,
While, by her aide, the youthful sage
Held baek her ringlets, lest, descending
They should o’ershadow ail the page.

Th. Moore.


IVra in terra, e’l cor in paradiso,
Dolcemente obliando ogni altra cura.

Petrarca.


How often in their occupation their bands and eyes met ! — How often by the shady wood or the soft water-aide, they found themselves alone ! in all times how dangerous the connexion, when of different sexes, between the scholar and the teacber ! under how many pretences, in that connexion the heart finds opportunity to speak out.
Bulwer. E. Aram.


Quoique bien jeune encor, j’ai long-temps, loin du bruit,
Des langages du monde interrogé la nuit :
Et de leur mine abstraite explorant les merveilles,
Ma lampe curieuse a pâli dans les veilles :
Mais lorsque, sous mes pas, ses lumineux secours,
Des sentiers de l’étude éclairaient les détours,

Je n’ai pas, de la gloire évoquant la richesse,
Vu son manteau de pourpre en cacher la rudesse.
Quand je l’ai courtisée, aux dépens des plaisirs,
C’était toujours plus haut qu’aspiraient mes désirs ;
J’espérais, caressé par de plus doux mensonges,
Autour de son fanal attirer d’autres songes,
Et de l’amour, si prompt à changer d’univers,
Captiver l’inconstance attentive à mes vers.
Si je voyais alors, comme une ombre voilée,
Une femme, le soir, passer dans ma vallée,
Dieu ! que j’aurais voulu, dans mes jeunes transports,
Contre un de ses soupirs échanger mes trésors,
Prosterner, à ses pieds, ma savante richesse,
La combler de talens, sans troubler sa paresse,
Et de ma solitude abjurant la rigueur,
Instruire son esprit, pour atteindre à son cœur !
Ambitieux d’un joug, dont je mourrai peut-être,
J’existais pour l’amour, avant de le connaître.

Ces sœurs, qu’à nos chagrins le génie accorda,
Clémentine, Imogen, Clarisse, ou Miranda,
Ces êtres fabuleux qu’adopte la misère,
Et qui, sans exister, peuplent pourtant la terre,
Semblaient, tous confondus sous un nom gracieux,
Me dicter un roman, qui m’approchait des cieux.
Je m’étais fait d’un rêve une vague patrie,
Et je ne vivais pas : je préparais la vie.
Je croyais quelquefois sentir, étincelans,
Des yeux mystérieux surveiller mes élans.
Il me semblait si doux, pour une âme oppressée,
De pouvoir, dans une autre, envoyer sa pensée,
Que d’une ingratitude eussé-je dû périr,
J’aurais, pour tout donner, voulu tout conquérir.
Comme, en hiver, l’abeille attend la fleur prochaine,
De mon printemps futur, moi, j’attendais la reine,
Non pas pour lui ravir les parfums qu’elle aurait,
Mais pour lui prodiguer ceux qu’elle m’envîrait.

Caprices enchantés d’un âge encor crédule :
Que de temps leur prestige a meublé ma cellule !
Etait-ce l’avenir, qui, pour m’y préparer,
M’envoyait ces lueurs, qui devaient m’égarer ?
Oui, l’homme, sous son front, que les ans élargissent,
Porte son sort écrit en lettres qui grandissent,
Et pour qui s’interroge, il n’est rien d’imprévu.
Ce songe tentateur, si souvent entrevu,
Ma pensive jeunesse, imprudemment ravie,
Devait le voir enfin s’établir dans ma vie ;
Je devais accomplir ce que j’ai tant rêvé.
Hélas ! tant de bonheur m’était donc réservé ?

Une femme parut, qui, belle et solitaire,
Appartenant au ciel, en passant sur la terre,
Demandait, pour séduire, un langage de plus ;
Et ce qu’elle voulait, bientôt je le voulus.
Je voulus, dans l’orgueil de mon imprévoyance,
Vers des mots inconnus guider son ignorance ;

Je ne crus les savoir que pour les lui montrer.
Dans des sentiers prévus, fier de m’aventurer,
Je comptais, inspiré par ces leçons divines,
Et de l’ennui, pour elle, arrachant les épines,
Cultiver son esprit, sans jamais le lasser ;
J’espérais, lui sauvant la peine de penser,
Que son cœur apprendrait plutôt que sa mémoire.
En me le répétant, je parvins à le croire.

Que de secours, disais-je, aussi prompts que mes vœux,
Viendront, sans que j’y songe, aguerrir mes aveux !
Que d’heureux incidens une leçon rassemble,
Pour exhorter l’essor d’un hommage qui tremble !
Que de fois, dans un livre, on voit se décider
Le secret hasardeux qu’on craignait d’aborder,
Et, sous le voile adroit de l’auteur qu’on admire,
Comme on se dit souvent ce qu’on n’osait se dire !
Tous ces baisers, éclos d’un récit suborneur,
Dont deux ombres du Dante ont gardé le bonheur,

Semblaient, déjà pour moi s’échappant du poëme,
Marier mon sourire au sourire que j’aime !
Ivre, avant d’y céder, de tant d’illusions,
Et, sans savoir encor les vers que nous lirions,
Je savais à quel mot sa paupière baissée
Devait se relever, pour voir dans ma pensée.
J’imaginais de loin que mes regards joyeux
Lui gravaient dans le cœur ce qu’épelaient ses yeux :
J’inventais, pour l’aider, un encens de parole,
Et, guidant de ses flots la magique auréole,
Autour de son esprit, je les voyais errer,
Et parfumer le temple, avant d’y pénétrer….
Mais, comme on l’a conçu, quel ouvrage s’achève ?
Rien ne peut arriver, hélas ! comme on le rêve.
Le songe se transforme, en se réalisant,
Son éclat, moins trompeur, est aussi moins puissant ;
Un voile inaperçu gêne sa transparence :
Nulle faveur du sort ne vaut son espérance.

Loin d’en gémir pourtant, rendons grâce aux destins
Des éclairs passagers qui dorent nos chemins :
L’espoir, le plus souvent, l’illusion s’envole,
Sans qu’un rayon d’adieu, dans la nuit, nous console.
Enfans, qui découpons l’image du soleil,
Nous lançons, dans les airs, notre jouet vermeil,
Et nous suivons des yeux, jusqu’au seuil d’un nuage,
L’astre bariolé qui plonge dans l’orage.
Quand il a disparu, nous sentons son essor
Tirer le fil tendu qui le retient encor ;
Puis, pour naviguer seul, il rompt son faible câble,
Et, comme notre espoir, son vol irrévocable
Se perd, et ne nous laisse, en fuyant son soutien,
Qu’un peu de fil mêlé, qui n’attache plus rien.
Que m’ont laissé, de plus, mes chimères aimées ?
Le souvenir confus de les avoir formées.
Que de fois ces leçons, que j’attendais toujours,
Ont, pour moi, du printemps noirci les plus beaux jours !
Et combien j’ai de fois vu l’astuce, ou l’envie,
Brouiller le fil flottant qui suspendait ma vie !

J’aurais voulu souvent, pâle d’anxiété,
Echapper, par la fuite, à ma félicité.

Quand les franges du jour, qui bordaient les nuages,
Balançaient leurs glands d’or à travers les feuillages,
Quand l’humide matin, qui joue avec ses pleurs,
En colorait la perle à la pointe des fleurs,
J’allais, dans les vallons, m’abreuvant d’éloquence,
Du réveil de la terre épier l’élégance.
Le soleil devant moi, variant mes tableaux,
De ses lettres de feu blasonnait les coteaux,
Et mes yeux moissonnaient, pour parer mon langage,
Tantôt une pensée, et tantôt une image.
Entouré de trésors, l’attente m’inspirait :
Comme ce luth vivant, que l’Egypte adorait,
Et dont l’aube thébaine, éveillant la prière,
Faisait vibrer le marbre épris de sa lumière,
L’aurore harmonieuse embaumait mes discours ;
Des guirlandes d’oiseaux, qui chantaient leurs amours,

Suspendaient, aux buissons, leurs volantes caroles,
Et semblaient fredonner mes futures paroles.
Lorsque, sous les tilleuls rassemblés en arceaux,
Les soupirs de la brise agitaient les rameaux,
Ou, sur mon livre ouvert, berçant les chèvrefeuilles,
En arabesques d’ombre y promenaient les feuilles,
Je voyais Maria, dans l’avenir prochain,
Sur l’ouvrage commun, qui tremblait dans ma main,
S’inclinant, pour saisir une phrase douteuse,
Pencher, comme un bouquet, sa tête gracieuse ;
Et moi je lui disais : Reste comme tu veux ;
J’aime à lire un chef-d’œuvre à travers tes cheveux ;
Quelque chose de toi, Maria, s’y détache :
J’embellis tous ces vers du voile qui les cache ;
Que sais-je ? Elle était loin ! et je croyais la voir,
Et les mots les plus doux qu’ait inventés l’espoir,
Semblaient tous, à mes yeux, se groupant dans la nue,
Noter, des chants du ciel, une page inconnue.
Mais je ne les lisais, hélas ! que sans témoin ;
Je les oubliais tous, quand j’en avais besoin.


Qu’à l’heure du travail, ma tardive écolière
Vint chercher, en jouant, sa leçon journalière,
Mes battemens de cœur paralysaient ma voix,
Et tous mes mots d’amour me manquaient à la fois ;
Je ne voyais plus qu’elle, et non plus la nature ;
J’avais, sans rien garder, moissonné sa parure ;
Les oiseaux, qui chantaient, ne laissaient plus, des cieux,
Tomber, comme un écho, leurs chants mélodieux,
Et le parfum des fleurs, voguant sur les nuages,
A mon esprit glacé n’apportait plus d’images.
Excepté Maria, tout semblait se flétrir.
Se peut-il qu’un bonheur nous fasse tant souffrir !

Assis à côté d’elle, un obstacle invisible
Jetait, entre nous deux, sa barrière inflexible ;
Ma main, qui la cherchait, craignait presque sa main ;
Je respirais trop près, ou trop loin de son sein ;

Les vers les plus louchans, ma voix, pleine d’alarmes,
Au lieu de les traduire, en déflorait les charmes,
Et mes yeux s’arrêtaient, sans pouvoir s’exprimer,
Pour voir long-temps ses yeux me regarder aimer.
Je me sentais mourir. Qu’avez-vous, disait-elle ?
Et moi, presque effrayé de la trouver si belle,
Enivré de l’entendre, et n’osant la troubler,
Mes yeux, qui l’écoutaient, la regardaient parler.
A sa moindre parole, heureux de me suspendre,
J’aurais cru me tromper, en osant la reprendre ;
Et, suivant son esprit, au lieu de l’entraîner,
T’ai reçu des leçons que je devais donner.

Qu’arrive-t-il ? Le sort va me séparer d’elle ;
Ses lèvres me devront une langue nouvelle :
Mais de mon souvenir aucun mot nuancé
Ne lui rappellera que je l’ai prononcé.
Elle seule a, pour moi, passé dans ce langage.
Je crois, en le parlant, que j’entends son image :

Tout ce que j’ai tenté fuira de son esprit ;
Moi, je me souviendrai de tout ce qu’elle apprit.
Ces livres, dont ma voix lui soumit le silence,
Tous ces vers regrettés deviendront sa présence,
Et, pour la voir encor, je les lirai toujours.
Mais elle !… oh ! je le sens, une ombre est sur mes jours.
On ne peut pas long-temps se reposer près d’elle 1
Elle paraît aimer, pour qu’on lui soit fidèle :
Mais elle n’aime rien, hélas ! que sa beauté,
Et sa mélancolie est une vanité.

Ah ! que j’aurais mieux fait d’éluder l’espérance,
Et de m’emprisonner dans une humble ignorance !
Tout ne criait-il pas à ma sourde raison,
Que l’arbre du savoir rapporte du poison ?
Frêle félicité, que nous donne une femme,
De quel fil délicat se compose ta trame !
Tu ne dures pas même autant que le regard
Qu’on laisse, jusqu’à nous, échapper par hasard ;

Autant que cette neige, au soleil exposée,
Dont on voit, dans nos champs, la nappe électrisée
Allumer, en fondant, ses paillettes de feu :
Brillant, pâle et glacé, — frêle bonheur, — adieu !