Commentaire de la logique d’Aristote/3
Librairie Louis Vivès (5p. 147-163).
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TRAITÉ III. Du PRÉDICAMENT DE LA QUANTITÉ.

Chapitre I : Du nombre qui est une quantité discrète. modifier

La quantité se divise en continue et en discrète. On appelle discrète la quantité dont les parties soi séparées et ne sont pas unies pour un but commun. En effet, les parties du nombre dix ne sont unies pour aucun but commun. Car dans le nombre dix il ne se trouve aucune particule en vue de laquelle les autres soient unies, puisqu’elles sont toutes séparées l’une de l’autre. On appelle, au contraire, continue la quantité dont les parties sont unies pour un but commun, parce qu’elles sont toutes unies entre elles, et ne sont pas actuelle ment séparées, mais sont susceptibles de l’être, comme on le dira plus bas. La quantité discrète se divise en nombre et langage, or le nombre est la réunion de plusieurs unités. Le nombre se définit encore d’une autre manière le nombre est une collection mesurée par l’unité. Pour comprendre ces définitions il faut savoir que l’unité se prend pour l’être, et l’unité est le principe du nombre. Or l’unité prise dans la première acception n’est autre chose que l’être indivis. L’unité ajoute à l’être la négation ou la privation de division, et comme tout être est une unité dans ce sens, l’unité en conséquence prise dans ce sens, est non seulement dans le genre de la quantité, mais aussi dans tous les genres comme l’être, c’est pourquoi l’unité se rapporte aux transcendants, comme la collection produite par l’unité dans ce sens n’est pas le nombre qui est une espèce de quantité, mais se rapporte aux transcendants. Nous disons, en effet, qu’il y a quatre anges ou trois personnes en Dieu, et cependant il n’y a de quantité ni dans les anges, ni en Dieu. L’unité, qui est le principe du nombre, ajoute à l’unité qui se prend pour l’être non par une chose quelconque, mais elle l’affecte en lui ajoutant deux rapports, parce qu’elle exprime non toute indivision, c’est-à-dire qu’elle n’ex prime pas tout être en tant qu’indivis, mais bien l’être indivis de la quantité continue; elle exprime aussi le rapport de la mesure discrète. Comme le nombre qui est une espèce de la quantité, est produit par la diction du continu, supposons une ligne divisée en plusieurs parties, chaque partie de la ligne ainsi divisée étant indivise, la ligne ainsi considérée est une unité; c’est pourquoi la ligne n’est autre chose que le continu indivis. Donc l’unité qui est convertie avec l’être, signifie un être indivis quel qu’il soit. Or, l’unité qui est le principe du nombre, dit u être continu indivis, et le nombre se compose de semblables unités, lorsqu’il y a plusieurs continus séparés entre eux et indivis en eux-mêmes. Le second rapport qu’ajoute l’unité, principe du nombre, à l’unité qui admet la conversion avec l’être, est le rap port de mesure discrète, en quoi il faut remarquer que la mensuration discrète peut se prendre de deux manières. La première c’est la même chose que de s’assurer intellectuellement du nombre de certaines choses, connaissance qui s’acquiert en redoublant une unité un certain nombre de fois, et prise dans ce sens la mesure est une propriété accidentelle du nombre lui-même, et elle convient aussi à l’unité qui se convertit avec l’être. De la seconde manière mesurer se prend pour produire formellement tarit de choses, comme la blancheur produit formellement le blanc, et cette mesure appartient au rapport de l’unité ou du nombre. Nous savons donc ce que c’est que l’unité dont l’assemblage forme le nombre, et ce qu’est la mesure essentiellement et accidentellement. Pour comprendre ce qu’est la multitude il faut savoir, ainsi que nous l’avons dit plus haut, que ce que notre intellect conçoit d’abord c’est l’être, et secondairement la négation de l’être, lorsqu’on comprend qu’une chose n’est pas tel être. On conçoit tout de suite d’après cela une division, d’où il résulte que la division est la distinction par l’être et le non-être. En troisième lieu, on conçoit une unité qui ne comporte pas la division. Il y a, en effet, un être en qui ne se rencontre pas la division susdite, et ainsi l’idée de l’unité est postérieure à celle de la division, comme l’idée de la privation est postérieure à celle de l’habitude qui subit la privation. Quatrième ment, on conçoit la multitude, qui dit deux négations, dont l’une consiste en ce que telle chose n’est pas telle autre, et l’autre en ce que chacune de ces choses n’est pas divisée; c’est pourquoi la multitude se définit par l’unité, parce qu’il n’y a jamais multitude, sans que chacune des choses qui composent cette multitude ne soit une unité ou un être indivis. Et il faut prendre dans la quantité comme nous avons pris dans les transcendants, l’être, la division, l’unité et la multitude, de sorte que nous prenions le continu de la même manière que nous prenions l’être, quoiqu’il y ait entre eux quelque différence, comme nous l’avons dit. Il faut savoir que cette multitude, qui est dans la quantité, est l’assemblage de plusieurs continus, dont l’un n’est pas l’autre et dont chacun est indivis en soi ou un, ce qui est la même chose, et ainsi s’explique la première définition du nombre, le nombre est un assemblage de plusieurs unités, aussi bien que la seconde, le nombre est une multitude mesurée par l’unité, parce que l’unité plusieurs fois redoublée, produit la multitude, et nous constatons par là la grandeur discrète de la multitude, c’est ainsi que l’unité est la mesure de la multitude, c’est évident pour le nombre, etc.

Chapitre II : De la seconde espèce de la quantité discrète, c’est-à-dire du langage. modifier

Le discours est un mot formé de syllabes distinctes qui le mesurent et qui n’a point de permanence dans ses parties. Pour comprendre cette définition, il faut savoir que mot n’est pas pris ici pour la qua lité, car le mot est dans la troisième espèce de la qualité, comme on le verra par la suite, mais pour quelque chose qui a été dans le mot, parce que dans tel mot ily a plusieurs dictions et syllabes, qui, quoi que indivisibles, sont néanmoins successives, car l’une succède à l’autre; c’est pourquoi il y a deux choses à considérer dans ces syllabes, à savoir leur indivisibilité et leur succession. Cette indivisibilité n'est pas une indivisibilité d’unité, autrement le discours serait un nombre, mais une indivisibilité qui mesure la durée, suivant que plu sieurs syllabes indivisibles durent plus qu’une; c’est pourquoi si dans le discours nous considérons l’indivisibilité des syllabes nous trouvons que par là il y à convenance avec le nombre. D’un autre côté, si nous considérons la mesure de la durée, qui cependant n’est pas permanente, mais successive, nous voyons qu’en cela elle s’accorde avec le temps qui est une mesure successive, aussi bien que des choses successives, comme il sera démontré plus loin. Néanmoins le discours n’est pas un nombre simplement, mais un nombre appartenant à la mesure de la durée; ce n’est pas non plus un temps continu, lequel n’est autre chose qu’une succession continue, toujours divisible, mais c'est encore la succession de quelques indivisibles, des syllabes. Or, il faut savoir qu’Aristote, dans son livre des Prédicaments, dit, Que le discours se mesure par la syllabe brève et la syllabe longue. Un autre texte porte que la syllabe brève et la syllabe longue se mesurent par le discours. Or, le discours se mesure par la syllabe de la même manière, comme nous l’avons dit, que le nombre est mesuré par l’unité, qui comme telle est indivisible. Quand on dit qu’une telle syllabe est brève ou longue, il ne faut pas regarder cette brièveté ou cette longueur comme appartenant au temps continu, de telle sorte que le discours soit un assemblage de temps continus, autrement ce ne serait pas une espèce différente du temps; car les parties du temps produisent une espèce différente du temps; mais le temps continu coexiste quelquefois avec la durée indivisible d’une syllabe, c’est-à-dire qu’il y a existence simultanée, parce que le temps est quelquefois court et d’autres fois long; c’est pourquoi le temps continu est la mesure des successifs dans le mouvement. Mais les syllabes existent dans quelque chose d’indivisible et sans mouvement, quoiqu’elles admettent le change ment et la succession, dans une certaine mesure toutefois, comme il a été dit. D’où il suit que la mesure qui est le temps et la mesure de la syllabe, quoique des mesures diverses de la durée ou des choses durables, peuvent néanmoins coexister, et ainsi la syllabe sera dite brève ou longue, non d’une longueur ou d’une brièveté continue existant en elle, puisqu’elle est indivisible, mais de la longueur ou de la brièveté du temps continu, qui lui est coexistant. Néanmoins il en est qui disent que les syllabes, sans être le mouvement, s’opèrent par le mouvement, et comme tout mouvement se mesure par le temps continu, c’est pour cela que les syllabes sont appelées longues ou brèves, de la longueur ou de la brièveté du temps continu mesurant les mouvements qui les produisent. D’autres tiennent un langage différent. Suivant eux, le nombre étant produit par la division du continu, et n’ajoutant au continu rien autre chose que la division en la quelle chaque chose est indivise, il est néanmoins une espèce de la quantité différente de la continue; il en est de même du discours relativement au temps. Car le discours est l’assemblage de plusieurs temps divisés, dont chacun est indivis, et néanmoins c’est une espèce différente du temps, telle est la quantité discrète, etc.

Chapitre III : De la quantité continue en commun suivant l’intention logique. modifier

La quantité continue est celle dont les parties sont liées pour un but commun. Il faut observer qu’il en est qui conçoivent la chose dans ce sens que les parties du continu sont liées pour un but commun. Car les parties de la ligne se terminent au point qui la limite en acte, et non au point en puissance; de même les parties de la surface sont liées pour former la ligne qui la termine en acte, et les parties du corps pour la superficie qui le limite. Pour comprendre ceci, il faut savoir que nous devons imaginer un point indivisible dans la ligne comme étant eu mouvement, lequel produit la ligne par son mouvement, que la ligne soumise au mouvement produit la surface, que la surface soumise au mouvement produit le corps, et que le mouvement ensuite produit le temps. Par cette supposition de causes agissant de cette manière, quoiqu’il n’en soit pas réellement ainsi, nous comprendrons cette définition. En effet, si le point soumis au mouvement produit la ligne, toutes les parties de la ligne sont liées par le point, et comme dans toute partie de la ligne, comme nous venons de le dire, il faut imaginer un point auquel se rapporte une autre particule sans autre déviation, il résulte que la ligne est dite continue. Il en est de même de la superficie par rapport à la ligne que nous Supposons la produire par le mouvement qu’elle subit. Il en est aussi de même du corps par rapport à la surface, et comme le lieu est une espèce de surface, il a un terme commun pour ses particules de la même manière que la superficie. Il est bon pourtant de savoir qu’Aristote dit, dans ses Prédicaments, que les parties du lieu sont liées par le même terme qui est le but de la liaison des parties du corps, ce qui ne se comprend pas très bien, si le lieu est une surface d’un corps de capacité. En effet, la superficie étant le terme commun des parties d’un corps, il s’ensuit que le terme d’un lieu est la superficie, et ainsi le terme de la superficie sera le terme de la superficie. En quoi il faut observer que le lieu peut se considérer de deux manières; première ment, pour la surface du corps contenant, et alors le terme de ses parties est appelé ligne, ainsi qu’il a été dit; secondement, le lieu se prend pour tout le corps locatif, comme l’air est dit le lieu de l’eau, et le feu le lieu de l’air et c’est dans ce sens qu’Aristote dit que les parties d’un lieu sont liées en vue du même terme que les parties du corps. Or, les parties du temps sont liées pour le moment présent, telle est l’explication de la quantité continue.

Chapitre IV : De la quantité qui a une position, et de ce qui est requis par rapport à cette position. modifier

La quantité continue a une position, quoiqu’il s’en trouve qui n’en ont pas. Il faut observer que la position est la même chose que l’ordre des parties dans un lieu, et c’est là un des dix prédicaments qui est aussi appelé situation; il en sera question plus loin. On dit aussi que la position est l’ordre des parties dans le tout, et dans ce sens la position est la différence de la quantité. Pour que la quantité ait une position, trois choses sont requises. Il faut d’abord qu’elle ait ses parties continues marquées et non marquées; secondement, qu’en vertu de cette désignation, elle ait ses parties coordonnées entre elles, c’est-à-dire l’une après l’autre; troisièmement, que ces parties possèdent la permanence. Relativement à la première qualité, le nombre dont les parties ne sont pas signables mais désignées, quel que soit leur ordre, comme deux après un, trois après deux et ainsi de suite, n’a pas de position. Relativement à la troisième qualité, quoique le temps ait des parties signables et non marquées et ordonnées, comme néanmoins elles n'ont pas de permanence, elles n’ont pas pour cette raison de position entre elles. Le discours, d’autre part, dont les parties ne sont ni continues, ni permanentes, comme il a été dit, n’a pas à cause de cela de position dans ses parties. Donc les espèces de la quantité qui ont une position sont la ligne, la surface, le corps, le lieu; et quoique le point ne soit pas une quantité, parce qu’il est quelque chose d’indivisible et le principe de la quantité, parce qu’il est le principe de la ligne et qu’il est ordonné pour les parties de la ligne, il est dit avoir une position. Car, comme on dit communément, le point est quelque chose d’indivisible ayant une position, puisqu’il est la fin de la première partie et le commencement de la seconde, tandis que l’unité est quelque chose d’indivisible et n’a pas de position, on voit ainsi quelles sont les quantités qui ont une position et celles qui n’en ont pas.

Chapitre V : Des espèces de la quantité continue, et d’abord de la ligne. modifier

Nous allons maintenant parler de ces espèces de la quantité continue, et d’abord de la ligne. Or la ligne est une longueur sans largeur ni profondeur terminée par deux points. Pour comprendre cela, il faut savoir que la quantité étant une mesure, ou extension de la substance, comme il a été dit, une substance corporelle, comme telle, peut être mesurée ou étendue de trois manières sans plus, suivant la façon dont s’opère l’interjection des diamètres dans les angles droits. Car si l’un doit couper l’autre à angles droits, ce doit être en former de croix, suivant la figure suivante, dans laquelle se trouvent deux angles droits dans la partie supérieure et deux dans la partie inférieure.

On appelle angle droit celui qui se forme en tirant une ligne perpendiculaire sur une ligne droite, de sorte que si cette ligne tombe sur le milieu, elle forme deux angles droits, comme il a été dit. Nous avons donc deux diamètres qui se coupent à angles droits dans la forme de la croix. Pour qu’un troisième diamètre coupe les deux premiers à angles droits, il faut qu’il passe par le point où se réunissent les quatre angles droits. Un quatrième diamètre ne peut couper les trois autres sans former un angle droit. L’un de ces diamètres s’appelle longueur, le second largeur, le troisième profondeur, que l’on nomme les trois dimensions. De sorte qu’en considérant la longueur sans les autres deux dimensions, elle s’appelle ligne. Les extrémités de la ligne, si elle en ce que je dis à cause de la ligne circulaire qui n’en a pas, sont deux points, car ils terminent la ligne jusqu’à l’indivisibilité suivant cette dimension. En effet, si la division était toujours possible dans cette dimension, cette dimension étant une ligne, dans ce cas la ligne serait sans limites. La surface contient deux des susdites dimensions, à savoir la longueur et la largeur, dont les extrémités sont deux lignes, ou une, je dis cela à cause de la sur face circulaire qui est limitée par une seule ligne. En effet, ainsi que nous l’avons dit, pour borner une ligne il faut que la limite atteigne l’indivisibilité dans cette dimension, de sorte que la limite de la surface doit aller à l’indivisibilité en largeur, ce qui est la ligne. Un corps renferme les trois dimensions ci-dessus, ou en d’autres termes, un corps est une triple dimension, comme la surface est une double dimension, et la ligne une seule. Or, le corps se termine à la surface qui est indivisible en profondeur, ou à la ligne qui l’est en largeur. Il faut observer que quoique le corps soit une triple dimension, à savoir, longueur, largeur et profondeur, le corps ne tient son caractère de perfection que de la profondeur. De même, quoique la surface con tienne deux dimensions, la longueur et la largeur, néanmoins sa raison spécifique n’est complétée que par la largeur, comme la rai son spécifique de l’homme n’est complétée que par la rationalité, quoiqu’il soit doué de la sensibilité et de la vie. La raison spécifique de la brute est complétée par la sensibilité, quoiqu’elle jouisse aussi de la vie. Quant à la ligne, c’est la longueur qui fait la perfection spécifique. Et comme la quantité continue a la propriété d’être toujours divisible, si le corps, tant que corps, doit se terminer à l’indivisible, ce sera à la surface, laquelle, quoique divisible, ne l’est pas cependant en profondeur en quoi consiste la raison spécifique du corps, comme il a été dit, il en est de même de la surface par rapport à la ligne. Telles sont les trois espèces de la quantité continue.

Chapitre VI : Du lieu qui est une espèce de la quantité continue. modifier

Nous passons au lieu. Le lieu est la surface d’un corps contenant immobile. En effet, quoique le lieu soit une surface, il ne s’ensuit pas qu’il soit dans le genre de la surface, mais c’est un autre genre de quantité à raison d’une autre différence spécifique surajoutée qui ne convient pas à la surface, en tant que surface, et n’est pas disparate à son égard, quoiqu’il soit immobile. ll savoir que, comme il n’y a point de vide dans la nature, il fait qu’un corps soit enveloppé d’un autre corps. Laissons pour le moment la dernière sphère. C’est pour quoi la surface du corps, qui enveloppe celle qui est contiguë au corps enveloppé, est appelée lieu. Néanmoins cette surface n’est pas appelée lieu par la raison qu’elle enveloppe, autrement le vaisseau qui suit le cours du fleuve étant toujours entouré de la surface de la même eau, parce qu’il suit le courant de l’eau, pourrait être regardé comme restant dans le même lieu, ce qui est faux. De même aussi le vaisseau amarré au bord du fleuve, changeant continuellement de surface par le flux de l’eau, changerait à chaque instant de lieu dans ce cas, ce qui est également faux. Donc la nature du lieu n’est pas celle de la surface, ni réciproquement; la nature du lieu consiste en ce qu’il est immobile par rapport à l’univers; c’est pourquoi, en supposant que le monde fût vide, qu’il n’y eût que le ciel pour contenir le vide et qu’une pierre fût au centre, quand bien même elle ne serait pas enveloppée par la surface d’un corps contenant, elle serait malgré cela dans un lieu, parce qu’elle serait dans une place qui, par rapport à l’univers ou le ciel, serait immobile. Ainsi s’explique le lieu.

Chapitre VII : Du temps, comment c’est une quantité successive.

Le temps est le nombre du mouvement du premier mobile suivant la priorité et la postériorité. Pour comprendre cette définition, il faut savoir qu’il y a deux sortes de nombres, l’un qui sert à la numération, comme deux, trois et ainsi de suite, et c’est là la première espèce de la quantité discrète dont nous avons parlé. La seconde espèce st ce qu’on appelle nombre nombré, ce sont les choses auxquelles nous appliquons ce nombre dans la numération, comme deux Chiens, trois lignes, et c’est dans ce sens que nous prenons ici le nombre. Il faut savoir aussi que dans tout mouvement il y a une quantité successive qui le produit formellement, sous le rapport de quantité successive, laquelle quantité successive n’est pas le mouvement, mais un de ces accidents. Or, le mouvement du premier mobile, à savoir du dernier ciel, étant le plus régulier et le plus simple de tous les mouvements, il s’ensuit que sa quantité successive est la plus régulière et lia plus simple de toutes les autres quantités successives; c’est pour quoi, en l’appliquant à tous les autres mouvements, lesquels, comme on l’a dit, sont successifs, nous nous assurons de leur durée, c’est ce que nous avons appelé mesurer. Mais comme l’âme, dans cette suc cession du mouvement du premier mobile, considère la priorité et la postériorité, cette succession ainsi nombrée ou mesurée par l’âme par le moyen de l’antériorité et de la postériorité, est ce qu’on appelle le temps. De même que nous appelons jour la succession d’une partie du mouvement du premier mobile, en tant que ses parties se meuvent d’Orient en Occident. C’est pourquoi cette antériorité dans la succession suivant qu’une partie du premier mobile avait son mouvement vers l’Orient, et cette postériorité selon que cette partie était en mouvement vers l’Occident, considérées par l’âme, produisent le temps ci savoir le jour, et ainsi des autres. Et en appliquant ce temps, comme nous l’avons dit, à toutes les choses successives, nous constatons leur durée dans la succession. On voit donc de quelle manière le temps est le nombre du mouvement suivant l’antériorité et la postériorité. Il faut observer, qu’ainsi que nous l’avons dit, comme le temps est subjectivement dans le mouvement du premier mobile, de même que la passion dans son sujet, nous disons de certaines choses qu’elles sont dans le tem suivant qu’elles sont dans ce n C’est pourquoi il saut considérer dans le mouvement le mobile et l’indivisible du mouvement, qui s’a changement, et qui est au mouvement comme le point est à la ligne; et comme dans toute partie de la ligne il faut imaginer un point, de même dans chaque partie du mouvement il faut considérer une mutation; car tout mouvement terminable se termine à la mutation, comme à un terme intérieur, comme la ligne au point. D’où il résulte que le temps répond à ce mouvement de deux manières, comme sa passion, puisqu’il en est la succession, et comme sa mesure. Car le temps ne mesure pas seulement les autres mouvements, il mesure encore les parties du mouvement du premier mobile. Nous di sons, en effet, qu’une révolution s’est opérée en un jour. Quant à la mutation d’être qui est l’indivisible dans le mouvement, ce qui lui répond c’est dans le temps le présent qui est l’indivisible du temps, ou le même en réalité, quoiqu’il pût y avoir une différence de raison, et dans tout temps il faut noter le présent, et si le temps avait un terme, il se terminerait au présent. Voilà ce qui regarde le temps.

Chapitre VIII : Que la quantité ne reçoit ni le plus, ni le moins, et n’a pas de contrariété, mais une chose est dite égale ou inégale à une autre suivant l’être. modifier

Toutes les quantités ont cela de commun qu’elles ne reçoivent pas le plus et le moins, pas pins que la contrariété. Nous avons dit comment il faut l’entendre en parlant du prédicament de la substance. Or il faut savoir qu’Aristote, dans son livre des Prédicaments, fait une objection relativement à la grandeur et à la petitesse qui semblent être dans la quantité, et qui paraissent être contraires. Il répond d’a bord que la grandeur et la petitesse ne sont pas dans le genre de la quantité, bien qu’elles en soient des passions, mais dans le genre de la relation. Car une chose n’est pas appelée grande d’une manière absolue, autrement on ne dirait pas un grand arbre et une petite montagne, si ce n’est par rapport à un autre arbre ou à mie grande montagne. Il répond en second lieu qu’en accordant que le grand et le petit sont dans le genre de la quantité, ils ne seraient pas néanmoins contraires. Car la même chose ne pourrait pas être contraire à soi-même, et cependant une seule et même quantité est dite grande par rapport à une plus petite, et petite par rapport à une plus grande. Or le propre de la quantité est qu’une chose soit dite égale ou inégale par rap à elle. Pour comprendre cela, il faut savoir qu’une quantité peut se prendre de deux manières; d’abord pour la grandeur de la masse, en second lieu pour la grandeur de la perfection. Dans le premier sens elle appartient à ce prédicament, car c’est là la première et la plus connue acception de la quantité. Dans le second sens la quantité appartient aux transcendants, car elle se trouve dans plusieurs genres, comme le parfait. Nous disons, en effet, cet homme est un grand médecin, c’est-à-dire un médecin parfait, et c’est là une grande similitude; une chose est dite aussi égale ou inégale suivant la quantité prise dans les deux sens. Nous disons, en effet, que deux lignes Sont égales et deux blancheurs aussi, et parce que la quantité dans le premier sens est plus connue et plus propre. Dans le second sens elle est dite transumptivement, et c’est pourquoi l’égalité ou l’inégalité se disent proprement de la quantité dans le premier sens. Il faut observer que l’unité se convertit avec l’être, et ainsi tout ce qui est être est, un. Or la substance, la quantité, la qua lité étant des êtres, il faut que chacun d’eux soit un; et comme dans a substance, la quantité et la qualité, il peut y avoir plusieurs êtres, il peut donc y avoir en elles plusieurs choses, dont chacune est une, et qui présentent la multiplicité. Donc dans chacun de ces prédicaments il y a unité et multiplicité. Dans la substance c’est sur l’unité qu’est fondée la relation qui s’appelle identité, dans la quantité c’est la relation qui est appelée similitude, mais néanmoins d’une façon différente. Car l’unité se prend en trois sens différents, l’unité numérique, comme Socrate, Platon, chacun est effectivement numériquement un. L’unité d’espèce, comme Socrate et Platon sont un dans l’homme. L’unité de genre, comme l’homme et le cheval sont un dans l’animal. Or, l’identité qui est fondée sur l’unité dans la substance, n’est pas fondée sur l’unité dans le genre, ni dans l’espèce, mais bien dans le nombre, comme s’il y avait deux substances. Ce qui est un numériquement est identique à soi-même, dans le sens où nous prenons ici l’identité, quoiqu’on puisse le dire identique dans la substance et dans le genre; ce n’est pas néanmoins dans ce sens que nous venons de prendre l’identité. C’est pourquoi une semblable identité n’est pas une relation réelle, mais bien une relation de rai- son, comme on le dira plus loin. L’égalité et la similitude ne se fondent pas sur l’unité suivant le nombre, parce que rien n’est égal ou semblable à soi-même, mais elles se fondent sur l’unité suivant 1’espè parce que nous disons que deux lignes sont égales, et deux blancheurs semblables. Il faut observer que l’égalité et la similitude se prennent communément pour les deux fondements de l’égalité comme pour ses deux termes. En effet, l’égalité se rapporte à deux choses, à l’une fondamentalement, à l’autre comme terme, et vice versa; pour la similitude, elle est multiple dans les termes. Car il suffit à la similitude de la participation de la qualité suivant la même espèce. En effet, les choses qui sont blanches sont semblables, et celles qui participent à diverses qualités quant à l’espèce sont dissemblables, comme le blanc et le noir; il n’en est pas de même de l’égalité. Il ne suffit pas, en effet, pour l’égalité, qu’il y ait deux quantités de même espèce, autrement toutes les lignes, qui sont de même espèce, seraient égales, ce qui est néanmoins faux; il faut, au contraire, qu’il y ait deux quantités de même espèce avec l’exclusion d’une plus grande ou d’une plus petite, de telle sorte que l’une ne soit en aucune manière ni plus grande ni plus petite que l’autre. Mais l’inégalité ne se prend pas suivant les diverses espèces de quantités, comme on l’a dit de la similitude en quantité, mais bien dans les choses qui sont de la même espèce sans l’exclusion d’une plus grande ou d’une plus petite. On voit de cette manière ce que c’est que l’identité, l’égalité et la similitude. Il faut savoir que bien que la substance soit le fonde ment de l’identité, comme il a été dit, elle peut néanmoins se dire des autres prédicaments et se fonder sur eux. Nous disons, en effet, que cette blancheur est identique à elle-même, cette ligne identique à ellemême, c’est pourquoi ce n’est pas le propre de la substance que l’identité et la diversité se disent d’elle, puisque ces qualités conviennent aux autres prédicaments, quoiqu’ils conviennent principalement à la substance. La première propriété de la quantité est donc que l’égalité ou l’inégalité se disent d’elle, car on n’appelle égal ou inégal que ce qui est suivant elle; le propre, au contraire, de la qualité est que la similitude ou la dissemblance se disent suivant elle. Tel est le prédicament de la quantité.