Émile Pataud & Émile Pouget
Chap. III. — LA DÉCLARATION DE GRÈVE


Chapitre III

LA DÉCLARATION DE GRÈVE


L’éveil de Paris, le mardi, fut celui d’un paralytique. Non seulement l’engourdissement de la nuit continuait, mais il paraissait croître avec le jour. Le silence ne s’était pas dissipé avec les ténèbres. De la rue ne montait pas le bourdonnement accoutumé de bête énorme, symphonie des bruits divers qui, dès le matin, annonçait la reprise de l’activité.

L’arrêt du travail qui, la veille, n’avait été que spontané et s’était effectué au hasard des initiatives et des impulsions, se régularisait et se généralisait avec une méthode qui dénotait l’influence des décisions syndicales.

L’indignation populaire, qui était au paroxysme, allait contribuer à l’accélération du mouvement. Le peuple était imbu d’un si profond sentiment de pitié pour les victimes du Pouvoir et si intense était sa colère, contre lui et ses suppôts, qu’il se lançait dans la grève avec soulagement et satisfaction.

Cependant, les siens — plus que quiconque — seraient durement touchés par la crise. Outre l’inévitable disparition du gagne-pain qui, pour les prolétaires, était l’immédiate conséquence de la suspension du travail, la grève comportait pour eux toute une série d’ennuis et de calamités. Malgré tout, ils allaient à l’aventure, la joie au cœur, résolus à subir stoïquement les vicissitudes qui feraient cortège aux événements dont ils allaient être les acteurs principaux.


Les privilégiés voyaient poindre le conflit d’un œil moins serein. Nulle humeur combative ne les secouait, nul idéal ne les réconfortait. Ils ne songeaient qu’à jouir sans trouble. Or, ce qu’ils voyaient de plus clair dans la grève dont ils étaient menacés, c’était la perturbation qu’elle allait apporter dans leur existence, leurs habitudes, leurs plaisirs. D’ailleurs, sauf dans les cas où leurs intérêts particuliers étaient directement en jeu, ils avaient tendance à apprécier les conflits sociaux, non d’après leur importance réelle, mais d’après les inquiétudes ou les dérangements qu’ils leur occasionnaient. Pour eux, la grève d’un quarteron de musiciens, qui les privait d’une représentation théâtrale, ou celle de quelques douzaines de garçons d’écurie de courses, qui déséquilibrait leurs paris, prenait des proportions plus graves qu’une grève de dockers immobilisant le trafic d’un grand port.

On conçoit donc qu’ils fussent émus et effarés par la perspective d’une grève de tout !…

Cependant, au réveil, ils eurent une joie : les journaux avaient paru. Ils annonçaient bien qu’ils ne sachent s’ils pourraient reparaître demain, la grève n’étant plus, pour leur personnel ouvrier, qu’une question d’heures… qu’importait ! Ils avaient paru. C’était de bon augure.

Par contre, un spectacle les stupéfia, qui brouilla leur joie première : les becs de gaz de la rue flambaient tous comme avant minuit. La veille, avec un soin minutieux, les allumeurs avaient fait leurs rondes d’allumage. Après quoi, la conscience tranquille, ils avaient jugé superflu de procéder à l’opération d’extinction et avaient dormi leur nuit pleine.

Et combien nombreux, outre cela, les sujets de désarroi et d’étonnement. Et chacun prenait les choses selon son humeur : les uns s’émouvaient de la gravité et du tragique des événements ; les autres s’en moquaient.


Le métro ne fonctionnait plus. Il était pourtant desservi par un personnel considéré de tout repos. Les révolutionnaires, avec une ironie amère, prétendaient que les risques de maladie qui y étaient considérables (la tuberculose faisait d’effrayants ravages dans le tunnel) contribuaient, avec la modicité des salaires, à. rendre ce personnel souple et docile. Un syndicat jaune, constitué avec l’agrément de la compagnie, fonctionnait quasi-seul. Le syndicat rouge n’était qu’un squelette. Cependant, le métro ne fonctionnait pas !

Au matin, quand le personnel fidèle avait voulu mettre les trains en service, il ne l’avait pu, faute de courant. Les heures de la nuit avaient été mises, à profit pour une efficace opération de déboulonnage et la force électrique ne coulait plus dans les câbles. D’ailleurs, les usines génératrices étaient en sommeil. Lorsque leurs équipes de jaunes avaient voulu mettre en route les puissantes dynamos, on avait constaté un considérable sabotage : il y avait de la poudre d’émeri dans les paliers ; on avait déconnecté certains appareils, d’autres avaient été mis en court-circuit…

Il avait été si efficacement opéré que la mise en fonctions des dynamos était, sinon impossible, du moins passablement dangereuse pour qui la tenterait. On ne l’essaya pas et on se préoccupa uniquement de réparer les dégâts.

Les tramways, ainsi que les autobus, ne circulaient pas. Dans la nuit, le syndicat avait tenu, en plusieurs quartiers, des réunions, au cours desquelles la suspension immédiate du travail avait été décidée. Aussi, aux dépôts, d’où s’effectuaient les premiers départs, rares furent les employés. Par contre, une foule animée stationnait aux portes, disposée à entraver la sortie des voitures, au cas où quelques faux frères eussent voulu travailler quand même.

La trotte désordonnée et cahoteuse des voitures de laitiers, que rythmait le brimbalement des pots à lait, n’avait pas, à l’heure grise qui précède le jour, secoué le pavé des rues. La veille, le syndicat en avait convenu ainsi, de sorte que, ni les employés des compagnies trusteuses, ni ceux des patrons isolés n’étaient montés sur leurs sièges.

D’autre part, les quartiers aristocratiques et commerçants bénéficiaient d’un boycottage désagréable et malodorant : sur les trottoirs, les poubelles étalaient le trop plein de leurs détritus. Au contraire, dans les quartiers ouvriers et populeux, les boueux avaient, comme de coutume, procédé à l’enlevage des ordures ménagères.

Le choix des quartiers sur lesquels allait peser plus durement la grève, les charretiers des tombereaux de la voirie n’étaient pas seuls à le pratiquer. Dans les mêmes parages, les balayeurs municipaux s’étaient abstenus de nettoyer rues et boulevards, ainsi que d’y procéder à l’arrosage quotidien.

Dans nombre de corporations, d’identiques mesures de boycottage avaient été prises.

Les travailleurs prouvaient ainsi qu’ils savaient allier à une nette conscience des nécessités de la lutte de classes, le doigté compatible avec les circonstances.

La grève générale avait pour but de mettre en valeur la puissance d’action dissolvante de la classe ouvrière et, outre cette manifestation morale, d’atteindre matériellement ses adversaires, de les frapper dans leurs besoins et dans leurs plaisirs.

En tenant compte de l’enchevêtrement social, il était difficile aux travailleurs de porter des coups à leurs ennemis, sans se frapper eux-mêmes par ricochets ; ils se résolvaient, de gaieté de cœur, à cette fatalité. Cependant, ils n’avaient pas scrupule de s’éviter cette répercussion, lorsqu’ils le pouvaient, sans mettre en péril le principe de la grève générale. À ce mobile obéissaient les travailleurs qui, par cordiale camaraderie (tels les boueux et les balayeurs des rues) s’efforçaient d’atténuer, dans les quartiers ouvriers, les inconvénients de l’arrêt du travail.

Cette clairvoyance de l’accord nécessaire entre frères de classe, jaillissant en plein conflit, était un symptôme de l’orientation qu’allait prendre la grève générale : à sa phase, d’abord purement dissolvante et unilatérale, allait succéder une phase de solidarité effective, de reconstitution sociale.


Pour l’instant, la portée du conflit, encore à son début, résidait dans la démonstration de la toute-puissance de la classe ouvrière, manifestée par un acte négatif : l’immobilité, succédant à l’inlassable activité.

Et cette immobilité gagnait de proche en proche !

Aux boulangeries, le pain manquait en partie. Les ouvriers avaient, en proportions considérables, abandonné le travail. Les patrons, s’ingéniant à les suppléer, avaient mis la main à la pâte. Seulement, en bien des fournils, les mitrons, — qui avaient la pratique des grèves, — avaient pris la précaution, avant de se retirer, de rendre les fours momentanément inutilisables. Et ce, sans les détériorer, sans y jeter de produits nocifs. De ce fait, quantité de boulangers se trouvaient dans un complet embarras.

Aux boucheries, la disette de viande n’était pas encore sensible. La grève ne s’y constatait que par une pénurie de personnel, nombre de garçons bouchers ayant déposé le tablier.

Aux épiceries, aux grands bazars d’alimentation, même marasme : un personnel restreint assurait le service.

Aux Halles, l’encombrement de la matinée n’avait pas eu la densité habituelle. Il y avait eu du calme, au lieu des bousculades et du tohu-bohu journalier. Les maraîchers des environs, redoutant des incidents, ne s’étaient guère aventurés. La plupart avaient préféré s’abstenir du voyage. Aussi, n’eussent été les expéditions de province, qui affluaient encore, le marché eut eu piètre physionomie.

Cette insuffisance eut sa répercussion en tous les quartiers ; les marchands de primeurs, de légumes, de victuailles furent chichement approvisionnés.


Ainsi, dès le premier jour de grève, un resserrement symptomatique affectait l’essentiel trafic, le commerce de l’alimentation. Et comme la question du ventre primait toutes les autres, ce signe avant-coureur d’une possible disette ne pouvait que sur-exciter les inquiétudes, accroître les angoisses.

Cette perturbation, qui se révélait alors que le geste d’inertie de la classe ouvrière s’esquissait à peine, était une probante affirmation de sa force. Le prolétariat était donc bien le grand metteur en œuvre de la Société : il était le bœuf qui, la tête prise au joug, toujours courbée vers la terre, avait sans fin ni trêve creusé le dur sillon, le fécondant de sa sueur.

Et voici que le bœuf, las de trimer sous l’aiguillon, s’arc-boutait sur la terre fraîche et, relevant le front, sondait l’avenir. Qu’allait-il en découler ? Après avoir prouvé qu’il est le rude et bon ouvrier social, que sans lui, du champ ne sortiraient que ronces et épines, que sans lui rien n’est rien, allait-il avoir l’audace de vouloir être tout ?

Pour l’heure, il s’en tenait à la résistance passive.

Dans les quartiers industrieux, aux faubourgs et aussi aux banlieues, les ateliers étaient déserts et, au-dessus des usines, les hautes cheminées ne crachaient plus leurs volutes noires.

Dans le Marais, le faubourg du Temple et les parages avoisinants, où foisonnaient les industries d’art et les cent métiers d’articles de Paris, — rappelant la vieille artisannerie, — les ateliers de ciseleurs, bijoutiers, maroquiniers, monteurs en bronze, etc., étaient vides. Vides aussi, dans les rues et les cités fourmillantes qui bordaient le faubourg Antoine, les ateliers d’ébénisterie.

Au quartier Saint-Marcel, aux bords de la Bièvre, les ouvriers travaillant les peaux avaient abandonné le travail. De même, à la Glacière, les ouvriers des fabriques de chaussures, des. fonderies, etc.

À Pantin, à Aubervilliers, les usines des produits chimiques, les savonneries, la manufacture d’allumettes, chômaient. Pareillement, à Saint-Denis, les chantiers de construction et les cinquante autres bagnes industriels, où s’étiolait une population immigrée de Bretagne ou d’ailleurs. À Ivry, à Batignolles, les ouvriers des forges se reposaient ; de même à Boulogne, à Arcueil, les blanchisseurs ; de même, à Levallois, à Puteaux, les ouvriers de l’automobile…

Partout ! Partout ! Sur tous les chantiers, dans toutes les usines, dans tous les ateliers, l’arrêt du travail succédait à la fièvre de production.

Les ouvriers se croisaient les bras, — simplement !

Cependant, cette unanime suspension du travail ne s’était pas, sur tous les points, réalisée avec la spontanéité désirable. Il y avait eu besoin, à maintes reprises, de prendre le contre-pied du compelle intrare de l’Evangile : au lieu de forcer à entrer ceux qui s’y refusaient, il avait fallu pousser les récalcitrants vers la porte, — les forcer à sortir.

L’opération s’effectuait avec mansuétude. Les syndicats avaient mobilisé des délégués, ayant mission de s’assurer que la décision de grève était généralement mise à exécution. Ces camarades servaient de centre de jonction à des cohortes de grévistes, qui zigzaguaient de quartiers en quartiers, passant en revue usines et ateliers et s’assurant que l’arrêt y était complet.

Là où le travail n’était pas suspendu, les manifestants entraient d’assaut. Tout d’abord, ils faisaient tomber les courroies, tournaient les commutateurs, lâchaient la vapeur, éteignaient les feux… Ces précautions préliminaires accomplies, ils expliquaient aux inconscients continuant à trimer combien leur acte était antisocial ; leur faisaient honte de manquer ainsi à la solidarité que se doivent entre eux les travailleurs ; s’efforçaient à leur faire comprendre qu’ils se portaient tort à eux-mêmes, qu’ils pâtiraient de cette trahison. Puis, en conclusion à ce bref cours de morale syndicale : « Ouste ! tout le monde dehors !… »

Parfois, les débaucheurs se buttaient à une tentative de résistance : des contre-maîtres zélés, des patrons entichés de leurs prérogatives, voire des ouvriers routiniers et inconscients s’interposaient, cherchant à refouler les grévistes, à les empêcher de pénétrer. Il en résultait des bourrades, des bousculades, des bagarres. Alors, si l’un des champions de l’ordre exhibait un revolver, menaçait les envahisseurs, il était tôt mis hors d’état de nuire ; l’arme lui était arrachée des mains et il lui était donné le conseil de ne pas récidiver.

Néanmoins, si quelques-uns de ces incidents tournèrent au tragique, ce fut le petit nombre, même lorsque les patrons s’avisèrent de faire appel à la protection des autorités. Celles-ci étaient harcelées de demandes de secours ; elles ne savaient qui entendre, à qui promettre appui, ne pouvant, sur cent points divers également menacés, envoyer des agents ou des troupes.

Les préalables mesures de protection se trouvaient insuffisantes et inefficaces. Des patrouilles à cheval sillonnaient bien les rues, des postes de troupes étaient bien installés aux endroits stratégiques, — mais les débaucheurs qui, tel un élément déchaîné, passaient en trombe, ne fonçaient pas droit devant eux, en aveugles ; ils savaient éviter les embuscades, se détourner des patrouilles. Au moment propice, ils se repliaient, obliquaient à droite ou à gauche, — au besoin s’égrenaient, pour se reformer en arrière ; ils ne tenaient pas tête à la force armée, lâchaient pied devant elle, se refusaient à la bataille… et allaient opérer plus loin.

À ce jeu, les troupes gouvernementales s’énervaient et s’épuisaient. Elles étaient d’autant plus harassées par les marches et contre-marches, inutiles et vaines, qui leur étaient imposées, que dans la plupart des cas, elles arrivaient après coup au point qu’elles avaient ordre de défendre, — n’ayant que la déception de constater les traces du passage des grévistes.

Ces derniers avaient pour eux la supériorité de l’initiative et de la spontanéité ; ils savaient apporter à leurs agissements l’impromptu favorable au succès.

Point de répétition monotone et de gestes toujours identiques ! Ainsi, pour varier leurs opérations, ils ne se faisaient pas scrupule, au sortir d’une usine, de s’aiguiller vers un bazar ou un magasin de nouveautés.

Ils y faisaient irruption par toutes les entrées à la fois ; ils farandolaient au travers des galeries, refoulant devant eux les employés encore au travail. Leur irrespect pour les marchandises étalées était si complet que, par crainte de plus appréciables dégâts, les directeurs s’empressaient de rendre la liberté au personnel et donnaient, en hâte, les ordres pour que rapidement soient baissées les devantures.

Et ces foules d’ouvriers, d’employés, ainsi lâchés dans Paris, y apportaient un regain de fermentation.

Tandis que les uns, d’esprit timoré, casanier, se garaient de la cohue et regagnaient leurs demeures, d’autres se mettaient au diapason : ils se mêlaient aux grévistes, aux manifestants, d’abord par simple curiosité ; puis, entraînés, gagnés par la fièvre de la rue, ils n’étaient pas les moins ardents, faisaient chorus avec les camarades.


Entre les spectacles divers que la grande ville offrit ce jour-là, — spectacles où la comédie s’amalgamait au drame, — il en fut un qui ne manquait pas de couleur. Il eut pour scène, entre midi et une heure, les rues qui s’éparpillent de la Madeleine à l’Opéra.

Tandis que les banques et les maisons de commerces de luxe, qui pullulent dans ces quartiers, avaient jugé prudent de ne pas ouvrir leurs portes, les maisons de couture et de mode, qui y foisonnent aussi, avaient exigé que leur personnel vînt au travail.

À l’heure du repas, les ouvrières, craintives un peu, mais fort curieuses du tableau de la rue, descendirent de leurs ateliers, s’enhardissant mutuellement. Les restaurants, d’habitude extrêmement animés, où dominait la gaieté, où fusaient les rires, étaient presque déserts, à demi silencieux ; les conversations y bruissaient en sourdine, et le service, très incomplet, était restreint, insuffisant.

Le moment fut jugé propice par les grévistes de la couture, — des tailleurs principalement, — pour amener à faire cause commune avec eux l’ensemble des ouvriers.

Dans la matinée, leurs tentatives dans ces parages avaient échoué, — le déploiement des forces policières et militaires qui, de la rue de la Paix au boulevard Malesherbes, était fort compact, y mettant obstacle. Maintenant, ces grévistes, très au courant des habitudes du quartier, utilisaient les minutes de flânerie précédant la rentrée aux ateliers. Ils se mêlaient aux groupes d’ouvrières, les endoctrinaient et les amenaient à crier : « Vive la grève ! »

Les autorités s’effarèrent de ces clameurs, mi-frondeuses, mi-goguenardes. Elles voulurent les réfréner.

Mal leur en prit ! Ce qui n’était, de prime abord, qu’amusette vira au sérieux. En peu de temps, la rue de la Paix grouilla d’une foule, en grande partie féminine et qui, narquoise et furieuse, ne voulait pas reprendre le travail.

Contre cette foule, plus exubérante que belliqueuse, qui, en fait d’armes, n’aurait pu brandir que de légers parapluies, les officiers de police eurent la maladroite imprudence d’user de violences : ils la firent charger par leurs agents, poings en avant. Les hommes firent front à l’attaque, protégeant les femmes, le mieux qu’ils purent. Ils n’y parvinrent qu’en partie.

Ce fut une mêlée sauvage ! Des femmes, des jeunes filles roulaient à terre, brutalisées, piétinées ; d’autres, apeurées et affolées par la charge, en subissaient un contre-coup nerveux et moral qui les rendait malades de terreur. Ce n’était que cris d’angoisse, de détresse et de douleur !

De la rue de la Paix, la panique se propagea aux rues avoisinantes. Une rumeur domina tout, suscitant l’indignation de tous : l’assommade des femmes par les sergents de ville.

Il n’en fallut pas davantage pour que les ateliers où le travail continuait encore se vidassent en tumulte, — malgré les patrons, qui voulaient garder leur monde et tentaient de fermer les portes pour empêcher la sortie.

Les ouvrières, énervées et encolérées, se dispersèrent comme une volée de moineaux, s’éparpillèrent dans leurs quartiers respectifs.

Le récit des événements dont elles avaient été les héroïnes et les victimes ajouta un grief nouveau aux motifs de surexcitation.


Ainsi, la fermentation empirait, non seulement du fait de la grève, — accélérée par le tourbillonnement des manifestants, — mais encore du fait des mesures gouvernementales pour enrayer la crise.

Tout concourait donc à donner à Paris l’aspect d’une cité en révolte et les pulsations de son vaste organisme de travail et de circulation se ralentissaient, se rapprochant de plus en plus de l’arrêt total.