La Cie d’imprimerie et de gravures Bishop (p. 151-155).


XXXIII


Sur un carré de terrain derrière l’étable, les moineaux, les petits moineaux qui font pit… pit-pit, s’abattaient par bandes tourbillonnantes. Ils venaient picorer dans la neige blanche, dans la balle répandue qu’ils éparpillaient très vite, très vite, de leurs pattes rapides, les grains d’avoine échappés au crible.

P’tit Louis avait remarqué qu’il y en avait toujours en grand nombre, des vieux papas moineaux qui criaient fort, faisaient la loi à d’autres plus petits qui devaient être des fils moineaux, et il était accouru, sa « lignette » à la main…

— Non. plus loin, lui disait Claude… à gauche, un peu… c’est là qu’ils viennent le plus… Bon, mets un peu de paille et de balle.

— Ça vit ça, des moineaux, hein, Claude ?… Si je pouvais en attraper… va…

… Depuis si longtemps qu’il machinait toutes espèces de filets, p’tit Louis, qu’il travaillait à fabriquer des lignettes qui n’étaient jamais à son goût… Au fond il n’y avait rien de très compliqué dans la construction… un cercle de tonneau quelconque, des ficelles entrecroisées, des crins de cheval ajustés en nœuds coulants pour emprisonner traîtreusement les pattes ou les têtes d’oiseau. Mais il y avait toujours des nœuds qui fonctionnaient mal et qu’il fallait sans cesse remplacer.

Enfin, un bon matin de février, il avait terminé avec succès sa colossale entreprise et c’était ce jour-là qu’il était accouru.

Claude lui-même, presque redevenu enfant aussi sous le regard ravi de p’tit Louis, s’intéressait à ses jeux, lui donnait des conseils, l’aidait.

Il s’en souvenait alors comme d’hier, de ses douces années d’enfance où à son tour, il avait tendu des lignettes aux moineaux et aux grives, changé comme lui bien des nœuds qui glissaient mal, arraché bien des crins de la queue des vieux chevaux tranquilles…

… Tout d’abord, ils s’étaient tous enfuis au loin, les petits moineaux, à d’autres tas de paille, à d’autres amas de balle, et, p’tit Louis qui les guettait par la fenêtre, se lamentait… Il aurait dû y jeter un peu de grains, mieux enfoncer le cercle de sa lignette dans la neige, mettre moins de paille… Il était certain qu’ils ne reviendraient plus… les oiseaux, ça sent ça…

Tout à coup, parti de l’âme, un cri d’allégresse enfantine, un cri qui haletait : En v’là…

En effet ils s’approchaient en voletant par trois, par quatre, par dix, par cents… on ne voyait plus ni la paille, ni la neige, ni la lignette, rien que des moineaux gris qui s’en venaient tout naïvement, tout gaiement, à ailes tendues, immoler leur liberté si douce.

Et pourtant, en face de ces pauvres petits, pour qui ça n’allait pas assez vite de marcher à leur perte, qui se hâtaient d’y voler, il venait à un autre petit, pas méchant toutefois, des envies de pleurer tant il avait peur, lui, de les voir s’échapper. Toujours le bonheur de l’un qui germe du malheur de l’autre ; toujours le rire d’autant plus doux que les larmes qui l’ont provoqué ont été plus amères… C’est bien là la vie ; et dire qu’il y en a tant qui trouvent ça beau.

Mais oui, va, ris donc, p’tit Louis, toi qui ne pénètres pas encore au fond de ces vilaines choses ; il sera toujours assez tôt de pleurer. Car vois-tu, Claude ne rit déjà plus, lui ; en y songeant, il vient de comprendre de quelle profonde tristesse chez ces petits oiseaux sera faite ta si grande joie.

… Ils étaient restés quatre emprisonnés dans le frêle filet et les autres qui étaient de leurs amis, de leurs cousins, de leurs frères, de leurs pères peut-être même, s’étaient sauvés ; tout probablement qu’ils se trouvaient heureux en eux-mêmes d’avoir échappé par bonheur, et sans plus se soucier de l’infortune de leurs compagnons, ils continuaient plus loin leurs gais pit… pit… C’était bien comme dans la vie… Allons, ris donc, p’tit Louis.

Et p’tit Louis riait, riait, oh ! oui ; il courait de toute la force de ses jambes à travers la neige blanche.

… Dans une petite cage, il les avait déposés un par un, après leur avoir très doucement, avec mille précautions. dégagé les pattes, la tête, des crins noués autour.

Puis c’était une joie sans pareille, un ravissement que de revenir les montrer à Claude… Tiens, regarde, Claude, celui-ci était pris comme ça, par la patte… celui-là, le gros au fond, par la tête…

Mais ceux-ci ne chantaient plus, ne faisaient plus pit… pit… Ils se tenaient blottis, les plumes hérissées, tout tristes, l’air pitoyable. De temps en temps, dans leur brusque désir de s’échapper, ils se mettaient à se débattre follement, se cognaient rudement aux barreaux de la cage ; des fois ils se tenaient suspendus au plafond par les grilles, en haletant très vite, ce qui secouait toutes leurs plumes grises.

Il y avait déjà quelque chose de profondément navrant dans cette détresse…

… Veux-tu, p’tit Louis, disait maintenant Claude, nous allons les relâcher ?

— Les relâcher ?… moi qui voulais les garder toujours.

— Oh ! mais c’est qu’ils vont mourir.

— Ils vont mourir ?… Vrai ? Ça ne vit donc pas dans une cage des moineaux…

— Non, ça ne vit pas… Veux-tu, nous leur donnerons leur liberté ?… Ouvre la porte, tu vas voir comme ils vont être heureux…

— Bien vrai que ça ne vit pas, Claude ?… Et p’tit Louis retenait un sanglot dans sa voix… Son bonheur qui s’évanouissait si vite.

— Bien vrai… Puis c’est mal ce que tu as fait là… Regarde comme ils sont tristes, les pauvres…

Alors avec une douce et tendre résignation :

— C’est bon… ouvre-la toi, la porte…

… Et ils s’étaient envolés dans un éclair, les moineaux gris ; déjà retournés, là-bas, à la neige et au grand air, de toute la rapidité de leurs ailes…

Ça, par exemple, p’tit Louis, ce n’est pas comme dans la vie ce que tu viens de faire là…