Claire d’Albe (Ménard, 1823)/Lettre 31

Ménard et Desène fils (Œuvres complètes. 1p. 266-267).


LETTRE XXXI.


FRÉDÉRIC À CLAIRE.


J’ai lu votre lettre, et la vérité, la cruelle vérité, a détruit les prestiges enchanteurs dont je me berçais ; les tortures de l’enfer sont dans mon cœur, l’abîme du désespoir s’est ouvert devant moi : Claire ordonne que je m’y précipite, je partirai.

Ce sacrifice, que la vertu ne m’eût jamais fait faire, et que vous seule pouviez obtenir de moi, ce sacrifice auquel nul autre ne peut être comparé, puisqu’il n’y a qu’une Claire au monde, et qu’un cœur comme le mien pour l’aimer, ce sacrifice, dont je ne peux moi-même mesurer l’étendue, quel que soit le mal qu’il me cause, je te jure, ô ma Claire ! de ne jamais attenter à des jours qui te sont consacrés et qui t’appartiennent ; mais si la douleur, plus forte que mon courage, dessèche les sources de ma vie, me fait succomber sous le poids de ton absence, promets-moi, Claire, de me pardonner ma mort, et de ne point haïr ma mémoire. Sois sûre que l’infortuné qui t’adore eût préféré t’obéir, en se dévouant à des tourmens éternels et inouïs, que de descendre dans la paix du tombeau que tu lui refuses.