Cléopâtre (Benserade)/Acte quatrième
ACTE Quatrieme.
Scène I.
’eleve qui s’abaiſſ e, & quoy qu’on ſe propoſe
Devant moy l’on n’eſt rien pour eſt re quelque choſe :
Vous voyans en état d’obtenir un pardon
Ma generoſité vous accorde ce don.
Je ne m’emporte point à la vangeance prompte,
Je me regle aux humeurs de celuy que je domte,
Je prens ſur le vaincu l’exemple que je ſuy,
Et s’il eſt fier, ou doux, Ceſar l’eſt comme luy :
Je ne deſire point d’enſanglanter ma gloire,
Des vaincus à genoux honorent ma victoire,
Mon courage eſt content de la honte qu’ils ont,
Et leur ſang me plaiſt moins à ce fer qu’à leur front.
Quand des plus factieux je rends les eſprits calmes,
Ce n’eſt point leur trépas qui me couvre de palmes,
C’eſt leur confuſion à qui je doy ce bien,
Et quand leur front rougit, il couronne le mien.
Vivez, je ſuis fâché qu’Antoine votre maiſtre
Ait eſté généreux pour m’empeſcher de l’eſtre,
Ma plus belle vertu perd ſon luſtre en ſa mort,
Son bras deſeſperé le tuant m’a fait tort,
J’euſſe par ſon bonheur chaſtié ſon offence,
Et je plains ſon trépas qui l’oſte à ma clemence,
J’euſse été ſatisfait de l’avoir convaincu,
Et le parent m’eût fait oublier le vaincu.
Mais il s’eſt fait mourir avec ſes propres armes,
Sa derniere infortune eſt digne de nos larmes,
Je plains ſon deſeſpoir qui la mis à ce point,
Et j’ay pitié de luy parce qu’il n’en eût point.
Levez vous, mes amis, viſitez voſtre Reine,
Elle ſouffre beaucoup, adouciſſez ſa peine,
Qu’elle vive en repos, qu’elle ne craigne rien,
Et par vost re bonheur qu’elle juge du ſi en.
Je luy viens d’envoyer le ſage Proculée,
Afin que de ma part elle ſoit conſolée,
Et qu’il la perſuade à ſortir des tombeaux
Où toujours ſa trist eſſ e à des objets nouveaux,
Quelle ait toujours les droits d’une grande Princeſſ e,
Que ſon ennuy ſe paſſ e, & que ſa crainte ceſſ e,
Bref qu’elle eſp ere tout d’un vainqueur indulgent,
Elle eſt Reine, & Ceſar triomphe en l’obligeant.
Redoutable Empereur, noſt re ville eſt ravie,
Et vous prenez nos cœurs en nous donnant la vie,
Trop heureux, ſi le Ciel nous avoit dest inez
A perdre en vous ſervant ce que vous nous donnez.
Scène II.
aut-il gouſt er ſi peu le fruict d’une victoire,
Et pour cacher leur honte obſcurcir voſt re gloire ?
Un cœur eſt bien peu fort quand la pitié le fend,
Vous eſtes donc ſenſible au ſoucy de leur honte,
Et quand vous ſurmontés, cét lors qu’on vous ſurmonte ?
„ La victoire en ſon prix ne ſe doit refuſer,
„ Et qui ſçait l’aquerir doit ſçavoir en uſer :
Ce n’eſt pas la raiſon que des ſoupirs, des larmes,
Interrompent le cours de l’honneur de vos armes,
Il faut eſtre inflexible, & c’est un grand abus
De faire ſes vainqueurs de ceux qu’on a vaincus ;
„ Qui voyant l’ennemy dont il a la victoire
„ A pitié de ſa honte, eſt cruel à ſa gloire,
Et ſi ce mouvement ne s’altere, ô Ceſar !
Rome en verra bien peu derriere vostre char.
Dequoy m’acuſes-tu ?
„ Aux grands cette vertu nuit dans ſon abondance,
„ Etouffe la juſtice en un ſevere cœur,
„ Oblige le vaincu, mais fait tort au vainqueur,
„ Cette lâche vertu n’en peut ſouffrir aucune,
Et vous en cachez cent pour n’en faire voir qu’une,
Par elle vous quittez le prix de vos combas,
Vous ne châtiez point, vous ne triomphez pas :
Antoine librement s’eſt privé d’une vie
Qu’avoit à vo{ligat|s|t}}re honneur la fortune aſſervie,
Et ſe voyant forcé de vous ſuivre aujourduy,
Il ne la pu ſouffrir, ny vous non plus que luy,
De ſorte que pour voir ce triomphe equitable,
L’un fut trop genereux, l’autre eſt trop pitoyable.
Uſez de ce qui reste, & pour vostre bonheur
Dans Rome promenez leur honte, & voſtre honneur.
Estimes-tu Ceſar ſi peu jaloux de gloire
Qu’il refuſaſt le prix d’une telle victoire ?
Je ſerois ennemy de mon contentement,
Non, non, je flatte ainſi pour vaincre doublement,
Je les mène en triomphe avecque moins de pompe,
Mon bras les a ſoûmis, ma clémence les trompe,
Et déja le vaincu par un trait ſans égal
Honore ma fortune, & ne ſent pas ſon mal,
Je mets tant d’artifice à déguiſer ſa peine
Que meſme il ſe croit libre alors que je l’enchâine,
Je fay que tous ſes maux lui paſſent pour des biens,
Et pour mieux l’éblouir je dore ſes liens.
Ce noble st ratageme, & cette douce amorce
Font voir que voſt re eſp rit égalle voſt re force,
Et qu’on eſt temeraire en un degré pareil,
Ou tenant contre vous, ou vous donnant conſeil.
ct oire,
Je perdois Cleopatre, & le prix de ma gloire,
Car luy donnant avis de ſa captivité,
Rome n’eut jamais veu q’uy j’avois ſurmonté ;
Que ſert de l’avertir, quand ſa fortune change,
De l’eſt at miſérable où ſon deſt in la range ?
C’est vainement pour nous irriter ſa douleur,
„ Quiconque eſt malheureux ſçait aßez ſon malheur,
„ Le ſort eſt recognu de ceux qu’il perſecute,
„ Et qui tombe d’un thrône en reſſ ent bien la chute.
Je veux traiter la Reine avec un grand honneur,
Je veux que ſa miſère ait face de bonheur,
Qu’on la reſp ecte ailleurs comme dans ſa patrie,
Et qu’elle trouve à Rome une autre Alexandrie,
Le reſp ect ſera tel quand on l’y recevra,
Qu’elle croira mener le char qu’elle ſuivra,
C’eſt comme il faut traiter ceux qui ſont dans ce gouffre,
Le vainqueur eſt content ſans que le vaincu ſouffre,
Un ſemblable triomphe eſt digne de nos ſoins,
Et pour estre ſecret il n’éclate pas moins.
J’en veux faire un ſpectacle aux yeux de mes armées,
Tandis je la repais de ces vaines fumées,
Titre, honneur, dignité, couronne, ſceptre, bien,
Et je luy laiſſe tout pour ne luy laiſſer rien.
Ainſi de belles fleurs l’hostie eſt couronnée,
Alors qu’au ſacrifice en pompe elle eſt menée,
Ainſi la main qui prend les ſens en trahiſon
Dans une coupe d’or preſente le poiſon.
Mais quel homme s’avance ? On void ſur ſon viſage
Des ſignes évidents d’un ſiniſtre meſſage,
Ses ſoûpirs ſont témoins d’un regret violent.
Il porte, ce me ſemble, un coutelas ſanglant.
Dieux c’eſt celuy d’Antoine, ha funeſte ſpectacle !
Que la conſtance icy trouve un puiſſant obſtacle,
Je ne puis m’empeſcher de plaindre ſes malheurs,
Ce ſang d’un rocher meſme attireroit des pleurs,
Ce trist e objet me donne une ſenſi ble atteinte,
Et change en verité ce qui n’eſt oit que feinte.
Scène III.
oila cet ennemy de nost re commun bien,
L’homicide cruel de ſon maiſt re, & du mien,
Ce ſang, ce coutelas d’une mort lamentable,
La marque trop certaine, & l’auteur deteſt able,
L’inhumain à vos yeux ſe monſt re ſans beſoin,
Et ſert contre ſoy-meſme à vos yeux de témoin.
Objet triſt e, & funeſt e ! Ici je le confeſſ e,
Mon cœur ne peut cacher la douleur qui le preſſ e,
Je verſerois des pleurs, mais mon œil le peut,
La honte l’en empeſche, & la pitié le veut,
Antoine eſt deplorable, ha forçons toute honte !
Je l’ay vaincu vivant, & mort il me ſurmonte.
Soldat, contente nous d’un funest e recit,
Sçachons comme il eſt mort, dis nous ce qu’il a dit.
Je n’ay ſceu l’accident que par la voix commune
Qui ne penetre pas une telle infortune.
Sans hommes, ſans vaiſſ eaux, ſans armes, & ſans biens,
Attaqué par vos gens, & trahy par les ſi ens
Antoine retourné dans la ville aſſ ervie
Conſultoit les moyens de s’arracher la vie,
Quand un homme ſurvint au fort de ſes malheurs
Du trépas de la Reine augmenter ſes douleurs,
Ce rapport le ſaiſi t avec violence,
Et ſon étonnement ſe voit dans ſon ſilence,
Il marche, puis s’arreſt e, & refaiſant un pas
Il pallit, veut pleurer, mais il ne pleure pas :
Nous autres gemiſſ ons, ſa conſt ance reſiſt e,
Et de toute la troupe il paroiſt le moins triſt e.
Je m’est onnois, dit-il, que le Ciel rigoureux
Me laiſſ aſt Cleopatre, & me fit malheureux,
Mais quoy qu’à nos amours il ſe monſt re barbare,
La mort nous rejoindra puis qu’elle nous ſepare,
Si ce n’eſt mon honneur du moins ceſt mon repos,
Je te ſuivray, mon cœur, ce ſont ſes propres mots ;
Voulant mal à ſes jours, il veut du bien aux noſt res,
Il nous embraße tous les uns apres les autres,
Nous conjure eſt ant preſt de ſubir le trépas
De ne le plaindre point, puiſqu’il ne s’en plaint pas.
La pitié de ſon mal nous oſt ant la parole
Le rend plus eloquent, luy-meſme il nous conſole
Se voyant ſur le point de nous abandonner,
Et l’on reçoit de luy ce qu’on luy doit donner.
Il nous eut fait des dons, mais de cette fortune
Qu’avec vous, ô Ceſar il eut jadis commune,
Il ne luy reſtoit pas dans ſes ſoins obligeans
Dequoy recompenſer le moindre de ſes gens.
Je ne vous donne rien, & le ſort m’en diſp ense,
Il a, dit il, mes biens, & voſt re recompenſe.
Là deſſ us il nous quitte, & court tout furieux,
Nous laiſſ ant le cœur triſt e, & les larmes aux yeux,
S’enferme avec Eros qui luy fut ſi fidelle
Au lieu le plus ſecret que ſon palais recelle,
Et là ce qui s’eſt fait a du Ciel est é veu,
Je n’en parleray point, puis que vous l’avez ſceu ;
Le Soleil qui s’enfuit au repas de Tyeſt e
Regarde fixement un malheur ſi funeſt e,
Sans que d’un voile obſcur ſon œil ſoit aveuglé,
Et ſans ſe deſt ourner de ſon chemin reglé.
Là ce Prince à nos yeux ſe debat, & ſe roule
Dans un fleuve de ſang qui ſur la terre coule,
Et nous monstrant ſon corps d’un grand coup traversé,
Veut que nous achevions ce qu’il a commencé.
Mais nous l’avertiſſons que la Reine eſt vivante,
À ce mot ſa douleur ſe rend moins violente,
Il flatte ſa bleſsure, & ſe veut ſecourir,
Sçachant qu’elle reſpire, il ne veut plus mourir.
Enfin nous le portons au ſepulchre où la Reine
S’efforçoit d’abréger & ſa vie, & ſa peine.
Vous laiſſa t’elle entrer ?
Ses filles d’une corde attiroient ce fardeau,
La Reine meſme aidoit en ce vil exercice,
Ses delicates mains y faiſoient leur office,
Ses efforts étoient grands, on n’eût pas tiré mieux,
Et ſon front paroiſſoit mouillé comme ſes yeux.
Antoine ſuſpendant la douleur qui le bleſse
Pour y contribuer avecque ſa foibleſse
Tendoit ſes bras mourans, les roidoiſſoit expres,
Se ſoulevoit un peu, mais retomboit apres.
Son cœur aymoit encore ?
La bleſſ ure du corps n’avoit pas guary l’ame,
Ses yeux eſt oient ardents quand ils perdpient le jour,
Et la mort y laißoit une place à l’amour.
Enfin il eſt receu dans ce tombeau funest e,
Il perd là doucement la vigueur qui luy reſt e,
Là s’eſt imant heureux de revoir tant d’apas,
Il embraße la Reine, & meurt entre ſes bras.
À ce coup elle éclate, elle ſe deſeſp ere,
Sa main ſans Proculée achevoit ſa miſere,
Mais elle ſe remet, & ſon ſage conſeil
Aplique ſur ſon mal un premier apareil.
Par ſon commandement j’aporte cette épée
Au ſang d’un Empereur tout fraichement trempée.
Dy-luy qu’elle m’oblige, & que je plains ſon mal.
Scène IV.
ieux par ce triſte exemple où le malheur preſide,
La fortune me rend, & ſuperbe, & timide !
Antoine, je te plains, c’eſt l’orgueil, & l’amour
Qui t’ont ravy l’Empire, & te privent du jour :
Devant l’injuſte effort de ta haine ancienne,
Quand nous eſtions amis ma gloire eſtoit la tienne,
Tu partageois l’honneur que les mortels me font,
Et tes lauriers de meſme alloient juſqu’à mon front,
Nous eſtions compagnons d’une meſme fortune,
Rome ſe diviſoit, & n’estoit pourtant qu’une,
L’on ne diſtinguoit point Antoine de Ceſar,
Pour un double triomphe il ne falloit qu’un char :
Auſsi tout nous offroit des conqueſtes aiſees,
Auſsi nos legions n’eſtoient pas oppoſees,
Nos communes grandeurs n’avoient aucun deffaut,
Jamais l’Aigle Romain n’avoit vollé ſi haut.
Faut-il que cette épée aux ennemis fatale,
Qui ſe rendit fameuſe aux plaines de Pharſale,
Qui de tant de vaincus avoit borné les jours,
Des tiens par ta main propre ait retranché le cours ?
Ton ennemy te plaint, ouy Ceſar te deplore,
Rome te pleurera, quoy qu’elle ſaigne encore,
Le mal qu’elle a receu de ton ambition
Luy laiſſe encor pour toy de l’inclination.
Que vous ſert cette plainte injuſte autant que vaine ?
Entrons dedans la ville, & viſitez la Reine :
Il ne faut pas douter que ſon nouveau malheur
Ne la rende ſubtille à gagner vostre cœur,
Et que pour vous flechir il ne mette en uſage
Ce qu’elle a dans l’eſprit, & deſſus le viſage :
Soyez toujours Ceſar contre ſes forts apas.
Ces foibles ennemis ne m’eſpouvantent pas,
Et ne peuvent oſter un ornement ſi rare
Au triomphe pompeux que Rome nous prepare.
Scène V.
iadêmes, grandeurs, rangs, titres abſolus,
Puis que vous me quittez ne m’importunés plus,
Sceptres, qui m’éleviez avecque tant de gloire,
Ainſi que de mes mains ſortez de ma memoire :
Ce triſte ſouvenir fait mon joug plus peſant,
„ Par le bonheur paſsé croiſt le malheur preſent.
Les deſtins qui jadis craignoient de me déplaire,
À ma proſperité meſurent ma miſere,
Autrement à ce point ils ne changeroient pas,
Ma chùte ſeroit moindre en tombant de plus bas :
Aux autres c’eſt un bien de n’avoir point d’Empire,
Parce que j’en perds un, de mes maux c’eſt le pire,
„ De nos felicitez procedent nos malheurs,
„ Et les contentemens font naiſtre les douleurs,
„ Souvent une triſteſſe eſt l’effet d’une joye,
La nuit du beau Paris cauſa celle de Troye :
Notre Égypte l’égalle, & la ſurpaſſe encor,
De meſme qu’Ilion elle perd ſon Hector,
L’amour mit cet Empire au point qu’il met le noſtre,
Fut le bucher de l’un, la ruine de l’autre.
Mon ſceptre eſtant perdu, mon eſpoir eſtant mort,
À quelle affliction me reſerve le ſort ?
Que me ſert cet éclat, & cette pompe vaine ?
On m’oſte la couronne, & l’on me traite en Reine,
D’un ſpecieux reſpect mes malheurs ſont couvers,
Et l’on baiſe la main qui me donne des fers :
Un vainqueur glorieux dans ma honte m’honore,
M’oſt e un bandeau Royal, & m’ebloüit encore,
Il ſemble que mes jours ſoient l’objet du bonheur,
Et qu’un honneur nouveau ſuccede à mon honneur,
Le perdant on m’en fait : de meſme la juſt ice
D’un patient illust re honorant le ſuplice,
Pour ſa condition à la fin de ſes jours
Reçoit ſon ſang dans l’or, & deſſ us le velours.
Mille eſp ions ont ſoin de retenir mon ame,
Ils m’oſt ent les poiſons, les ſerpents, & la flame,
Mais leurs empeſchemens ne ſont que ſuperflus,
Et je puis bien mourir puis qu’Antoine n’eſt plus,
Qu’ils ayent les yeux ſur moi, leur peine eſt inutile
Antoine ne vit plus, ſa mort m’en donne mille,
C’eſt mon fer, mon poiſon, ma flame, & mon ſerpent,
Tout ce qu’ils m’ont oſt é ſon trépas me rend.
Scène VI.
eſar est icy bas.
Que venez-vous m’aprendre ?
Que le vainqueur, Aadame, au vaincu ſe vient rendre,
Qu’il ne tient qu’aux attraits de voſtre majeſté
De conſerver ſon ſceptre, & noſtre liberté.
Eſpoir faux, & flatteur des ames affl igées !
Les plus grandes beautez ſont icy negligées,
Eras, tous nos efforts ſont vains, & ſuperflus,
Je ne me puis ſervir de ce que je n’ay plus,
Mon œil lançoit des feux, il n’a plus que des larmes,
Et le tombeau d’Antoine eſt celuy de mes charmes,
Il ne m’en reſte pas pour le rendre adoucy,
Ny pour vaincre un vainqueur.
Madame, le voicy.
Scène VII.
eigneur (car vous portez cette qualité haute,
Le Ciel qui vous cherit vous la donne, & me l’oſte)
Vous voyez, ô Ceſar ! Une Reine à vos piez
Qui vid devant les ſiens des Rois humiliez,
Qui fit par le pouvoir d’une beauté fatale
Qu’Antoine eut ſa maiſtreſſe, & Rome ſa rivale,
Et qui deſſus un thrône élevé juſqu’aux Cieux,
Pour voir les plus grands Rois baiſſa toujours les yeux :
Le Ciel ſoûmet la meſme aux droicts d’une victoire,
Parce que vous foulez jugez de voſtre gloire,
Soyez content, ſongez remerciant les dieux
Que vous ſeriez cruel eſtant plus glorieux.
Si vous ne ſçaviez pas de quelle douceur j’uſe
Vers ceux que je ſurmonte, & que la guerre abuſe,
Et ſi de mon coſté j’ignorois de quel front
Vous recevez les coups que les malheurs vous font,
Si voſtre eſprit plus grand que le mal qui l’outrage,
Ignoroit ma clemence, & moy voſtre courage,
Je vous croirois ſoumise à de plus rudes lois,
Mais vous me cognoiſſez, comme je vous cognois.
N’eſperez pas qu’icy ma bouche vous conſole,
La mort que vous plaignez m’interdit la parole,
Tout le monde en commun pleure Antoine au cercueil,
Son trépas comme vous met la victoire en deuil.
Si vous ſouffrez des maux l’injuſte violence,
Ceſt plus un trait du ſort qu’un trait de ma vaillance,
„ Le haſard fait toujours le ſuccés des combas,
Ne m’en accuſez point, ny ne m’en louez pas.
„ La loüange s’aplique en une telle ſorte
„ Que moins l’on en deſire, & plus on en remporte,
„ Elle ſe plaiſt à rendre un modeste confus,
„ Et c’eſt en demander que d’en faire refus.
L’on cognoiſt ta valeur, tes ennemis l’avoüent,
Mon infortune en parle, & tes effets te loüent ;
Oui, Ceſar, je conſacre un Temple à ta vertu
Sur le triſte debris de mon thrône abatu,
J’adore le ſujet des maux dont je ſoûpire,
Et je donne un autel à qui m’oſte un Empire :
Pardon ſi j’ay failly voulant parer tes coups,
Venans d’un tel vainqueur ils devoient m’eſtre dous :
Ton mérite à nos yeux s’eſt fait aſsez paroiſtre,
Antoine comme moy le devoit recognoiſtre,
Il devoit ſeconder tes deſseins genereux,
Mais quoy s’il fut coupable, il eſtoit amoureux.
Excuſez ſi mes faits vous ont coûté des larmes,
„ On ne peut réprimer l’inſolence des armes.
„ L’amour, divin Ceſar, eſt un puiſſant demon,
„ Qui n’en reſsent la force en reſpecte le nom,
„ Nul ne peut s’exempter de ſon pouvoir ſuprême,
Il s’eſt fait des ſujets plus grands qu’Antoine meſme,
Le grand Ceſar ton père adora ce vainqueur,
Luy qui prit l’univers laiſſa prendre ſon cœur,
Luy qui fut le ſecours de mes premiers deſaſtres,
Et dont l’œil ne voit rien de plus bas que les astres.
Dans la proſperité de ſes graves deſſeins
Perdit la liberté qu’il ostait aux Romains,
Je captivay ſon ame, il me fit ſa maitreſſe
Par un aveuglement plutoſt que par foibleſſe.
S’il eut eu ce deffaut, ſa gloire, & vos apas
Au Temple de l’eſtime auroient un lieu plus bas.
Au deſsein de punir mon frere Ptolemée,
L’emmena dans ces lieux où noſtre amour nâquit,
Mon œil le ſurmonta quand ſa main nous vainquit :
Il fit un nom d’amant du titre d’adverſaire,
Et rendit à la ſœur ce qu’il oſtoit au frere,
Lors m’ayant pardonné, le magnifique don
D’un ſceptre & de ſon cœur fut joint à ce pardon.
Elles ſont de ſa main, je les conſerve encore,
Voyez ſa paſsion decrite en peu de lieu,
Et ce qu’un dieu diſoit preſsé d’un autre dieu.
Voilà comme il estoit quand il conquit la terre,
Quand il fit au Ciel meſme aprehender ſes lois,
Et ſous cette figure il aimoit toutefois,
L’amour n’abaiſſoit point le cœur de ce grand homme,
Vaincu qu’il en estait il triomphoit à Rome ;
Dans ce port doux & grave il conſeille aux guerriers
De joindre avec honneur les myrthes aux lauriers.
Puis que vous me ſemblez ſa plus vivante image,
Renouvelle (mon cœur) ce qu’autrefois tu fis,
Et laiſsez-moy chercher le pere dans le fils.
Eſperés tout de moy.
Je veux dans ma miſere
L’une que vous ſouffriez pour borner mon ennuy
Que je retrouve Antoine en mourant comme luy,
C’eſt la moindre faveur que vous me puiſsiez faire.
Je vous feray, Madame, éprouver le contraire.
Et qu’à voſtre triomphe ils ne ſoient point menés,
Prives les des grandeurs, & des biens de leur pere,
Mais ne leur oſtez pas le ſceptre d’une mère :
Ils n’apporteront point de trouble en vos projets,
Vous ſerés plus ſuperbe ayant des Rois ſujets.
Ainſi que votre État goûte une paix profonde,
Demeurés abſolu ſur le reſte du monde,
Cette vertu qui rend par un charme ſecret
L’obeyſſance aveugle, & l’Empire diſcret,
Faſſe voir ſans fleſtrir vos lauriers, ny vos palmes,
Vostre vie aſſuree, & vos Provinces calmes.
Eſperés de vous voir dans vos adverſités,
Et vous, & vos enfants royalement traités.
Ce cruel ne m’a pas ſeulement regardée,
Dieux de quell es fureurs me ſens-je poſſ edée !
Je voy bien qu’il faut faire avecque le trépas
Ce que je n’ay pù faire avec tous mes apas.