Cinquième rapport sur une mission en Basse-Bretagne/Le père qui vendit son fils au diable, et le brigand
LE PÈRE QUI VENDIT SON FILS AU DIABLE,
ET LE BRIGAND.
Un pauvre homme vend son fils au diable, pour avoir de l’argent. Pris de remords, il va se confesser au pape, à Rome. Le pape refuse de l’absoudre, et l’adresse à un ermite, dans un bois. L’ermite lui dit d’aller se confesser à un prêtre dans l’église la plus voisine, et de ne pas avouer son plus gros péché, la vente de son fils au diable, afin de recevoir l’absolution. Il lui recommande encore de ne pas manger la sainte hostie, mais de la lui apporter dans son mouchoir. Il se conforme à ces recommandations, et apporte la sainte hostie à l’ermite. Celui-ci la lui coud dans sa poitrine, entre chair et peau, et lui dit ensuite d’aller lui-même en enfer, pour retirer le contrat de vente de l’âme de son fils. Il lui donne une lettre pour un frère brigand qu’il a dans un bois, plus loin, et qui est sur le chemin de l’enfer. Il part avec cette lettre, et loge chez le brigand. Celui-ci lui dit, au moment de partir, de demander à Satan de lui faire voir la place qu’il lui réserve dans l’enfer. Un diable vient à sa rencontre, et ne fait aucune difficulté de recevoir le père à la place du fils.
Le voilà dans l’enfer. Mais les démons ne peuvent y supporter sa présence, à cause de la sainte hostie qu’il porte sur lui, et ils le pressent de s’en aller. Il se fait remettre d’abord le contrat de la vente de son fils ; puis, il demande à voir la place qui est réservée au brigand. On lui montre un siège de fer rouge, entouré de feu de tous côtés. Il part alors. Il repasse par chez le brigand, et celui-ci, au récit qui lui est fait de ce qui l’attend dans l’enfer, congédie ses camarades et se soumet à une pénitence dont la pensée seule fait frémir. Il en meurt, et son âme est sauvée. Le père se rend alors auprès du pape, qui lui extrait la sainte hostie de la poitrine, et la lui donne ensuite en communion. Il reprend alors le chemin de chez lui. Il y arrive en mendiant, et personne ne le reconnaît, car son voyage a duré plusieurs années, et on le croit mort. Il y a une grande fête dans sa maison, à l’occasion de la première messe de son fils, qui vient d’être ordonné prêtre. Après le repas, auquel il est aussi admis par charité, il demande à se confesser au jeune prêtre. Il lui avoue qu’il est son père. La joie de la mère, du fils et du père de se retrouver réunis est si grande, qu’ils en meurent tous les trois sur la place, et leurs âmes vont tout droit au paradis.
La même fable a été recueillie par Glinski chez les Slaves, sous le titre de : le brigand Madey. On y voit, comme dans le conte breton, un père qui va en enfer retirer le contrat de la vente de son fils, et un brigand qui se convertit et est sauvé, après une pénitence inouïe.
Les contes où un père vend au diable l’âme d’un enfant à naître, souvent innocemment et sans savoir que sa femme est enceinte, sont nombreux dans le peuple, en Bretagne. Je possède une seconde version de celui-ci, mais où la mère de l’enfant s’est mariée avec le diable, qui vient réclamer son fils. Celui-ci va aussi dans l’enfer, mais grâce à une ample provision d’eau bénite qu’il a emportée, d’après le conseil d’un ermite, et dont il arrose les habitants de ces lieux, il est prié de s’en aller ; il ne se retire pourtant qu’après avoir reçu le contrat de mariage de sa mère, et il la sauve ainsi.