Cinquième rapport sur une mission en Basse-Bretagne/La princesse Tournesol
LE FILS DU PÊCHEUR ET LA PRINCESSE TOURNESOL.
Un pauvre pêcheur, qui ne prenait presque rien, rencontra un jour, en mer, le diable qui lui dit :
— Promets-moi ce que ta femme porte en ce moment, et jure de me l’apporter ici, dans dix-huit ans, et je te ferai prendre du poisson à discrétion.
Le marché fut conclu. La femme du pêcheur était enceinte, sans qu’il le sût, et il avait ainsi vendu son enfant au diable, avant sa naissance. Quand le fils qui lui naquit approcha de sa dix-huitième année, on alla consulter un vieux moine. Celui-ci demanda à la femme :
— Vous rappelez-vous ce que vous portiez au moment où votre mari conclut le marché fatal ?
— Oui, répondit-elle, je portais un fagot que j’avais été chercher au bois.
— Avez-vous encore ce fagot ?
— Oui, il doit être encore sur notre grenier, car depuis ce jour-là le bois ne nous a pas manqué.
— C’est bien, tout espoir n’est pas perdu, alors.
Le jour du rendez-vous venu, le fagot fut trempé dans de l’eau bénite, et le jeune homme l’emporta en mer sur son bateau. Quand le diable lui réclama ce qui lui était dû, il le lui jeta à la figure, en disant :
— Tiens, voilà ce qui te revient ! c’est ce que ma mère portait quand tu fis le marché avec mon père.
Le Malin, trompé, partit en poussant un cri épouvantable, et sans réclamer autre chose. Mais le fils du pêcheur ne put retourner au rivage. Il erra quelque temps sur la mer, et aborda enfin dans une île. Dans cette ile, il y avait un beau château. C’était le château de la princesse Tournesol. Il y entra, et ne vit personne. En allant de chambre en chambre, il finit par trouver une princesse d’une beauté merveilleuse, endormie sur un lit de pourpre. Il lui donna un baiser, et elle s’éveilla. Elle lui dit que, pour la délivrer de ce château, où elle était enchantée, il lui faudrait souffrir, pendant trois nuits de suite, des supplices inouïs. Il voulut tenter l’aventure. Pendant les trois nuits qui suivirent, il fut, en effet, si maltraité par des démons qui arrivaient dans sa chambre, à minuit, pour ne s’en aller qu’au chant du coq, qu’ils le laissèrent pour mort, à chaque fois. Mais la princesse le ressuscitait à chaque fois aussi, avec un onguent merveilleux qu’elle possédait. Quand il fut sorti triomphant des trois épreuves, il épousa la princesse. Après être resté quelque temps avec elle dans son château, il retourna dans son pays, pour voir ses parents, et la princesse lui recommanda de ne dire à personne qu’il était marié, sous peine de ne plus la revoir. Mais il finit par livrer son secret. Aussitôt il entendit la voix de sa femme qui lui cria, sans qu’il la vît : « Hélas ! tu m’as désobéi, malheureux ! À présent tu ne me reverras plus. Je vais, captive, sur la montagne de Pennbœuf (?), bien loin, bien loin d’ici. » Mais il jure de ne se reposer sous aucun toit, ni la nuit, ni le jour, jusqu’à ce qu’il l’ait retrouvée, et il se met immédiatement en route. Il visite successivement trois ermites, trois frères, vivant dans les bois et éloignés l’un de l’autre. Le premier ne peut lui donner aucun renseignement sur la montagne de Pennbœuf, mais il lui donne une boule qui roule d’elle-même devant lui et le conduit jusqu’au second ermite. Celui-ci non plus ne sait pas où est la montagne de Pennbœuf. Il est maître sur tous les animaux à poil, et il les interroge à ce sujet : aucun d’eux ne connaît la montagne en question. Cet ermite lui donne alors, comme le premier, une boule pour le conduire chez son autre frère. Celui-ci est maître sur tous les animaux à plumes. Il les convoque tous. L’aigle sait où est la montagne de Pennbœuf, et l’ermite lui ordonne d’y porter, sur son dos, le voyageur, après avoir donné à celui-ci un manteau qui le rendra invisible, quand il le mettra à l’envers. Il arrive au château, au moment où la princesse allait épouser le géant qui la retenait captive. Grâce à son manteau, il peut pénétrer jusqu’à elle, et la faire sortir du château, sans être vu de personne, puis il l’épousa.
Ce conte, que je ne fais qu’analyser succinctement, semble appartenir au même cycle que la Princesse de Tronkolaine, Trégont-à-Baris, la Princesse aux cheveux d’or, et généralement tous ceux où le soleil joue un rôle. Le premier épisode, celui de la vente de l’enfant au diable, pourrait bien appartenir à une autre fable.