Chroniques (Buies)/Tome I/Obituaire du Pays

Typographie C Darveau (1p. 120-121).

Aujourd’hui, 26 décembre, je verse un pleur.

C’est aujourd’hui, en effet, date à jamais douloureuse, le 26 décembre 1871. que le Pays a succombé à l’attaque foudroyante d’une maladie qui est restée un mystère, et que personne ne pouvait soupçonner.

Il est mort à vingt ans, entouré de prestige et de force, à l’époque où commençait à crouler de toutes parts le vieux régime d’abâtardissement, de dégradation morale et intellectuelle, qu’il avait toujours combattu.

Il n’a pas vécu pour recueillir le fruit de tant de labeurs obstinés, d’une lutte généreuse, marquée de tous les sacrifices.

Un petit groupe d’hommes, débris de l’ancien libéralisme, s’étaient littéralement ruinés pour lui conserver la vie. Qu’ils aient pu résister pendant vingt ans à toutes les attaques du fanatisme, de la calomnie, de

la crainte envieuse, de l’hypocrisie armant tous les préjugés, c’est ce qui est vraiment merveilleux !

Aujourd’hui la fortune a changé et les événements ont pris un autre cours ; la jeunesse a secoué beaucoup de ses langes ; pour l’observateur, une ère nouvelle, aussi bien pour la pensée que pour les conditions politiques, se manifeste à des signes certains et avec une force trop longtemps contenue pour n’être pas irrésistible.

Je voulais écrire une épitaphe en commençant cette page, et je me vois entraîné vigoureusement à faire une apothéose. Le Pays a cessé de paraître le 26 décembre 1871 ; mais qui oserait dire qu’il est bien mort ? Qui oserait affirmer qu’il n’attend pas sa résurrection ?