Chroniques (Buies)/Tome I/À la campagne

Typographie C Darveau (1p. 382-394).

À LA CAMPAGNE


8 Juillet.


Ô campagne, ô nature, varech, montagnes, sapins, clôtures, moutons, flux et reflux ! Enfin nous avons secoué la poussière de nos semelles ainsi que de nos poumons et de nos lèvres ; nous voilà en plein dans le grand air, dans le souffle des vents qui balayent les fleuves, qui courbent les rameaux et font frissonner les feuilles. Ici on respire, on s’épanouit, on engouffre l’oxigène et l’on boit du lait épais comme de la mie de pain. Les grands coteaux ondulent à la limite des champs, les oiseaux chantent comme au jour de la création, les bœufs et les moutons broutent sur l’herbe que dore et assombrit tour à tour le soleil ou l’ombre ; on voit le grand Saint-Laurent arriver doucement, doucement sur les galets, verdâtre, vaseux, sali comme un coursier qui a traversé les marais et les plaines, bondissant encore quand un obstacle se présente, couvert d’écume et laissant flotter sa crinière sur son cou comme des flots indociles.

Le Saint-Laurent monte pendant cinq heures et baisse pendant six. Pourquoi cette différence ? J’ai beau interroger les plus vieux habitants, ils répondent qu’ils ont toujours vu cela de même et qu’ils n’ont jamais cherché à se l’expliquer. Tirez d’eux autre chose, si vous le pouvez. Pourtant, c’est une chose bien élémentaire que ce phénomène du flux et du reflux.

Des vieux habitants !… Il n’en reste plus guère, et les jeunes s’en vont presque tous. L’émigration aux États-Unis est un fléau qui ne diminue pas, qui est devenu endémique ; on prend bien des précautions contre le choléra, contre la petite vérole et autres désagréments, mais on n’en prend aucune contre cette terrible épidémie qui décime nos campagnes et dépeuple chaque foyer. Les laboureurs surtout, ces fournisseurs du pain quotidien, partent en foule, s’enfuient, comme s’ils désertaient à l’envi une terre maudite. Ô Canada ! c’est pourtant bien un grand homme, un sir de bronze qui t’a appelé nos amours ! Sol ingrat, il te faut du fumier maintenant bien plus que des sueurs, et tu ne tiens nul compte de l’effort de nos bras ; aussi on te quitte.

C’est bien simple. Les trois quarts des terres sont hypothéquées ; la plupart des jeunes gens sont partis et les hommes de journée se font payer cinq dollars par semaine outre la nourriture, ce qui équivaut à hypothéquer le dernier quart des dernières terres qu’on cultive encore.

Je vous le dis en vérité : tant qu’on n’en finira pas avec la routine en toutes choses et partout sur la terre de nos aïeux, il en sera toujours ainsi. La routine dans un jeune pays, c’est non seulement stupide, c’est encore contre nature et c’est criminel ; par elle on étouffe dans le germe tous les œufs qui veulent éclore, on se condamne à la stérilité au milieu d’innombrables richesses, on foule éternellement dans les mêmes sentiers un sol gorgé de trésors sans vouloir l’ouvrir, et on le fuit avant même d’avoir joui d’une part infime de ses dons. Il y a de tout ici. Les rivières foisonnent de l’infinie variété des poissons, les montagnes et les sables étincellent de l’éclat du métal ; l’homme seul languit, végète, emprunte, ne rend pas et s’exile.

Les habitants ! bonnes gens à qui nous devons tant, ils s’en vont, ils s’en vont ! Que restera-t-il, dans quelques années, du vieux Canada de nos aïeux ? Rien que les mauvaises terres. Ceux qui ont des faucheuses et des charrues de Chinic et Beaudet prolongeront leur agonie et mourront solitaires, dans un foyer déserté de presque tous leurs enfants.

Je ne vous l’ai jamais dit peut-être, mais mieux vaut tard que jamais. Le Canada est un pays avant tout, par-dessus tout, essentiellement industriel. Tant que nous n’aurons pas d’industries, nous perdrons nos fils et nos frères. Que vont-ils faire aux États-Unis ? Travailler aux fermes ? Jamais. Ils se précipitent dans les manufactures, ils y foisonnent, ils s’y comptent par centaines de mille ! Des centaines de mille qui nous manquent ! Devant ce chiffre je m’arrête éperdu. Il en faudrait si peu de tous ceux-là pour renverser le gouvernement et nous garder au pouvoir jusqu’aux générations les plus reculées ! La Confédération qui devait tout guérir et enrichir tout le monde, n’a fait que coaliser des misères et mettre ensemble des provinces qui se dépeuplent. Rendez-nous les Canadiens du pays, ô mânes de sir George ! sinon, nous allons tous, unanimement, adopter Hector pour chèfre et vous en grincerez des dents dans l’éternité que je vous souhaite.

Pauvre peuple ! Le voilà donc qui abandonne en masse, par paroisses entières, ces champs concédés depuis deux siècles, ces longues terres de trente à quarante arpents, les régions fertiles où l’on compte tant de chemins de colonisation énumérés dans les rapports officiels, et tout cela malgré les nombreux agents d’émigration envoyés en Europe pour en revenir seuls ! malgré tant de brochures où le Canada paraît comme le premier pays du monde ! Il lui faut fuir cet Eden, ce paradis ignoré, parce qu’il y meurt avant d’y avoir connu la vie, parce qu’il n’a pas d’engrais, parce que les hivers sont trop longs et que sept mois perdus dans l’année sont plus que n’en peuvent supporter les plus fortes races ; parce qu’aujourd’hui il faut de l’argent, de l’argent comptant pour tout ce qui ne se payait autrefois qu’après un quart de siècle, parce qu’il y a une foule de besoins nouveaux qu’on ne peut satisfaire rien qu’avec de l’orge, de l’avoine et du sarrasin, et qu’il faut absolument des fabriques, des usines, des manufactures, des travaux enfin de toute sorte pour ne pas chômer dans la misère et ne connaître du lendemain que l’effroi qu’il inspire.

Et pourtant ! quelle chose suave, adorable, limpide, purpuréenne et azurée que la campagne ! Voyez : C’est maintenant le crépuscule ; les grands, les moyens et les petits bœufs reviennent avec leurs compagnes des limites des champs ; ils reviennent pensifs, en songeant à l’avenir de leur race ; le soleil gigote parmi les derniers nuages qui s’étalent à l’horizon ; il s’en échappe des reflets de toutes les couleurs qui s’ébattent un instant parmi les épis, les herbes et les foins ; la lune arrive déjà, prête à disputer au soleil endormi l’empire du ciel qui nous attend dans une vie meilleure ; au loin, de longues clôtures, qui ont souvent besoin d’être réparées, s’étendent parallèlement jusqu’aux concessions, images et limites de la propriété. Ailleurs, à côté, ce sont les moutons qui arrivent, parfois courant, parfois broutant, mais toujours ensemble. Je ne sais si c’est par patriotisme, mais je me reconnais un amour particulier pour ces douces et innocentes bêtes qui ne se séparent jamais, qui ont un air ministériel à les confondre avec les majorités conservatrices, qui ne raisonnent pas, qui subissent tout ce que l’on veut avec une résignation que rien n’altère et qui bêlent absolument comme on vote pour le Pacifique.

Les bêlements de moutons ! quels accords bucoliques, quelle harmonie champêtre ! Ils se ressemblent tous, c’est ravissant ! Pas d’opposition, pas de discordance possible chez la race ovine. Quand un mouton saute, tous les autres sautent au risque de sauter les uns sur les autres ; et quand l’un bêle, c’est un concert universel et uniforme qui vous transporte en plein parlement provincial. Vous direz ce que vous voudrez, mais j’affirme qu’on ne peut voir un mouton à l’étranger sans ressentir une sombre nostalgie et sans voir accourir en foule comme dans un rêve tous les souvenirs des campagnes électorales.

Maintenant, il est presque nuit ; tout a changé de couleur et d’aspect ; les ombres de la terre s’entendent avec les grands voiles du ciel pour projeter à droite et à gauche toute espèce de formes bizarres, inaccoutumées, presque épeurantes. Les rochers aux noirs profils ont l’air de se précipiter sur vous ; les arbres, tout le jour silencieux, si ce n’est dans les caresses de la brise et les gazouillements des oiseaux, s’emplissent de bruits étranges ; on les dirait chargés de souffles mystérieux et d’esprits qui se jouent de nos terreurs. La lune, qui était venue avant son heure, se cache, se blottit derrière les nuages comme si elle soupçonnait quelque trahison du ciel ; les maringouins bourdonnent, horrible espèce qui commence son vacarme à l’heure ou tout se taît ; les moutons et les bestiaux pioncent sans souci du lendemain, et dans l’air courent de grands fils à peine visibles qui sont comme les franges aériennes de quelque voile de séraphin.

Où suis-je ? Je le sais à peine. Pourquoi suis-je venu ici et par quel vent poussé ? Je n’en sais rien. Tout ce que je puis dire, c’est le chemin que j’ai fait et la manière dont je l’ai fait.

Lecteur, le Canada est un pays appelé à de grandes destinées nautiques ; c’est dans l’empire des loups-marins et des morues que nous faisons les plus rapides progrès. Dans presque tout ce que nous tentons sur terre, nous échouons ; mais dès que nous abordons le domaine des tritons, c’est presque immanquable, nous y trouvons le succès ou du moins l’aisance. Il n’y a pas de compagnie maritime sérieuse qui n’arrive à la fortune ; mais lorsque le succès est dû à un esprit d’entreprise qui ne recule devant rien, à une intelligence large des besoins de notre époque, comme en font preuve les directeurs de la compagnie des Remorqueurs, il semble que tout le monde doive en être fier et que chacun de nous reçoive sa part de cette prospérité.

C’est dans un bateau de cette ligne que j’ai quitté Québec pour le bas Saint-Laurent ; le même jour il en partait deux autres qui allaient aux mêmes endroits, ou à des endroits, soit intermédiaires, soit plus éloignés. Trois bateaux se suivant à un intervalle de quelques heures, pour prendre une même route, tous appartenant à la même compagnie, et cela pour de simples stations d’eau où ne vont guère que les touristes, voilà certes qui est inouï chez nous !

Il y a deux ans seulement on eût crié au prodige, à l’extravagance, à la folie, en voyant arriver trois bateaux en un seul jour à la Malbaie et à la Rivière-du-Loup ; maintenant ils peuvent à peine tenir à la tâche. Eh quoi ! L’année dernière encore, deux bateaux suffisaient aux pérégrinations des Américains et des promeneurs indigènes ; cette année, la compagnie des Remorqueurs a dû, non seulement en augmenter le nombre, mais encore créer de nouveaux services, toucher à de nouveaux ports, et doubler, tripler les anciennes destinations. Il n’y a pas aujourd’hui une seule station d’eau, de quelque renommée même naissante, sur une des rives quelconques du bas St-Laurent, où ne vienne, au moins deux fois par semaine, un bateau de cette compagnie.

Ses directeurs, hommes entreprenants, fort intelligents, larges en affaires, ont compris cette vérité si simple que « quelque nombreux et quelque jolis que soient les lieux de villégiature, si l’on ne peut en sortir pour aller de l’un à l’autre, si l’on ne peut se déplacer, varier enfin son séjour, on aime mieux rester chez soi que d’aller dans un endroit magnifique où l’ennui vous accable au bout d’une semaine. » Ils ont donc institué des services intermédiaires entre les diverses stations jusqu’alors tenues dans l’impossibilité de communiquer entre elles, et par cette simple facilité offerte aux voyageurs, ils en quintuplent le nombre ; et ce n’est pas tout, cela, c’est ce qu’on pourrait appeler, bien à tort, sans doute, mais enfin le préjugé le veut, c’est ce qu’on pourrait appeler, dis-je, le progrès purement matériel. Qu’à cela ne tienne ! Il y a mieux.

À l’esprit d’entreprise, les directeurs de la compagnie joignent l’esprit de prévoyance, une politesse intelligente qui ne se borne pas à des formes, mais qui a par-dessus tout un objet utile. Ainsi, non seulement les passagers sont traités à bord avec toute espèce d’attentions, non seulement des instructions sévères sont données pour que les employés fassent plus que leur devoir, qu’ils y mettent du zèle et une complaisance sensible, mais encore ils peuvent, grâce aux soins intelligents des directeurs, suivre d’étape en étape, le voyage qu’ils font et acquérir quelque notion exacte des lieux par la seule inspection des cartes géographiques, accompagnées de descriptions, qu’ils peuvent prendre au bureau avant de quitter le port de Québec. Partout ailleurs cela manque ; on est réduit à voyager aveuglément, à regarder sans pouvoir se rendre compte, et quand on demande des informations, on trouve des gens qui n’en savent pas plus long que soi.

Une fois à bord, comptez en outre que vous faites un voyage ravissant. Vous quittez Québec par un brillant jour d’été ; les campagnes sont pleines de rayons et de lumière ; devant vous s’étend l’île d’Orléans, cette île vraiment royale, aux bosquets touffus, aux paysages dorés, aux longues collines assoupies sous le soleil ; puis, au-delà, d’autres îles se succèdent à profusion dans le plus majestueux des fleuves ; vous suivez la côte du nord, cette série ininterrompue de montagnes formidables, coupées ça et là d’oasis enchanteresses, telles que Saint-Joachim, la baie Saint-Paul et ce petit paradis du Canada, la Malbaie, qui est un morceau de la Suisse jeté sur les Laurentides à travers l’océan. Vous voyez le cap Tourmente qui se dresse inopinément jusqu’à une hauteur de deux mille pieds, et que suivent d’autres montagnes dans un désordre grandiose, jusqu’à ce qu’elles atteignent le point culminant de la chaîne, le plateau des Éboulements, qui est à une hauteur de deux mille six cents pieds au-dessus du fleuve ; enfin Tadoussac et la far-famed rivière Saguenay, large en moyenne d’un demi-mille, profonde de huit cents pieds, avec des escarpements, des surprises, des changements à vue dont rien n’interrompt le cours sur une longueur de soixante-dix milles.

Vous voyez tout cela sur la rive nord. Puis, du côté sud, c’est Kamouraska, la Rivière-du-Loup, Cacouna, Rimouski, Kamouraska, l’endroit du plaisir ; Cacouna, le rendez-vous des fashionables et des dames qui ont des robes trop longues pour les porter à la ville ; la Rivière-du-Loup, pays de renom et qui attend, pour devenir un très grand centre commercial, qu’un chemin de fer le relie à Saint-Jean du Nouveau-Brunswîck. Déjà ce chemin de fer est en partie livré à la circulation, et l’on espère le voir complètement terminé en 1875 ; enfin, Rimouski, la future métropole du bas Saint-Laurent, qui, dans deux ans, aura son havre de refuge où les grands vapeurs transatlantiques arrêteront en passant, et qui attirera tout le commerce de l’immense région de la Matapédia, un des greniers agricoles de notre pays.

C’est la première année qu’un vapeur vient toucher à Kamouraska, et cela est dû à l’initiative de la compagnie des Remorqueurs. Auparavant, il fallait s’y rendre en chemin de fer et faire encore cinq milles en voiture, de la station au bord du fleuve où se trouve le village. Voilà pourquoi Kamouraska, malgré une supériorité incontestable sur Cacouna et sur la Rivière-du-Loup, était tenu cependant dans un oubli relatif et n’attirait guère que les mêmes familles légèrement augmentées tous les ans. Mais aujourd’hui voilà en un clin-d’œil un changement inespéré.

Si vous voulez vous promener dans de très-beaux yachts, dans des chaloupes qui défient tous les ouragans ; si vous voulez habiter, ne serait-ce qu’une quinzaine, le plus animé et le plus gai village de toute la rive sud, si vous voulez faire de jolies petites excursions à des îles qui ne sont qu’à un mille de distance, venez à Kamouraska.

Ici, respirons, roulons-nous sur l’herbe, attrapons les mouches, plongeons-nous dans la marée montante, couvrons-nous de varech. Parfums des bois, âcres senteurs du fleuve, arrivez en foule sur nos tempes humides et dans nos narines desséchées ; prairies de trèfle et de foin, champs d’avoine et d’orge, épanouissez-vous sous nos yeux, envoyez-nous à profusion de ces bouffées fraîches et tièdes à la fois qui succèdent à la pluie. Nos gosiers sont secs comme des mâchoires de fossiles ; ils ont avalé, pendant deux semaines tropicales, la poussière des métropoles et des exhalaisons de cours qui font rêver au défunt Augias, l’inventeur du choléra et le patron de toutes les commissions de voirie ; nous avons la langue roide et dure comme l’oreille d’un juge de la cour d’appel ; il nous faut la rosée, l’air qui enfle et réjouit les poumons, la grande paresse, des allongements infinis de tibias, des ronflements sonores sous l’ombre des épinettes ou des trembles, et des bourdonnements, des gazouillements, des frémissements et des tremblements de nom d’un nom dans tous les alentours et les autours.

Voilà ce que c’est que la nature.

Mon cher directeur, savez-vous que la moitié des campagnes s’en va chez le diable ? Dans le mois dernier on a compté cent quatorze familles qui sont parties de trois paroisses du seul comté de Kamouraska pour se rendre aux États-Unis. La propriété diminue, diminue constamment de valeur ; ceux qui ont des terres ruineuses sont obligés de les garder, ne pouvant pas les vendre, et ils s’endettent jusqu’à ce que, pour un misérable petit compte, ils en soient chassés. L’habitant est prêt à accuser qui que ce soit et quoi que ce soit de ses maux, il s’en prend à tout ; son for intérieur est en ébullition. Joignez à cela qu’il a les bras liés, qu’il est comme cloué à la terre qui le ronge, qu’il ne peut rien faire pendant sept mois de l’année et qu’il lui faut vivre avec la perspective de jour en jour grossissante de sa ruine et de sa misère finissant par son départ pour l’étranger. Quelle condition, quelle fatalité ! Sans doute, pour nous consoler, on nous dira que nous sommes jeunes, que nous avons l’avenir, que nous jouissons du meilleur des gouvernements politiques, toutes phrases stéréotypées qui se débitent depuis un temps immémorial.

À force d’être jeunes, d’avoir de l’avenir, des ressources, des mines et des libertés à ne savoir qu’en faire, nous croupissons, nous devenons rassis, rances, nous usons nos pantalons à nous asseoir sur tant de sacs d’écus sans pouvoir y toucher, et tout cela finit par aller dépenser ce qui nous reste de « jeunesse » dans les États de l’Ouest ou dans les manufactures de la Nouvelle-Angleterre. J’entends de vieux habitants me dire que le gouvernement ferait bien mieux de payer les votes moins cher et de protéger davantage les industries naissantes.

Bonnes gens ! ils ignorent que les gouvernements que nous avons, depuis dix ans surtout, n’ont pas pour objet le progrès ou la prospérité de la population, mais bien uniquement de resserrer, de visser de plus en plus la dépendance et de nous rendre à tout jamais incapables de rien par nous-mêmes, paralytiques avant d’avoir seulement déployé nos bras. Nous réduire graduellement à l’état de fœtus, puis nous mettre en bocal, voilà la pensée constante de tous les sirs qui se succèdent comme chèfres et de tous les imbéciles qui les suivent.

Ô mon peuple ! meurs donc plutôt que de dépérir sans honneur et sans inspirer d’intérêt, crève tout de suite plutôt que de moisir sur des terres que tu ne peux plus ni engraisser, ni égoutter, ni clôturer ; laisse tes cochons, tes poules, tes vaches efflanquées, jette au loin toute cette misère qui pend à toi, quitte ta demeure à moitié déserte et lance-toi dans les opulentes prairies de l’Ouest. Là, du moins, ta jeunesse te servira à quelque chose ; et, si tu n’en as plus, tu trouveras bien d’autres choses qui la remplaceront ; tu ne t’épuiseras plus dans une existence condamnée ; et si tu veux garder ta race, ta religion, le génie et la langue de tes pères, tu le pourras cent fois mieux qu’ici où tu cours le risque de tout perdre avant deux générations.

J’ai dit.