Chronique du 28 juin 1873

21 juin 1873

28 juin 1873

5 juillet 1873

CHRONIQUE

Expédition à la recherche de Livingstone par le Congo. — Le lieutenant Grandy et sa suite sont partis de Saint-Paul-de-Loanda à bord d’une goélette et sont arrivés à Ambriz le 16 février ; ce petit port est à une faible distance au nord de Saint-Paul. M. Grandy emmène avec lui 150 porteurs pour transporter son bagage à Bombe, où il espérait arriver en mars dernier. La route d’Ambriz à Bombe était à cette époque assez sûre ; aussi le lieutenant Grandy se propose-t-il d’aller jusqu’à San Salvador, qui est à moitié chemin du Congo. Si cette expédition est couronnée de succès, elle apportera des documents de grande valeur pour la géographie, car elle s’exécute dans des régions tout à fait inexplorées.

L’âge du bronze en Sibérie. — M. Desor, le savant naturaliste à qui l’on doit de si belles études sur les cités lacustres de la Suisse, vient de recevoir une magnifique collection d’objets archéologiques des plus précieux, trouvés en Sibérie par un célèbre voyageur russe, M. Kapatine. Les antiquités dont il s’agit, dit M. Desor, sont toutes en bronze ; elles se composent d’armes, d’ustensiles et de parures. Ces objets attestent des besoins et des goûts qui ne sont pas ceux des populations nomades qui habitent actuellement les steppes. Cette collection atteste une culture bien plus avancée que celle de nos palafites de l’âge du bronze, et quoiqu’il ne soit pas encore possible de les rattacher avec certitude à une époque connue de l’antiquité, elles n’ont rien de moderne. De nouvelles recherches conduiront certainement à des révélations du plus haut intérêt sur l’histoire de la Sibérie en même temps que sur l’étude de l’âge du bronze.

L’établissement scientifique de Burlington-House. — Les Sociétés savantes d’Angleterre sont généralement plus fortunées que les nôtres et leurs locaux beaucoup plus somptueux. Le nouveau bâtiment de Burlington-House, Piccadily, à Londres, est la résidence de la Société royale d’Angleterre, qui correspond à l’Institut de France. Mais il donne en outre asile aux sociétés suivantes, qui se sont toutes groupées les unes à côté des autres : les Sociétés Astronomique, S. des Antiquaires, S. Chimique, S. de géologie, S. Linnéenne. Ce palais de la science est, à l’extérieur comme à l’intérieur, digne des notabilités qui s’y réunissent.

Les champs de lave du lac Klamath-Orégon. — Le principal théâtre de la guerre que font les Indiens d’Amérique, les Mudocs aux colons de l’Orégon, est une immense région volcanique aux découpures chaotiques, dont ils utilisent les défilés inextricables, pour se mettre en embuscade contre les troupes des États-Unis. Ils connaissent seuls certains passages, qui conduisent à des situations inexpugnables et à des cavernes où ils se réfugient en cas d’alerte. L’endroit où le général Camby fut tué est à environ 100 milles de la côte du Pacifique, dans le Siskiyou, prés de la limite de l’Orégon et de la Californie. Ce pays sauvage, si intéressant pour les études géologiques, s’étend sur une surface d’environ 600 milles dans l’Ouest. Le terrain est de formation basaltique, avec failles et déchirements souvent remplis d’eau. Le refroidissement subit ou une commotion intérieure ont produit des fissures les plus bizarres, dont les dimensions varient de 3 mètres jusqu’à 40 mètres de profondeur ; beaucoup se transforment en grottes, tandis que d’autres donnent passage à des filets d’eau qui se jettent dans la rivière Colombie. La plus grande grotte est Ben Wriht’s cave ; elle s’étendrait, au dire de certains explorateurs, sur une surface de 15 acres ; dans certains passages, le visiteur doit ramper sur le sol, tandis que dans d’autres la voûte s’élève à une grande hauteur. L’entrée principale n’est pas plus grande qu’une fenêtre ordinaire. On doit concevoir combien les opérations militaires seraient gênées sur un pareil terrain, si elles n’étaient pas conduites par des Indiens alliés, qui connaissent les principaux défilés.

Le prix de la première lunette employée au passage de Vénus. — Au moment où toutes les nations civilisées rivalisent de luxe et de générosité, au moins apparente, dans les préparatifs faits pour l’observation du passage de 1874, il n’est point hors de propos de rappeler que le premier passage aperçu par un habitant de la terre le fut avec un instrument dont les écoliers dédaigneraient de se servir. La lunette dont Horrox fit usage, le 14 novembre 1639, ne lui avait coûté qu’une demi-couronne, environ trois francs de notre monnaie. Horrox était un pauvre étudiant de l’université de Cambridge, qui exerçait les fonctions de répétiteur d’un jeune homme riche, et qui n’avait pu se procurer son modeste instrument que dans le courant de l’année précédente. Il mourut trois ans après la grande observation qu’il eut seul la gloire de faire. Il n’avait encore que vingt-deux ans.

Utilisation de la force des marées. — Le Scientific American nous apprend qu’on a fait à Brooklyn des essais pour utiliser la force motrice des marées. L’inventeur a imaginé d’employer un immense flotteur qui monte et descend avec le flot.

À l’aide d’engrenages, le mouvement a été communiqué, parait-il, à une scie rotative, laquelle aurait tourné avec toute la rapidité qu’une machine à vapeur aurait pu lui donner.

Nous ne sommes point étonnés d’apprendre que le mouvement révolutif de la scie n’a point été d’une régularité parfaite, mais nous sommes surpris qu’on ait cherché à faire exécuter à un moteur mû par un poids dont les déplacements sont si lents un travail qui demande une vitesse aussi considérable.

À l’Exposition universelle de Londres, nous avons examiné avec quelques détails une machine analogue, disposée par un Italien, qui avait essayé de résoudre le même problème en employant le ressort de l’air comprimé.

La route d’Amérique sur l’Océan. — L’American Register nous apprend qu’une des grandes compagnies qui font le service des États-Unis en Europe a décidé que ses navires traverseraient le 50e méridien de Greenwich par 43° de latitude dans la traversée vers l’ouest, et par le 42e seulement dans leur retour en Europe. Les deux points sont choisis d’après les instructions maritimes que Maury a données, de manière à rendre aussi prompt et aussi commode que possible le voyage entre les deux continents.

La distance entre les deux points choisis, après mûre délibération, est assez grande pour que les rencontres ne soient point à craindre. Les steamers qui prennent l’un la droite, l’autre la gauche dans cette grande rue océanique large de 60 milles marins, ne courent plus le danger de se précipiter l’un vers l’autre dans les nuits brumeuses, comme cela pourrait arriver.

D’autre part, les navires à vapeur et les pêcheurs qui seront obligés de traverser la rue d’Amérique sauront qu’ils ont besoin de prendre garde, comme les Parisiens quand ils se trouvent sur la chaussée du boulevard des Italiens.

La presse scientifique en Norwége. — Jusqu’à ce jour les Norwégiens ne se servaient que de la langue allemande pour se mettre en communication scientifique avec l’Europe civilisée. Ainsi les grands mémoires de Hansteen ont été résumés dans les Annales de Poggendorf. La direction du Journal des progrès des sciences de Christiania vient de décider que tous ses numéros seraient précédés par un sommaire en anglais, langue avec laquelle les dialectes scandinaves ont une grande affinité étymologique et grammaticale. La langue anglaise offre, en outre, l’avantage d’être beaucoup plus répandue que les idiomes germaniques, qui ne sont point en état de lui disputer le prix de la clarté.

Société scientifique de Buenos-Ayres. — La grande cité de l’Amérique méridionale ne reste pas étrangère au progrès ; elle vient de le prouver, en fondant tout récemment une Association scientifique à la tête de laquelle est placé un savant distingué, M. A. Luis Huergo. Le but de la société est d’encourager les recherches et les travaux scientifiques.

Nouvelle charrue mitrailleuse. — Voilà bien une invention américaine. Quelque excentrique qu’elle puisse paraître, elle n’en est pas moins véridique. La charrue mitrailleuse est représentée dans les journaux illustrés de New-York ; elle sert aux cultivateurs de l’intérieur pour se défendre contre l’attaque des Peaux-rouges. Un brave Yankee laboure son champ ; de loin des ennemis l’aperçoivent, ils se préparent à fondre sur un blanc sans arme : le laboureur, aussitôt, tourne sa charrue du côté de l’attaque, et lance la mitraille sur les sauvages, qui s’enfuient épouvantés. La nouvelle charrue est surmontée d’un petit canon, toujours chargé. Il paraît que ce n’est pas dans ces régions qu’il est permis de dire : O fortunatos nimium sua si bona norint agricolas !

Les examens scientifiques en Chine. — Le célèbre philosophe Confucius aurait institué, cinq siècles avant l’ère chrétienne, le Ven-Miao ou le Temple, où se passent les grands examens officiels. Ce temple par excellence est à Pékin, ce qui n’empêche pas que, dans chaque province, il existe une session annuelle, où l’on confère seulement le premier degré. C’est à Pékin seulement que le deuxième peut être obtenu. Le superlatif des distinctions littéraires et scientifiques est le Chwang-Yunen ou quatrième degré, que l’on nomme aussi « le premier des dix mille. » Cette dénomination provient de l’endroit affecté aux examens qui contient ce nombre de candidats. Il consiste en cent-vingt rangées de petites cellules mal bâties, réunies autour d’une pagode centrale. Chaque candidat se place dans cette cellule, dont la surface excède à peine un mètre, et juste assez haute pour qu’un homme puisse s’y tenir assis, ayant une planche formant table devant lui. Les files de cellules sont au nombre de quarante-cinq, et sont séparées entre elles par un couloir étroit ; le nombre total des cellules est de 9 999. Pendant toute la durée de l’épreuve, les candidats ne doivent communiquer avec personne ; ils sont constamment surveillés du haut de la tour de la pagode centrale, et par des gardiens qui circulent dans les couloirs séparatifs des cellules. Pendant tout le temps que les candidats sont « en loge, » on leur fournit des aliments préparés dans de grandes jarres en poterie, et de l’eau dans des vases mis à leur discrétion. Les candidats apportent avec eux une couverture pour s’envelopper pendant la nuit, et dormir assis sur la planche formant siège. Chacun reçoit un feuillet de papier estampillé, pour que la substitution soit impossible, et une pierre à délayer l’encre de Chine ; il apporte avec lui une théière pour ses repas.

Tous les nationaux ont le droit de se présenter au concours tous les trois ans, quel que soit leur âge ; si un candidat a la persévérance de se mettre ainsi en loge tous les trois ans, jusqu’à l’âge de quatre-vingt ans, l’empereur lui confère un titre particulier. Le concours supérieur de Pékin dure neuf jours, qui sont fractionnés en trois séries de trois jours chacune.

Les titres accordés sont : 1o Sien-Tsai, qui équivaut à bachelier ; 2o Chü-Jen, qui représente celui de docteur ; 3o Chan-Yunen, le plus élevé de tous, accordé seulement tous les trois ans, à Pékin. Le titre gagné à ces concours permet d’aspirer aux fonctions publiques ; il est écrit sur la porte de la maison. Les qualifications supérieures donnent droit à voir son nom gravé sur des tablettes de pierre, placées dans le temple de Confucius, pour passer à la postérité.

Développement de fungoïdes sur les oiseaux vivants. — Les parasites animaux et végétaux envahissent les animaux de taille supérieure, affectant tantôt la peau, tantôt l’intérieur du corps. Ainsi le larcina se développe dans les intestins de l’homme. M. le docteur James Murie a découvert des végétations cryptogamiques dans la membrane abdominale du rissa tridactyla ; il a vu le même cas se reproduire chez le cacatua cristata. Il croit pouvoir affirmer que les germes de ces fungoïdes sont des émanations directes du tissu épidermique, où ils auraient été introduits par une cause intérieure.

Les chauves-souris de l’époque antédiluvienne et les chauves-souris contemporaines. — Les animaux de grande taille ont beaucoup plus émigré que ceux de petite taille devant les conquêtes du monde par l’homme. Les carnassiers et les insectivores ont continué à vivre dans les lieux où ils sont nés. Nulle part la concurrence vitale n’a dû être plus puissante que chez les chauves-souris qui ont des traverses de périodes de froid, et qui ne trouvent des insectes pour pâture qu’à l’époque des chaleurs ; de plus, ces animaux, complètement indépendants, ont été plus propres à subir les effets de la sélection naturelle. D’après M. Van Beneden, les os des chauves-souris trouvés avec ceux des ours des cavernes sont identiquement semblables à ceux des représentants de l’époque actuelle. Ces animaux sont restés ce qu’ils étaient à l’époque de l’ours, du mammouth et du renne. La même observation s’applique aux mollusques terrestres, pour lesquels il n’y a pas eu non plus de concurrence vitale.

Singulière propriété acoustique d’une fontaine de l’Institut. — Un musicien distingué, M. A. Elwart, a eu l’idée de frapper de la paume de la main la vasque de pierre qui est dans la cour d’honneur de l’Institut. Il a reconnu que cette vasque rend un son musical qui correspond avec une extrême précision à l’accord parfait majeur de fa naturel. Tout le monde peut vérifier ce fait, très-intéressant au point de vue de l’acoustique.