Chronique du 27 décembre 1873

20 décembre 1873

27 décembre 1873

3 janvier 1874

CHRONIQUE

Nouvelles expériences spectroscopiques. — M. Norman Lockyer vient de publier, en Angleterre, dans le nouveau volume des Transactions philosophiques, un mémoire sur l’influence que la pression exerce dans la modification des raies brillantes du spectre de métaux ou dans l’inversion qu’elles produisent sur le spectre de la lumière qui les traverse. Notre savant confrère a trouvé que les résultats découverts sur quelques cas particuliers par MM. Frankland et Norman Lockyer doivent être généralisés, et que la diminution de pression a pour effet de réduire proportionnellement toutes les lignes brillantes du spectre direct et toutes les lignes noires du spectre interrompu. Les plus longues diminuent de longueur, mais sauf les dernières, qui disparaissent. Les expériences ont été faites à l’aide de la lumière électrique, moyen simple d’obtenir les raies brillantes des métaux incandescents.

Les sondages de l’océan Pacifique. — Un navire de la marine des États-Unis, le Tuscarora, a été frété par le gouvernement américain, pour relever les niveaux de l’océan Pacifique, afin de déterminer la direction la plus favorable d’un câble télégraphique sous-marin entre l’Amérique et l’Asie. Les membres de l’expédition ont déjà obtenu des résultats importants ; ils ont exploré le Pacifique jusqu’à 1 000 milles du cap Flattery, sur le territoire de Washington. Le fond de l’océan Pacifique diffère sensiblement de celui de l’Atlantique ; il paraît être plus tourmenté, plus irrégulier, rempli de vallons et de proéminences. La plus grande profondeur où la sonde ait pu parvenir est de 15 204 pieds anglais, près de 3 000 de plus que celle de l’Atlantique sur la route des câbles. Le sol du Pacifique consiste en une vase bleue noirâtre, mélangée de gravier et de coquillages.

Les œufs du Yama-maï. — La plus grande des difficultés qui retardent, en France, l’introduction de l’Attacus Yama-maï du Japon, l’espèce séricigène la plus précieuse après le ver à soie du mûrier, c’est l’éclosion hâtive des œufs avant l’apparition des feuilles de chêne. M. de Saulcy, à Metz, redoute beaucoup cette chance funeste pour ses persévérants élevages, et, cette année même, le manque de nourriture a détruit, dès leur début, les tentatives d’éducation du Yama-maï, à Londres, chez M. Wailly, et, dans l’Ardèche, sur la propriété de M. de Milly. Le retard des œufs à la glacière, si avantageux pour la graine de l’espèce vivant sur le mûrier, paraissait incertain à l’égard de l’espèce japonaise par la circonstance insolite suivante : la petite chenille est toute formée, dans l’œuf, quinze jours après la ponte ; l’effet du froid lui serait peut-être funeste. L’expérience a cependant été tentée, cette année, à la magnanerie expérimentale du bois de Boulogne, où les vers du Yama-maï, glacés en mars, ne sont parvenus à l’éclosion qu’au moment où les feuilles de chêne, bien sorties des bourgeons, leur assuraient une alimentation fortifiante ; malheureusement la maladie de la flacherie, qui sévit avec intensité à Paris, et depuis plusieurs années, sur les différents insectes producteurs de soie, a tout détruit vers la fin de l’éducation, de sorte qu’aucune conclusion n’était possible. Il n’en a pas été de même dans une autre localité, à Ferrussac (Haute-Loire). Des œufs, glacés en même temps que les précédents et confiés aux soins d’un très-habile sériciculteur, M. Le Doux, ont donné des chenilles robustes et de beaux cocons, d’où sont sortis des reproducteurs vigoureux. Il est utile que la publicité du journal la Nature fasse connaître ce résultat, qui peut avoir la plus heureuse influence, en donnant aux magnaniers un moyen bien simple de ne pas perdre leur temps et leur argent en essais infructueux, ce qui décourage nécessairement beaucoup d’entre eux.

Petites glacières domestiques. — Comme corollaire tout naturel de ce qui précède, nous ferons connaître les petites glacières très-économiques qui sont employées au laboratoire de M. Pasteur, à l’École normale pour la graine de ver à soie, pour les ferments, etc. Elles peuvent rendre de grands services pour la conservation du gibier, du poisson, etc. L’appareil se compose d’une fontaine de cuisine, en grès, placée au milieu d’un tonneau et entourée de coton cardé, corps très-mauvais conducteur de la chaleur, dont on forme aussi le tampon épais servant de couvercle au tonneau. Une longue caisse de fer-blanc, percée de petits trous, si on veut, et où on place les objets à glacer, occupe le centre de la fontaine. On jette entre elle et les parois des morceaux de glace. Un kilogramme de glace, dépense insignifiante, suffit pour maintenir la température de zéro, pendant trois à quatre jours, tant est lente, avec cette disposition, la fusion de la glace, dont l’eau s’écoule ensuite par le robinet de la fontaine, qu’on a eu soin de faire sortir hors du tonneau. Chacun peut installer, à la cave ou dans un sous-sol un appareil aussi simple et aussi peu coûteux.

Nouveau chauffage économique. — On parle beaucoup, depuis quelque temps, d’un combustible formé de trois parties de terre végétale et d’une partie de menu charbon. Le tout est arrosé d’une dissolution de sel de soude. Vous avez avec ce mélange, disent les apologistes, un combustible admirable, qui chauffe aussi bien que du charbon. Il se peut que du menu charbon brûle tant bien que mal, même étant associé à une matière inerte ; mais il est évident que le sable et l’argile de la terre végétale ne brûlent pas, et que ces substances ne peuvent fournir de la chaleur. Il faut être bien ignorant pour ajouter foi à de telles inventions, qui ne sont, en définitive, que recettes de bonnes femmes ou de charlatans.

Le successeur de Donati. — Nous sommes heureux d’apprendre à nos lecteurs que le gouvernement italien vient de donner un digne successeur à l’illustre Donati. C’est M. Schiaparelli, auteur de la Théorie nouvelle des étoiles filantes, qui est appelé à remplir cette haute fonction. Jeune d’années, mais figurant déjà au nombre des grands astronomes du siècle, M. Schiaparelli ne peut manquer d’augmenter rapidement la réputation de l’Observatoire d’Arcetri. Si nous en croyons nos pressentiments, il se montrera digne comme son prédécesseur d’occuper les lieux immortels où expira le grand Galilée.

Le musée d’ethnographie du Louvre. — Dans la séance de l’Assemblée nationale du 16 décembre, M. Edouard Charton, prenant part à la discussion du budget de l’instruction publique, a fait, relativement au musée d’ethnographie du Louvre, une proposition qui nous parait de nature à être prise en considération. Il s’agirait d’agrandir le musée du Louvre, en lui ouvrant les salles où sont contenues les collections de navires et d’ethnographie. « Ces collections, dit avec raison M. Charton, ne sont point là à leur place, elles sont trop à l’étroit et en quelque sorte comprimées entre ces murailles, comme le serait l’enfant qui veut grandir dans un berceau trop petit. » L’orateur demande que ces musées spéciaux soient désormais compris dans les attributions du ministre de la marine, qu’on les transporte dans un local plus vaste, comme à l’hôtel des Invalides, où ils ne manqueraient pas de se développer, en étant plus à l’aise, en même temps qu’ils rendraient à l’art une place qui lui appartient. Nous nous rallions entièrement à ces sages et utiles considérations.

Les restes d’un grand homme. — La commission scientifique, chargée d’étudier, au point de vue anthropologique, les restes de F. Pétrarque, et de publier le résultat de ses observations à l’occasion du centenaire du grand poète, a procédé, dans les premiers jours de ce mois, à l’ouverture de l’urne de granit rose, au milieu d’un grand concours de monde. Les os, qui, au lieu d’être réunis dans une caisse de bois ou de métal, étaient épars sur une simple planche, étaient de couleur d’ambre, humides et moisis en partie. Le crâne, de moyenne grandeur, était intact ; l’os frontal assez développé. Les mâchoires contenaient encore plusieurs dents, parmi lesquelles diverses molaires et incisives assez bien conservées. Les orbites étaient très-larges. Presque toutes les vertèbres et les côtes ont été retrouvées. Les os du bassin étaient en bon état, ainsi que les omoplates, les humérus et les autres os des bras ; les apophyses des fémurs et des tibias très-prononcées. On a découvert enfin une quantité de petits os, qui composaient probablement les mains et les pieds. Des vêtements il ne restait qu’une poudre noirâtre. De la grosseur et de la longueur des os, on est autorisé à conclure que Pétrarque était un homme de taille moyenne et de constitution robuste. On a déposé dans l’urne, avant de la refermer, une bouteille cachetée renfermant un acte commémoratif de l’étude anthropologique, accomplie par les soins et aux frais de l’Académie de Bovolenta, et signé par la plupart des délégués intervenus à la cérémonie.

Le prix d’Ourches et les signes de la mort réelle. — Dans une des dernières séances de l’Académie de médecine, M. Devergie a lu un remarquable rapport sur le prix du marquis d’Ourches, prix de 25 000 francs, à décerner à celui qui découvrirait un moyen infaillible pour reconnaître la mort certaine. Ce moyen devrait être assez simple, assez primitif pour être à la portée de tout le monde, d’un simple villageois, d’un individu dénué même de toute instruction. À côté de ce prix, le testateur en avait institué un autre de 5 000 francs pour la découverte d’un moyen scientifique d’arriver au même résultat. L’importance du prix de 25 000 francs avait tenté bien des gens de toutes classes, de toutes conditions ; aussi l’Académie a-t-elle reçu 102 mémoires, sans compter ceux qui lui sont parvenus après l’expiration des délais réglementaires. Sur ces 102 mémoires, 32 seulement ont été juges dignes d’un examen sérieux, et M. Devergie rend compte, avec critiques et réflexions à l’appui, des différents moyens proposés par les auteurs de ces mémoires. Personne n’a gagné le fameux prix de 25 000 francs. Ce prix retournera donc à la famille, suivant les volontés du testateur. Quant au prix de 5 000 francs, il est plus que probable qu’il sera partagé entre différents concurrents qui ont présenté des mémoires intéressants.

Tout le monde comprendra l’importance de cette grande question. On sait que, dans certains cas de léthargie, un homme peut paraître mort, sans que la vie l’ait cependant abandonné. Il y a malheureusement des cas nombreux de personnes enterrées vives. L’idée seule d’un effroyable réveil, dans une bière, enfouie en terre, donne le frisson. Celui qui gagnera le prix du marquis d’Ourches sera un véritable bienfaiteur de l’humanité.

Les lièvres de Patagonie. — Le Jardin d’acclimatation a fait récemment l’acquisition de maras ou lièvres de Patagonie. C’est la seconde fois qu’il reçoit cette espèce. Le couple qu’il possédait avant la guerre a succombé pendant l’hiver de 1870. Le mara est une utile conquête à tenter, car il est de grande taille, sa chair est abondante et de bon goût. Si on réussit à le faire multiplier en Europe, ce sera un gibier de parc très-intéressant. Les nouveaux pensionnaires du Jardin d’acclimatation ont creusé un terrier qui met en communication l’intérieur de l’abri qui a été mis à leur disposition avec l’extérieur. Ils préfèrent ce chemin voûté par leurs soins à la porte qui leur avait été faite. Les maras sont doux et inoffensifs ; ils passent la plus grande partie du jour assis sur leur derrière ou couchés.

À ce propos, il est bon de faire remarquer combien leur allure et leur port diffèrent de ceux des lièvres, auxquels leur nom de lièvres de Patagonie tend à les assimiler. Au pas, au trot et au galop, les maras ont beaucoup plus l’allure de cerfs que de rongeurs.