Chronique de la quinzaine - 31 octobre 1884
31 octobre 1884
Comment notre ministère et notre parlement vont-ils aborder les questions de toute sorte qui pèsent sur eux, qui ne sont trop évidemment que la suite de leurs faiblesses et de leurs fautes ? Comment réussiront-ils, non pas à résoudre complètement ces questions, ce serait trop demander, mais à les éclaircir et à les ramener à des termes tels qu’elles ne soient plus une obsession ou un péril ? Depuis quinze jours déjà nos chambres sont réunies et elles sont à peine à l’œuvre, elles n’ont été occupées jusqu’ici qu’à des diversions de fantaisie ou à des discussions qui ne sont pas toujours sérieuses. Cependant le temps presse ; cette session extraordinaire qui vient de commencer ne peut avoir que quelques semaines de durée, et pendant ces jours rapides, gouvernement et parlement ont de toute nécessité à prendre un parti sur les affaires les plus pressantes, sur les plus graves intérêts publics. Ils ont à décider d’abord ce qu’on fera en Chine et au Tonkin, ce qu’il faudra de forces nouvelles et de crédits, quelle direction on donnera à une entreprise incessamment paralysée jusqu’ici par toutes les incertitudes et les contradictions d’une politique insaisissable ; ils ont aussi à s’entendre sur une situation financière embarrassée, à aborder sérieusement le budget, à le discuter et à le voter, si l’on ne veut pas se laisser réduire au misérable expédient des douzièmes provisoires ; ils ont enfin à se prononcer sans plus attendre sur le régime électoral du sénat, si l’on veut que la loi nouvelle puisse être appliquée aux élections prochaines du mois de janvier. Commenter ! quelques semaines viendra-t-on à bout de tout cela ? On ne cesse de répéter à propos de toutes les questions importunes qu’il faut en finir, et la vérité est qu’on n’en finit pas, qu’on ne se hâte pas, qu’en dépit de toutes les commissions occupées à délibérer, à préparer des rapports, rien ne se dessine d’une manière distincte ou à demi rassurante. On continue à se débattre dans une certaine impuissance agitée, parce qu’il est malheureusement vrai qu’on ne se rend pas compte de la gravité des choses, que dans une situation où il faudrait l’expérience, une forte raison politique, une résolution éclairée, on porte plus que jamais les imprévoyances, les infatuations, les petiis calculs, les préjugés, les impérities qui ont créé justement toutes les difficultés du jour. Savez-vous où est le mal du moment ? C’est qu’on ne voit pas clair dans toutes ces questions qui s’agitent, ni dans la guerre de Chine, ni dans les finances, ni dans la réforme du sénat, ni dans bien d’autres choses, et qu’on ne croit pas du tout à ceux qui, après avoir créé les embarras par leur politique, n’ont à offrir d’autre remède que leurs procédés, leurs vanités et leurs tactiques de parti.
Et d’abord voici cette guerre de la Chine et du Tonkin. Certes, s’il est une affaire qui touche le seniiment public, c’est cette affaire où nos soldats, engagés au loin, se dévouent, combattent et meurent pour le pays, pour l’honneur du drapeau. Quelle que soit la politique qui les envoie, soldats et marins sont toujours prêts à marcher. Ils ont fait leur devoir à Fou-Tchéou, dans cette action qu’un rapport récent de M. l’amiral Courbet a remise en sa vraie lumière, sans rien exagérer et sans iien affaiblir. Ils ont vaillamment combattu à Kelung, à Tamsui, dans l’île de Formose, aussi bien qu’à Bac-Niuh, à Lang-Kep, à Bac-Lé, partout où ils ont trouvé l’ennemi. Il n’y a que quelques jours encore, sous les ordres du colonel Donnier, ils ont vigoureusement refoulé à Chu les bandes chinoises qui envahissaient le Tonkin et ils ont planté leur drapeau sur les positions conquises. Tout ce que des chefs militaires dévoués et de courageux soldats pouvaient faire avec des moyens limités et des instructions peu précises a été fait visiblement. Il ne reste pas moins avéré qu’au lendemain de chaque action, nos soldats ont été obligés de s’arrêter, qu’ils semblent en ce moment réduits à se défendre contre une invasion chinoise, et, qu’après deux années de tâtonnetïiens, d’expériences, de négociations, de marches et de contremarches, la question de l’occupation du Tonkin, de la paix ou de la guerre avec la Chine n’est pas plus avancée ; elle reparaît, tout entière. S’il en est ainsi encore à l’heure qu’il est, si les succès obtenus par nos soldats n’ont rien décidé pour l’avenir de cette lointaine entreprise, à qui la faute ? Elle n’est certainement qu’à une politique qui, depuis deux ans, semble aller à l’aventure, sans avoir une idée fixe, toujours partagée entre des résolutions contradictoires, entre la paix et la guerre, engageant l’action et craignant de demander les crédits nécessaires, marchandant à nos chefs militaires les renforts dont ils auraient eu besoin pour marcher, pour remplir leur mission jusqu’au bout. — Il faut en finir avec ces tergiversations perpétuelles, il faut agir, dit-on bravement aujourd’hui. Oui, sans doute, il faudrait sortir une bonne fois de ces confusions ; seulement, pour en finir, la première condition est de savoir d’abord ce qu’on veut et de prendre ensuite résolument tous les moyens qu’exige une affaire sérieuse. Le gouvernement et la commission des crédits du Tonkin, composée de ceux qui veulent en finir, savent-ils bien eux-mêmes ce qu’ils se proposent, jusqu’où ils ont l’intention d’aller ? C’est là peut-être ce qui n’est pas encore bien clair. Cette commission des crédits du Tonkin paraît fort occupée, et, comme si elle n’avait pas assez à faire, elle se livre à des discussions bien singulières. La grande question est de savoir si les communicaiions du gouvernement resteront confidentielles ou si elles seront publiées, si on ne livrera pas à la curiosité universelle les déclarations de M. le président du conseil ou de M. le ministre de la guerre, les dépêches diplomatiques, les ordres militaires, les rapports des généraux. Le secret ne fût-il confié qu’à une commission ainsi composée, on peut être tranquille, il sera bien gardé. C’est ainsi que certains républicains entendent l’art de gouverner et de conduire une entreprise lointaine ! Quand on en aura fini avec cette procédure préliminaire, qui paraît avoir été vivement débattue entre le gouvernement et la commission, il restera toujours le point essentiel ; il s’agira de savoir quelle politique on veut suivre, quels moyens d’action on est décidé à mettre à la disposition de nos généraux.
C’est là en définitive toute la question, telle qu’elle est posée dans la commission des crédits, telle qu’elle va se présenter devant les chambres. Tous les subterfuges sont désormais inutiles, il faut prendre un parti. Évidemment si l’on veut restreindre le plus possible cette entreprise engagée depuis plus de deux ans, si, comme on a paru le vouloir à un certain moment, on borne son ambition à occuper quelques points du Tonkin, dans le Delta, ce n’est pas la peine d’engager outre mesure les forces et le drapeau de la France, de surcharger nos finances, de braver pour un médiocre résultat les rivalités, les susceptibilités qui peuvent être un embarras pour notre politique. Si, après avoir commencé cette expédition, on veut aller jusqu’au bout et assurer la domination française jusqu’aux frontières du Tonkin, il n’y a plus qu’une résolution à prendre : il faut demander des crédits suffisans et expédier des troupes nouvelles à notre corps d’opérations. Ce n’est pas seulement une nécessité, c’est ce qu’il y a de plus prévoyant pour la sûreté de nos soldats. Napoléon, qui connaissait l’art militaire peut-être aussi bien que nos députés, écrivait un jour à un de ses lieutenans, au prince Eugène, qu’il avait eu tort de disséminer son armée, de hasarder une troupe peu nombreuse qui avait été enlevée et qui devait l’être ; il lui rappelait que c’était une règle de la guerre de « ne pas faire de petits paquets, » qu’un corps de 25 à 30,000 hommes pouvait seul être isolé sans péril, qu’un régiment pouvait être tourné et coupé, que quatre régimens ne l’étaient pas, parce qu’ils formaient une masse compacte capable de résister. Qu’on applique ces maximes de guerre à toutes les situations, même à celle du Tonkin : cela veut dire que, depuis longtemps, on aurait dû mettre noire corps expéditionnaire en mesure de se suffire à lui-même, qu’en envoyant, escouade par escouade, des forces insuffisantes, on les exposait, on les compromettait, et on risquait sans cesse d’être entraîné par de malheureux incidens au-delà de toutes les prévisions. C’est ce qui est toujours arrivé. Si, à l’origine, l’infortuné Rivière avait eu, non pas une armée, mais un millier d’hommes, il n’aurait pas péri dans l’obscure échauffourée qui a été le point de départ de toutes les complications. Si le chef militaire qui a été envoyé, il y a quelques mois, sur la route de Lang-Son avait eu les forces qu’il devait avoir, sans lesquelles sa marche n’était qu’une imprudence, il n’aurait pas été arrêté, réduit à se dégager par une pénible retraite, et le douloureux incident de Bac-Lé n’aurait pas encore une fois tout compromis. Si, après les derniers succès de M. le général de Négrier, de M. le colonel Doniiier, nos cootingens avaient été suffisans, ils n’en seraient pas à se retrancher, à se défendre contre des Chinois qu’ils ne peuvent poursuivre. Si M. l’amiral Courbet, il y a quelques semaines, avait eu les troupes qui lui étaient nécessaires pour l’occupation de Formose, il n’aurait pas été retenu devant Kelung, devant Tamsui. Partout, à toutes les dates, c’est l’insuffisance des forces qui a empêché de prévenir les difficultés, ou de les dominer, ou d’agir à propos, et c’est parce qu’au début on a craint de dire la vérité, de demander des crédits relativement modestes, qu’on se trouve entraîné maintenant à des sacrifices beaucoup plus sérieux.
La conclusion est donc que, si l’on veut en finir comme on le dit aujourd’hui, il n’y a plus à marchander avec la nécessité, et qu’au lieu de perdre son temps à la recherche de secrets militaires ou diplomatiques dont la divulgation est souvent dangereuse, la commission n’a rien de mieux à faire que de proposer de sérieux moyens d’action. Et c’est d’autant plus vrai qu’il y a une circonstance nouvelle avec laquelle après tout on doit compter. Autrefois, on disait volontiers que les Chinois ne se battaient pas, qu’ils prenaient la fuite dès qu’ils craignaient d’être tournés, qu’ils n’étaient pas armés à l’européenne ; maintenant ils se battent, ils ont des armes perfectionnées, et bien que le courage, l’instruction, la discipline, gardent certes toujours leur supériorité sur le nombre, une poignée d’hommes ne peut pas en fin de compte avoir raison de masses incessamment renouvelées. C’est un vrai corps expéditionnaire qu’il faut au Tonkin. Comment y suffira-t-on ? )^ sera-ce par des engageraens volontaires ou par une organisation spéciale pour laquelle un projet a été déjà présenté ? C’est un peu l’affaire de M. le ministre de la guerre si on lui en donne les moyens, comme c’est l’affaire de M. le président du conseil de fixer sans réticence, sans équivoque, les limites et le but de l’entreprise où il a engagé la France ; mais, dans tous les cas, la pire des politiques serait de se payer encore une fois de compromis douteux, de continuer, par un accord trompeur du gouvernement et du parlement, un système qui n’offrirait au pays ni la sécurité de la paix ni les avantages de la guerre.
La vérité est qu’il y a un moment où il faut prendre une résolution dans ces sortes d’affaires de diplomatie et de guerre compromises par une série de fautes, comme il y a un moment où il faut oser avouer qu’on s’est trompé dans les affaires financières. Il n’est point douteux que si on avait été à demi prévoyant depuis quelques années, on aurait traité les finances publiques avec plus de ménagement. On n’aurait ni épuisé le crédit par des emprunts multipliés, ni chargé le budget de dépenses toujours croissantes, de dotations démesurées, de toutes les fantaisies de parti. Les républicains du gouvernement et du parlement se sont conduits en politiques prodigues des ressources nationales. Ils ont fait en cela ce qu’ils ont fait en tout : ils ont abusé, dans un intérêt de fausse popularité, en croyant capter le pays par les chemins de fer, par les écoles, par les subventions, par les distributions d’emplois. Malheureusement cela n’a pas duré, cet étrange système a eu ses conséquences. Le crédit s’est fatigué et la prospérité s’est ralentie ; les dépenses qu’on a créées sont restées, les revenus ont diminué. Le résultat de ces quelques années d’un règne de parti, c’est cette crise financière que les républicains ont préparée eux-mêmes par le gaspillage organisé de la fortune publique, et il ne sert à rien aujourd’hui de se révolter contre l’évidence, d’affecter un optimisme frivole, d’essayer de pallier par des déclamations banales les embarras d’une situation compromise. La réalité est dans les chiffres du budget, elle sera mise au grand jour dans de prochains débats, et c’est là encore un point sur lequel gouvernement et parlement ont à s’expliquer, à prendre un parti.
Le déficit existe, cela n’est pas douteux, il est depuis quelques semaines un perpétuel objet de délibérations entre M. le ministre des finances et la commission du budget. Quel remède a-t-on trouvé ou trouvera-t-on ? On avait parlé un instant de nouveaux impôts ; on s’est hâté d’y renoncer, non pas parce qu’une nouvelle charge eût été cruelle pour le pays, mais parce qu’on ne pouvait parler d’impôts nouveaux dans une année d’élections, et, ce qu’il y a de plus curieux, c’est que le gouvernement et la commission du budget se renvoient maintenant la responsabilité de ce propos naïf. Les députés prétendent que c’est M. le président du conseil qui a donné cette raison pleine de candeur ; les amis de M. le président du conseil assurent que c’est la commiasion du budget qui a imaginé cette considération victorieuse de l’intérêt électoral. Toujours est-il que la raison a paru décisive, et que d’un commun accord on a renoncé à de nouveaux impôts, — au moins pour cette année prochaine, c’est-à-dire pour l’année des élections. Comment faire alors pour rétablir une apparence d’équilibre ? Il ne restait plus que les réductions de dépenses, les économies ; mais où prendre les économies ? Il eût été possible sans doute de supprimer un certain nombre d’emplois, ne fût-ce que ceux qui ont été inutilement créés depuis quelques années ; on n’y a pas même songé. On s’est mis à fouiller dans tous les services, dans tous les ministères, avec l’arrière-pensée de satisfaire, chemin faisant, de vulgaires rancunes. On a pris même à l’Institut une petite somme, — 10, 000 francs pour combler le déficit ! — et on a surtout largement puisé dans le budget des cultes, dans les dotations des chapitres, des vicaires-généraux, des séminaires, qu’on a diminuées de quelques millions. C’est toujours la grande préoccupation qui reparaît à propos de tout ! Le rapporteur du budget, M. Jules Roche, proposait même comme un supplément de ressource un impôt sur les congrégations, et M. Paul Bert, qui tient à ne pas être oublié, a trouvé mieux : il a imaginé de mettre la main sur les palais épiscopaux, sur un certain nombre d’édifices ecclésiastiques et de les vendre : on fera toujours quelques millions. Voilà qui est un système ! Seulement si on n’a pas d’autre moyen de combler le déficit, de rétablir l’équilibre des finances, le pays sait d’avance qu’il n’échappera pas aux impôts nouveaux, — après les élections.
Ces étranges politiques ont beau faire, ils ont beau avoir devant eux les affaires les plus épineuses, les intérêts les plus graves, ils ne peuvent se défendre de leurs vulgaires préjugés et s’élever au-dessus d’une désespérante médiocrité. On dirait que, pour eux, l’art du gouvernement se réduit à jouer avec la fortune de la France, à satisfaire leurs passions et à assurer le plus possible leur domination de parti. Ce triste esprit se manifeste partout, même, on peut le craindre, dans le nouveau régime électoral proposé pour le sénat comme une conséquence de la dernière revision constitutionnelle. Certes, cette revision accomplie il y a trois mois a été un tapage inutile. Puisque c’était fait, on aurait pu du moins saisir l’occasion de donner une sérieuse et forte organisation à la première de nos assemblées, à cède qui, après tout, depuis quelques années, a le plus marqué par sHs lumières, par l’éclat et l’autorité de ses discussions. Pas du tout, on fait de cette réforme un expédient de parti. Voilà où aboutit tout ce bruit de la revision. D’abord les inamovibles disparaissent, c’était facile ik prévoir, et le système que proposait le gouvernement en prétendant faire élire les inamovibles par les deux chambres réunies n’était qu’une autre manière de les tuer. Ils disparaissent, et par cela même le sénat n’aura plus la ressource d’appeler dans ses rangs des hommes supérieurs, qui ne sont pas accoutumés aux brigues électorales. Comment les remplacera-t-on ? On ne les remplacera pas ; tous les sénateurs seront désormais élus de la même manière par les départemens. La seule originalité du nouveau régime consiste, non dans l’augmentation du nombre des électeurs sénatoriaux, mais dans une certaine proportionnalité des délégations municipales, qui s’accroîtront selon le chiffre de la population et l’importance des corps municipaux. Si l’on cherche la raison de cette innovation, qui annule les petites communes au profit des grandes, elle n’est pas difficile à trouver, elle a été avouée naïvement, celle-là aussi : c’est que la combinaison nouvelle doit être plus favorable aux candidats républicains.
C’est le dernier mot ! Une réflexion bien simple ou un souvenir vient cependant à l’esprit. Il y a déjà bien des années, l’empire faisait, lui aussi, ses circonscriptions électorales ; il les accommodait pour le succès de ses candidats et on s’élevait alors contre cette prétention arrogante de faire des élections un instrument de règne. Les républicains d’aujourd’hui ne font rien de plus, rien de moins, ils imitent tant qu’ils peuvent les abus, les pratiques de l’empire en les aggravant, et si c’est avec cet esprit qu’ils se disposent à aborder toutes les questions qu’ils ont devant eux, la réforme du sénat, le budget, les affaires extérieures, cela promet. Cette session qui commence risque fort de n’être que la continuation d’une dure expérience, l’expérience du gouvernement d’un grand pays par la médiocrité tapageuse, incohérente et stérile.
L’heure des affaires est revenue aussi pour l’Angleterre. Le parlement s’est rouvert il y a quelques jours, et le discours qui a été lu au nom de la reine Victoria, qui inaugure cette session inusitée d’automne, n’a certes par lui-même rien de saillant ni de caractéristique. Il est d’un laconisme insignifiant ou prudent. Il a tout au plus quelques mots vagues sur les relations de la Grande-Bretagne avec les autres puissances, sur l’Egypte, sur l’expédition du Soudan, sur la nécessité de voter de nouveaux crédits. Le discours royal ne dit à peu près rien. Ce n’est pas cependant que tout soit pour le mieux dans les affaires de l’empire britannique. Tout, au contraire, est laborieux, difficile au moment où s’ouvre cette session extraordinaire, et ce que la reine ne dit pas dans son discours, elle le laisse à dire au parlement, dont les discussions prochaines vont peut-être avoir une importance particulière, décisive pour l’ascendant britannique. En réalité, l’Angleterre, quelles que soient ses ressources et sa puissance, passe aujourd’hui par une crise assez grave de politique extérieure et intérieure, dont le chef du ministère lui-même, M. Gladstone, semble avoir le sentiment, à en juger du moins par l’accent sérieux et ému de ses derniers discours.
Ce n’est pas l’Égypte seule qui est une difficulté extérieure pour l’Angleterre. À la vérité, par la manière dont il a conduit toute cette affaire égyptienne, par les mesures dont il a été l’instigateur au Caire, par les obligations qu’il s’est imposées comme par ses procédés avec l’Europe, le gouvernement de la reine s’est créé d’assez sérieux et d’assez inextricables embarras. Il cherche visiblement aujourd’hui un moyen d’en sortir. Il a envoyé au Caire un commissaire extraordinaire, lord Northbrook, dont il attend maintenant le retour pour faire des propositions nouvelles, et, avec ces propositions, il pourra peut-être offrir aux intérêts européens, aux cabinets quelque combinaison, des garanties de nature à atténuer ce qu’il y a eu un moment d’aigu et de pénible dans ces affaires. Une solution d’équité et de raison, rassurante pour tous les intérêts, n’est point sans doute au-dessus des efforts d’une diplomatie prévoyante et bien intentionnée ; mais cette question égyptienne, qui a traîné jusqu’ici et qui traîne encore, n’est plus peut-être qu’un incident aujourd’hui. La politique suivie par l’Angleterre a été tout au moins l’occasion d’un changement sensible dans les relations générales ; elle a contribué à créer cette situation assez imprévue, assez compliquée qui s’est dévoilée surtout le jour où M. de Bismarck a pensé pouvoir prendre une sorte de revanche de l’échec de la conférence de Londres en proposant de réunir à Berlin une autre conférence pour régler les affaires d’Afrique, les conditions des établissemens coloniaux du Congo et du Niger. Le chancelier allemand, l’homme aux habiles diversions de diplomatie, a cru visiblement pouvoir profiter de l’isolement un peu égoïste où l’Angleterre s’était placée vis-à-vis des autres nations, particulièrement vis-à-vis de la France ; il a cru le moment favorable pour obtenir de l’Europe la sanction de ses propres vues de politique coloniale, pour limiter par un système de droit international la prépotence à laquelle l’Angleterre a toujours prétendu dans toutes les parties du monde, dans toutes les mers, et il a fait sa proposition de conférence à Berlin. L’Angleterre ne s’est pas trompée un instant sur la portée de cet acte hardi de diplomatie, qui accentuait son isolement, qui semblait faire échec à son ascendant traditionnel de puissance maritime et coloniale. Elle a fini, à ce qu’il paraît, par se rallier à la proposition de conférence de M. de Bismarck ; elle avait commencé par se redresser sous le coup d’aiguillon qui l’atteignait. Après avoir parlé avec quelque dédain de l’isolement de la France, elle s’est vue seule à son tour dans une situation diplomatique sensiblement modifiée. Elle a éprouvé un évident malaise qui s’est traduit par une sorte de révolte d’orgueil, et c’est, après tout, ce sentiment que M. Gladstone exprimait l’autre jour, lorsqu’à la veille de la session, allant inaugurer un chemin de fer non loin de Liverpool, il retrouvait le langage fier et altier des grands hommes d’état britanniques sur « la puissance, la force et la richesse de l’Angleterre. » M. Gladstone répondait bien sans doute à quelqu’un, ou à quelque préoccupation inavouée lorsqu’il disait avec une éloquence superbe : «… Si vous entendez des hommes pusillanimes parler du déclin présent ou futur de cet empire, ne prêtez pas l’oreille à de pareilles fables… Mettez-vous bien dans la tête que le jour n’est pas venu, que le jour ne viendra pas où, ayant pour vous le bon droit, vous devrez craindre de regarder en face une puissance quelconque dans une partie quelconque du monde… »
Oui, certes, l’Angleterre reste une grande nation qui n’est pas près de son déclin. Elle ne peut pas se considérer toujours cependant comme une puissance unique et privilégiée, en mesure de se passer de tout le monde, de ne tenir aucun compte des intérêts des autres nations. Avec plus de justice et de prévoyance dans ses conseils, chez ceux qui la représentent ou qui parlent en son nom, elle aurait compris qu’il n’y avait que des inconvéniens à laisser l’opinion s’égarer à propos de tout en animosités perpétuelles et en contestations acrimonieuses contre la France, que l’alliance des deux pays restait encore la plus forte des garanties pour l’Europe libérale ; elle aurait peut-être évité ainsi bien des incidens qui, sans la menacer dans sa puissance, lui créent au moins une situation délicate, et M. Gladstone, qui parle avec une si fière éloquence de la grandeur de son pays, M. Gladstone lui-même, avec les fluctuations incessantes de sa poUtique, n’est pas sans doute étranger à cet embarras des affaires extérieures de l’Angleterre.
Quant aux affaires intérieures, dont se préoccupe toujours beaucoup plus le chef du ministère anglais, elles se résument à peu près exclusivement dans la réforme électorale, et ce n’est même que pour cette réforme que le parlement est réuni aujourd’hui. La question a-t-elle fait un pas depuis que les chambres se sont séparées, pendant cet interrègne parlementaire de deux mois qui a été rempli de toute sorte de manifestations et de discours ? Elle a déjà passé par bien des phases sans devenir plus claire et plus précise. Tantôt le conflit a paru s’apaiser sous l’influence a’un certain esprit de conciliation ; tantôt il a semblé se raviver sous les excitations des partis. Où en est-on aujourd’hui ? Jusqu’ici, dans les deux camps, les adversaires ont gardé leurs positions de combat, et si les chefs conservateurs se sont montrés résolus à la résistance, un des membres du cabinet, M. Chamberlain, prononçait de son côté, il y a quelques jours, un discours des plus acerbes, des plus menaçans contre les lords. Ce qui ferait croire cependant que tout n’est pas perdu, qu’il y a encore des chances de transaction et de paix, c’est que, dès la réunion du parlement la véhémence des chefs de parti s’est quelque peu adoucie. Lord Salisbury, sir Stafford Northcote ont évité de s’engager par de trop vives déclarations de guerre ; ils ont paru plutôt disposés à attendre sans irupatience, sans paiii-pris, le bill de réforme, et ils ont même laissé entrevoir des intentions conciliantes, si le gouvernement faisait droit à leurs griefs. La difficulté, on le sait, est tout entière dans la simultanéité du bill qui étend le droit de suffrage à deux millions de nouveaux électeurs et du bill qui fixe les nouvelles circonscriptions électorales. Les tories, b-ans refuser de souscrire à l’extension du suffrage, entendent que la réforme ne soit appliquée qu’avec les nouvelles circonscriptions après le vote de ce qu’on appelle la « redistribution. » Le ministère, de Bon côté, en refusant de subordonner absolument l’extension du suffrage au règlement des circonscriptions, s’engage néanmoins à faire voter immédiatement ce dernitr bill, et il l’a même déjà préparé. C’est en définitive une simple question de priorité ou de simultanéité qui va être soumise aux conservateurs comme aux libéraux du parlement. Telle quelle, la transaction proposée par le ministère peut ne pas plaire aux radicaux des meetings et des manifestations ; elle vaut certes mieux que la guerre organisée et perpétuée contre les institutions, et M. Gladstone faisait récemment, dans un langage ému, presque pathétique, un dernier appel à l’esprit de sagesse. Il suppliait les conservateurs de « ne pas jouer témérairement le sort de la constitution du pays pour une question de procédure parlementaire. » Il déplorait les proportions que prenait sous ses yeux un conflit qu’il avait « travaillé de tout son cœur, de toutes ses forces » à limiter. C’est qu’il sentait lui-même le danger de livrer l’honneur des institutions nationales aux passions populaires, d’ajouter les agitations intérieures aux difficultés extérieures, de prolonger indéfiniment une crise que cette session extraordinaire peut dénouer, — ou peut-être aggraver, — selon les votes du parlement.
La Belgique, sans être aussi grande que l’Angleterre, occupe le monde de ses agitations, et ses affaires sont fertiles en surprises. Les élections se succèdent et ne se ressemblent pas. Les majorités qui sortent d’une série de scrutins sont changeantes ou confuses. Les ministères ne sont pas assurés de vivre même avec l’appui du parlement, et, en fin de compte, la Belgique, dans son histoire la plus récente, offre un abrégé assez complet des contradictions, des oscillations d’opinion qui peuvent se produire à quelques mois, à quelques semaines d’intervalle, dans un pays libre.
Que se passe-t-il en effet ? Le peuple belge consulté, il y a quatre mois à peine, dans des élections pour le renouvellement partiel de la chambre des représentans, se prononce avec une netteté imprévue contre le ministére libéral établi depuis quelques années au pouvoir et donne une majorité décisive à l’opposition catholique et indépendante. Peu de jours après, ce vote significatif n’est point démenti dans les élections du sénat. C’est donc une situation nouvelle qui trouve naturellement son expression dans un ministère catholique et indépendant élevé au pouvoir pour représenter la majorité récemment élue par le pays. C’est la plus simple loi du régime parlementaire. Les libéraux ne se tiennent pas pour battus, ils crient à la surprise, au subterfuge : c’est aussi leur droit, c’est le droit de tous les partis vaincus. Seulement, à peine revenus de l’étonnement de leur défaite, les libéraux ont commencé à se remuer, à se livrer aux démonstrations violentes, à exciter toutes les passions libérales et même révolutionnaires contre ce qui était après tout l’œuvre du pays. Le ministère formé sous la présidence de M. Malou, avec M. Jacobs, M. Wœste, M. de Moreau, M. Bernaert, a trouvé devant lui, non plus simplement une opposition légale facile à prévoir, mais une agitation organisée qui est devenue une sorte de sédition le jour où le nouveau gouvernement a eu l’idée de présenter une loi d’enseignement destinée à réformer la loi scolaire des libéraux. Le ministère s’est-il montré bien prudent avec sa loi sur les écoles primaires ? N’aurait-il pas mieux fait d’éviter tout ce qui pouvait avoir un air de réaction, tout ce qui pouvait ressembler à une politique de représailles ? Ce qui est arrivé depuis prouve bien que, si le ministère était dans son droit en présentant une loi qui a été après tout votée par le parlement, il eût été plus habile en se montrant plus modéré. Toujours est-il que les libéraux se sont fait aussitôt une arme de cette nouvelle loi scolaire pour exciter les inquiétudes et propager l’agitation. Ils ont eu les grandes manifestations qui ont dégénéré parfois en violons conflits des rues, les compromis et remontrances des bourgmestres, les pétitions bruyantes et menaçantes, les démonstrations sur le passage et devant l’hôtel des ministres. Ils ont essayé de circonvenir le roi Léopold pour lui imposer, sous une pression révolutionnaire, le désaveu d’une majorité librement élue, la dissolution d’un parlement né de la veille. Les libéraux ont mené hardiment la campagne agitatrice, et ils n’ont surtout rien négligé pour se préparer une revanche. Cette revanche sur laquelle ils comptaient, qui eût été, dans tous les cas, plus significative si elle n’eût été précédée de toutes les scènes violentas des derniers mois, ils viennent de l’obtenir par les élections municipales, qui se sont accomplies il y a quelques jours, le 19 octobre. Ils ont eu d’évidens avantages dans cette élection partielle des communes ; ils ont eu du moins la victoire en ce sens qu’ils ont gardé toutes leurs positions, particulièrement dans les grandes villes. Le ministère aurait pu sans doute, jusqu’à un certain point, faire observer que rien n’était changé, que les élections municipales n’avaient d’ailleurs rien de commun avec les élections législatives, que la majorité restait dans le parlement ce qu’elle était la veille. Il n’y avait pas moins dans ce scrutin du 19 octobre une assez sérieuse manifestation d’opinion à laquelle les circonstances donnaient un caractère exceptionnel et dont une politique prudente ou avisée avait à tenir compte. Rappeler les libéraux et leur accorder la dissolution du parlement, c’eût été pour ainsi dire rendre les armes devant la sédition qui a précédé les élections dernières ; ne rien faire, c’eût été sans doute envenimer la situation. Le roi des Belges s’est tiré d’embarras par la démission de deux des ministres les plus engagés. M. Jacobs et M. Wœste se sont retirés ; ils ont été suivis par M. Malou, et le cabinet s’est reconstitué sous la présidence de M. Bernaert, avec le prince de Caraman-Chimay comme ministre des affaires étrangères, avec M. Thonissen, qui est fort connu pour ses écrits, comme ministre de l’intérieur. Ce n’est point un changement complet de politique, c’est du moins un temps d’arrêt, une trêve d’un moment entre les partis.
Au fond, tous ces incidens qui viennent d’émouvoir, qui émeuvent encore la Belgique, ne sont peut-être pas dénués d’une certaine moralité assez différente de celle que peuvent en tirer les partis. Ces apparentes oscillations ou contradictions d’opinion qui viennent de se produire dans des élections successives ne sont peut-être pas autant qu’on le croirait le signe de l’inconsistance et de la mobilité du pays. À y regarder de près, à chercher la vérité à travers la fumée de ces agitations et de ces luttes ardentes, on peut distinguer ceci. Lorsque les libéraux avaient le gouvernement qu’ils ont gardé longtemps, ils avaient assez notoirement abusé du succès et du pouvoir. Ils avaient, eux aussi, la majorité, ils se croyaient tout permis. Ils n’avaient pas seulement déployé toutes les ardeurs de l’esprit de parti dans les affaires religieuses, ils avaient aussi compromis assez gravement les finances de la Belgique. Par leurs alliances ou leurs affinités avec le radicalisme, ils avaient inquiété, ils s’étaient aliéné bon nombre d’esprits sincères, indépendans, libéraux, mais non révolutionnaires, et le résultat a été que le jour où le scrutin s’est ouvert, au mois de juin dernier, l’opinion s’est tournée contre eux avec une sorte de véhémence qu’ils n’avaient pas prévue. Lorsque les catholiques, à leur tour, sont arrivés au pouvoir il y a quatre mois, ils ne se sont peut-être pas assez défendus de l’enivrement du succès, de l’esprit de parti et de représaille ; ils ont cru pouvoir pousser à bout leur victoire par une loi qui n’aurait rien perdu à être moins visiblement une œuvre de réaction. Aussitôt on en a profité pour émouvoir les esprits indépendans, pour leur faire craindre une réaction plus complète, et le résultat a été ce revirement qui s’est manifesté dans les élections municipales. Cela prouve qu’après tout le pays belge, par ses sentimens, par ses instincts, n’est pas avec les partis qui abusent du succès, qu’il reste essentiellement modéré, et c’est là une moralité dont peuvent profiter les catholiques et indépendans qui sont aujourd’hui au ministère, aussi bien que les libéraux quand ils reviendront au pouvoir.
Les circonstances n’ont pas été propices, pendant la seconde quinzaine d’octobre, à la continuation de la campagne de hausse entreprise depuis quelques mois sur nos fonds publics. Les nouvelles de Chine ont enlevé tout espoir d’une prompte terminaison de l’entreprise où nous nous sommes si imprudemment engagés. Les chambres, à peine réunies, ont manifesté la ferme résolution de donner au gouvernement les moyens d’en finir avec cette irritante affaire, qui menace d’exercer un drainage continu et de plus en plus coûteux sur nos ressources militaires et financières.
La spéculation, qui avait compté que le cabinet, à la réouverture du parlement, se présenterait avec un arrangement pacifique, a été fortement déçue. L’île de Formose n’est pas encore en notre possession ; au Tonkin, nous restons sur la défensive ; la cour de Pékin est plus arrogante que jamais ; il nous faut envoyer dans l’extrême Orient de nouveaux renforts et, par conséquent, dépenser de nouveaux miliions.
La question budgétaire s’est posée dès la reprise de la session ; on ne saurait dire qu’elle ait été réglée d’une manière satisfaisante. Sans doute le budget de 1885 sera présenté à peu près en équilibre ; mais on n’ignore pas que cet équilibre n’a été établi qu’à l’aide d’assez pauvres expédiens. En réalité, la situation n’a pas été modifiée. Les ressources ordinaires du pays ne suffisent pas à couvrir les dépenses ordinaires, a fortiori les dépenses extraordinaires. Comme le ministre des finances ne veut ni augmenter les impôts, ni recourir à un grand emprunt, on accroît tout simplement la dette flottante. Il est vrai que la commission du budget et le gouvernement sont parvenus à aligner environ 60 millions d’économies à effectuer dans les dépendes des ministères ; mais il est fort à craindre que ces dépenses, supprimées du budget, ne réapparaissent sous la forme de crédits supplémentaires,
Les partisans de la hausse continue sur nos rentes ont rencontré encore depuis quinze jours un autre obstacle assez sérieux sur leur route, le renchérissement de l’argent. Le taux de l’escompte a été porté d’abord de 2 pour 100 à 3 pour 100, puis hier de 3 pour 100 à 4 pour 100 à la Banque d’Angleterre. Le fait n’a rien d’inquiétant ni d’extraordinaire ; il se produit tous les ans à la même époque et provient des besoins habituels d’automne. Il suffit, pour se convaincre de la bonne situation du marché monétaire, malgré cette élévation passagère, de constater dans les bilans de la Banque de France l’immobilité à peu près absolue des chapitres de l’encaisse métallique et de la circulation. Le taux de l’escompte à 4 pour 100, toutefois, c’est pour la spéculation la nécessité de payer sensiblement plus cher le concours que lui donnent les capitaux. On sait que des masses de rentes sont en report à Londres depuis le commencement de la campagne de hausse. On a craint un moment que le resserrement de l’argent ne marquât la fin de cette habile opération de reports qui a fait sur notre place un si grand vide de titres.
Il ne paraît pas que cette crainte soit fondée ; les acheteurs, en dépit des conditions dans lesquelles se poursuit l’entreprise du Tonkin, conservent leurs avantages sur les baissiers ; ils ont pour eux l’argent et le manque de titres, la faveur exclusive des capitaux pour les fonds publics, le détachement d’un coupon sur le 4 1/2 le 1er novembre, enfin les bruits de médiation qui ont circulé avec persistance depuis quelques jours. Aussi la hausse s’est-elle continuée lentement sans fluctuations violentes ; le 3 pour 100 reste au-dessus de 78 francs, le 4 1/2 au-dessus de 109 francs, l’amortissable au-dessus de 79.50.
L’engouement est général pour tous les fonds étrangers, bien qu’il n’y ait pas à constater une avance nouvelle sur chacun de ces fonds toutes les quinzaines. Quelques-uns comme le 4 pour 100 or d’Autriche, le 4 pour 100 hongrois et les diverses catégories de rentes russes, ont déjà fait de tels progrès qu’un temps d’arrêt ne saurait étonner. Les cours de l’Extérieure ont été très discutés par suite de rumeurs persistantes sur l’état de santé du roi Alphonse et sur l’imminence d’un mouvement révolutionnaire au-delà des Pyrénées. Les Consolidés anglais se sont maintenus largement au-dessus du pair, malgré l’échec complet du plan de conversion de M. Childers. En Italie, le gouvernement, la commission des chemins de fer et les compagnies se sont mis définitivement d’accord sur tous les points concernant les conventions, et l’on croit que celles-ci pourront être votées par le parlement avant la fin de l’année. Aussi l’Italien, très ferme, s’est-il rapproché de 97 francs, se tenant à 96.60 ou 96.75, et les actions des Chemins méridionaux ont-elles atteint le cours de 655 francs.
Parmi les valeurs orientales, la plus favorisée a été l’obligation unifiée d’Égypte, qui a gagné près de 20 francs, à 325. La spéculation engagée sur ce titre se sent très soutenue par la puissante maison qui a des intérêts si considérables engagés dans les affaires égyptiennes. Elle escompte en outre l’effet des propositions que rapporte lord Northbrook en Angleterre. On ne sait pas ce que sont ces propositions, mais on devine qu’elles doivent se ramener à ces termes : paiement immédiat des indemnités ; émission d’un emprunt ; économies dans les dépenses générales ; suppression de l’amortissement ; maintien de l’intérêt au taux actuel. Ce qui fait surtout que l’Unifiée est en hausse et peut monter encore, c’est la certitude de plus en plus complète que l’Angleterre procède en ce moment à une mainmise définitive sur l’Égypte, et que la dette de ce pays devient en quelque sorte, par la seule force des choses, une dette anglaise. De là un changement de taux de capitalisation.
De meilleures tendances se sont accusées sur les valeurs ottomanes. Le Turc a été porté à 8,25 et la Banque s’est maintenue à 570. D’une part, les recettes encaissées par le conseil d’administration de la dette sont en accroissement constant ; de l’autre, on vient de procéder à la réorganisation du haut personnel de la Régie des tabacs turcs. On sait que les difficultés de la mise en train de l’exploitation du monopole ont été très grandes. Elles sont maintenant en partie vaincues, et l’entreprise est en meilleure voie. Les opérations relatives à l’échange des titres anciens des nombreuses catégories de dettes ottomanes contre les titres nouveaux, répartis en quatre classes, doivent commencer le mois prochain.
La Serbie vient de faire une entrée des plus brillantes dans le cercle des états emprunteurs. Un emprunt de ce petit royaume en rente 5 pour 100, émise à 72 1/2 pour 100, a été lancé en Allemagne sous le patronage de la Lænderbank d’Autriche et de quelques maisons allemandes. Le succès a été colossal, l’emprunt ayant été couvert plus de cent fois. Immédiatement après, la Lænderbank, associée au Comptoir d’escompte, a offert au public berlinois et francfortois 50, 000 obligations hypothécaires des Chemins de fer serbes. Le public souscripteur en a demandé trente fois plus, soit 1, 500, 000 et au-delà. Ce double succès est de bon augure pour les dispositions dans lesquelles les marchés de Vienne et de Berlin vont aborder la saison d’hiver.
Le calme le plus complet ne cesse de régner sur le marché de nos valeurs de banque. Le public s’éloigne de plus en plus de ce genre de placement, et c’est un côté de la cote qui présente un aspect vraiment lamentable. On y trouve bien quelques grandes valeurs se maintenant honorablement à des prix élevés, la Banque de France à 5,100, le Crédit foncier à 1,300, le Comptoir d’escompte à 950, la Banque de Paris à 730, le Crédit industriel à 680, les Dépôts et Comptes courans à 625. Viennent ensuite, près du pair, mais un peu au-dessus, la Banque franco-égyptienne à 550, le Crédit Lyonnais à 525, la Banque d’escompte à 510.
Mais au-dessous défile la série des titres libérés de 250 francs et qui tous sont en perte sur le prix versé. Le Crédit foncier algérien ne vaut que 235 francs ; la Société générale, 207 ; la Banque russe et française, 190 ; le Crédit algérien, 175 ; la Banque transatlantique, la Banque maritime, la Compagnie foncière de France, 150 ; les Immeubles, 150 ; la Rente foncière, 100 ; la Société foncière lyonnaise, 90 ; la Banque commerciale et industrielle, 57.
Parmi les titres libérés de 500 francs, la Compagnie algérienne se tient à 460, mais la Banque parisienne recule à 390 ; le Crédit mobilier tombe à 240 ; le Crédit général français vaut 140 francs ; la Société financière, 95 francs. Nous ne parlons pas des titres tombés à 10 et à 2 francs.
Il y a plus de vitalité et d’animation sur le marché des valeurs industrielles. Si les Voitures ont baissé à 575 à cause de la diminution constante des recettes, le Gaz reste très ferme au-dessus de 1,500 fr., et le Suez au-dessus de 1,900. Les cours sont également soutenus sur les Messageries et en hausse sur les Allumettes, ainsi que sur la Compagnie transatlantique. Cette dernière entreprise vient de passer avec le ministre de la marine un traité qui lui assure pendant cinq ans le transport des fonctionnaires de l’état, des troupes, des condamnés et du matériel à destination de la Martinique, la Guadeloupe et Cayenne.
Les actions de nos grandes compagnies de chemins de fer sont immobiles, malgré la persistance des diminutions du rendement. Les titres des compagnies espagnoles se sont un peu relevés ; ceux des Chemins autrichiens et lombards sont restés fermes.
L’épargne achète toujours avec un empressement marqué les obligations des chemins de fer et du Crédit foncier. Le succès éclatant de la dernière émission de cet établissement a valu aux obligations nouvelles une prime immédiate de 4 à 5 francs sur le premier versement effectué, qui n’est que de 20 francs.